Signé le 19 novembre 1990 à Paris, le Traité sur la limitation des armements conventionnels en Europe (FCE) imposait la parité entre l’OTAN et l’Organisation du Traité de Varsovie quant au nombre de chars, de véhicules blindés de transport de troupes, des systèmes d’artillerie d’un calibre supérieur à 100 mm, d’avions de combat et d’hélicoptères de frappe. Aujourd’hui, les pays de l’ex-Traité de Varsovie, ainsi que certains pays qui faisaient partie de l’URSS et de la Yougoslavie (cette dernière n’a jamais été partie au Traité FCE) sont membres de l’OTAN. Conséquence, du point de vue géostratégique, le FCE a perdu toute sa raison d’être.

Le « FCE adapté » établissant des quotas pays par pays au lieu des quotas dits de bloc (signé en 1999), n’a été ratifié par aucun pays de l’OTAN sous le prétexte que la Russie n’avait pas retiré ses troupes de Géorgie et de Moldavie (plus exactement de Transnistrie). Le Traité fait état de limitations de flanc qui sont en réalité très gênantes pour la Russie (surtout en ce qui concerne le flanc sud, caucasien). Enfin, la Slovénie et les trois pays baltes, membres de l’OTAN, ne font pas partie du FCE. Ce qui veut dire qu’en théorie ils sont en droit d’avoir des forces armées que rien ne limite, et d’accueillir, sur leurs territoires, des contingents d’importance illimitée des autres pays de l’OTAN. Si le cas de la Slovénie ne semble pas inquiéter outre mesure la Russie, par contre celui des pays baltes ne la laisse pas indifférente. En toute logique, la situation actuelle exige une révision radicale.

Mais, tout compte fait, les désavantages qu’apporte le FCE relèvent de la pure théorie. En pratique, aucun des 30 pays signataires ne remplit ses quotas sur aucune des 5 classes des armements (4 pays : l’Islande, le Kazakhstan, le Canada et le Luxembourg enregistrent même 5 zéros). Certains problèmes sont notamment constatés dans les pays de Transcaucasie suite à la présence, sur leurs territoires, d’États non reconnus (Haut Karabakh, Abkhazie, Ossétie du Sud), qui ont tous des armées assez fortes que personne ne contrôle et qu’on ne sait à quel pays rapporter (l’armée du Karabakh, formellement, relève du quota de l’Azerbaïdjan mais en réalité elle est un élément de l’armée arménienne). Mais les problèmes de la Transcaucasie justement ne préoccupent en fait personne en dehors de cette région.

Si la Russie se dit offusquée par les restrictions qui lui sont imposées par le FCE, c’est étonnant, car elle-même, comme tous autres pays membres du Traité, ne remplit même pas le quota qui est le sien officiellement. Tout aussi étonnantes sont ses préoccupations face à l’élargissement de l’OTAN à l’Est, cet élargissement s’accompagnant d’une rapide réduction des armements par les membres de l’Alliance, aussi bien vieux que nouveaux. L’OTAN d’aujourd’hui qui regroupe 26 pays est 1,5 fois moins bien équipée en armements que l’OTAN de 1991 qui ne comptait que 16 pays membres. Quatre pays de l’OTAN ont même des forces armées symboliques : ce sont principalement les pays baltes. A trois, ils ont 3 très vieux chars (T-55 lettons) et 4 avions (L-30 lituaniens). Un groupe aérien (4 chasseurs), en rotation tous les six mois et représentant les pays de l’OTAN ayant des forces aériennes, stationné à Zokniai, en Lituanie, à la demandes des Baltes eux-mêmes, est l’unique force militaire étrangère déployée sur leur territoire. En Europe de l’Est, des « bases de l’OTAN » n’ont jamais vu le jour. Ne serait-ce pour la raison que la notion de base de l’OTAN n’existe pas, même si certaines installations sur le territoire de l’Afghanistan peuvent être considérées comme telles. Tous les autres ouvrages restent donc nationaux. Sur le territoire des nouveaux membres de l’OTAN, aucune installation militaire étrangère n’est à signaler jusqu’à présent, sauf à Zokniai.

Les troupes états-uniennes sont elles aussi en réduction rapide en Europe. Si à la fin des années 1980 on dénombrait sur le continent 4 divisions (plus 1 brigade à Berlin-Ouest) et neuf régiments aériens, aujourd’hui, il reste 2 divisions, 1 brigade et 3 régiments aériens, ces deux divisions se trouvant en fait non pas en Europe mais en Irak. Les États-Unis ont signé des contrats de bail portant sur certaines installations en Bulgarie, Roumanie et Pologne mais ces ouvrages ne pourront accueillir qu’un nombre restreint de personnels techniques et auxiliaires. Il serait possible en effet de déployer sur ces ouvrages des contingents importants, mais cela prendrait beaucoup de temps et il n’est même pas question de les utiliser pour lancer des « attaques surprises ». L’essentiel, les États-Unis n’ont aujourd’hui pas assez de ressources pour mener des opérations en dehors de l’Irak et de l’Afghanistan. Après la catastrophe irakienne, la société américaine sera atteinte d’un nouveau « syndrome » psychologique qui privera les États-Unis pour longtemps de la possibilité de mener des guerres d’envergure.

Le pacifisme qui a gagné l’Europe tout entière est un autre problème grave pour l’OTAN. Si les peuples, les gouvernements et les armées ne sont pas prêts à faire la guerre, le nombre d’armes et leur qualité n’ont aucun sens. L’opération en Afghanistan en est une belle illustration. Les pays de l’Europe continentale y envoient des contingents symboliques, tout en refusant de faire la guerre, malgré les instances de Washington.

C’est un fait évident. En témoigne aussi la capture par les Iraniens de 15 marines britanniques. Faut-il encore commenter leur conduite au moment de l’arrestation et après ?

Voilà pourquoi il est parfaitement impossible de voir dans l’OTAN d’aujourd’hui une menace pour la Russie. Mais cela ne signifie nullement que le Traité FCE puisse être mis au placard. Un retrait unilatéral de ce Traité pourrait nuire à la Russie. Car par cette démarche Moscou obtiendra ce que Washington veut déjà obtenir coûte que coûte, à savoir cimenter l’OTAN face à une « nouvelle menace émanant de l’Est ».

Il serait bien plus productif de proposer une profonde modernisation du Traité, et deux variantes sont possibles.

La première, placer l’OTAN en termes de quantités d’armes à égalité avec l’Organisation du Traité de sécurité collective (Russie, Biélorussie, Arménie, Kazakhstan). Toutes les restrictions de flanc pourraient être abrogées, mais, l’essentiel, il faut s’entendre sur le fait que le changement de composition de chacun des blocs ne doit pas entraîner de modification du plafond des armements autorisé pour chacun des blocs. L’intégration d’un nouveau pays ou le retrait d’un pays d’un bloc doivent conduire à la répartition des limites entre les pays d’un même bloc, mais le plafond autorisé doit rester intact. Pour les pays hors-blocs (à ce jour, ce sont l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan), les limites actuelles pourraient être préservées. Cela va de soi, la Slovénie, les Pays baltes et, à l’avenir, en cas d’adhésion à l’OTAN, la Croatie, l’Albanie et la Macédoine, doivent être intégrés dans le Traité.

La deuxième variante, mettre l’OTAN à égalité avec la Russie. Ou plutôt, du moment que ce n’est pas réel, établir, entre elles, un rapport de 1,5 à 1 sur toutes les classes d’armements. Et aussi établir un « plafond non modifiable » en matière de quantité d’armements pour l’OTAN, indépendamment de sa composition qui pourrait changer un jour.

Du fait qu’aucun des pays ne remplit ses quotas, la Russie pourrait et devrait proposer de nouvelles limites, substantiellement moins élevées que celles d’aujourd’hui (y compris pour elle-même). Cela ne devrait nuire à personne ou presque, car il faudra réduire soit de l’« air », soit des matériels vétustes. Mais, la signature d’un nouveau traité relèvera substantiellement ipso facto le niveau de confiance et réduira les tensions.