Au-delà du jeu des chaises musicales, les deux courants du parti unique au pouvoir aux États-Unis s’accordent à merveille pour museler ou neutraliser leurs opposants. Quelques îlots d’insoumission parviennent bien à faire entendre leur voix, mais sont relégués à l’arrière-plan dès lors qu’ils s’éloignent trop de la vulgate des décideurs économiques. Le candidat indépendant Ralph Nader, qui ose remettre en cause le mode de financement des partis et la version officielle sur le 11 septembre, en fait les frais actuellement ; son discours allant à contre-courant a uni démocrates et républicains face à lui, et bientôt son budget de campagne réduit terminera de l’éclipser du débat électoral. Dans le Washington Post, un Nader inquiet dévoile les méthodes sournoises et anti-constitutionnelles de cette coalition, avant de brandir la menace du recours légal contre Kerry, car il n’a plus le choix.
À l’étranger, l’interdiction de séjour sur le sol états-unien du philosophe et théologien Tariq Ramadan, décidée par le département pour la Sécurité de la patrie de Tom Ridge en raison de la menace terroriste qu’il représente (sic), privera des milliers d’intellectuels d’un autre point de vue alternatif, d’une voix de médiation précieuse. Là encore on ne peut que déplorer l’état de la « démocratie » états-unienne. En effet, comment espèrent-ils convaincre les pays musulmans qu’ils vont les accompagner vers la démocratie alors qu’ils ne laissent pas leurs penseurs les plus brillants s’exprimer chez eux ?
Le Daily Star de Beyrouth publie un texte de Jonathan Laurence de la Brookings Institution qui va en ce sens. On comprend bien qu’un institut dont la raison d’être économique dépend de l’image des États-Unis à l’étranger déplore une telle décision, mais on aimerait entendre le même discours au sujet des agressions militaires et ingérences à l’encontre des pays arabes. Dans le même quotidien, l’un de ses rédacteurs en chef, Hicham Chehab, proteste mollement contre la décision, avant de rappeler qu’il est tout de même du côté des puissants et de la soumission intellectuelle. C’est bien ce que souligne une voix indépendante, celle Diana E. Leck dans le Boston Globe : lorsque Condoleezza Rice demande que les musulmans « modérés » soient soutenus, elle entend par là ceux qui relaient la voix de leur maître.
Le Los Angeles Times, qui mène en ce moment la charge dans la fausse affaire de l’espion israélien au Pentagone, en réalité destinée à préparer la reprise en main par les États-Unis de la politique israélienne, jongle de son côté avec les deux courants impérialistes. Alors que le fin stratège William Arkin tire sa révérence aux lecteurs en résumant son analyse distillée au fil des articles dans le quotidien phare de la côte Ouest, Max Boot prend soin de justifier à l’avance une nouvelle escalade de la violence en Irak, avec tous les arguments dont il dispose comme de leurs contraires : c’est calculé, affirme-t-il sans rire, pour peser sur l’issue du scrutin présidentiel aux États-Unis en faveur de John Kerry. Mais cela pourrait bien produire l’effet inverse. Max Boot n’est certain que d’une chose : en écrivant cela, il sera du bon côté quoi qu’il arrive.