La visite qu’a effectué récemment Vladimir Poutine au Kazakhstan et au Turkménistan poursuivait à l’évidence deux objectifs. Premièrement, créer un système de partenariat à trois pays pour réaliser le projet de Gazoduc caspien. En second lieu, éviter que ne se crée une alliance antirusse des puissances européennes dans le secteur énergétique. Je pense que le Président russe est parvenu à ces deux objectifs.

Lors du sommet énergétique de Varsovie, le principal acteur, celui dont dépendait la réponse à de nombreuses questions discutées lors de cette rencontre, le Kazakhstan, était absent. Quant à l’accord sur le Gazoduc caspien, bien que de nombreux sceptiques insistent sur son caractère encore informel, le qualifiant d’ « accord d’intentions », il est appelé à jouer un rôle productif. Il serait naturellement difficile d’évaluer dès à présent de manière chiffrée les rentrées supplémentaires pour le budget de la Russie et de Gazprom, qui sera avec ses structures régionales et ses filiales le coordinateur de ce projet. L’essentiel se situe ailleurs.

Les pays par le territoire desquels passent, ou peuvent passer les flux de matières premières – et principalement les oléoducs et les gazoducs – se battent pour leur statut de transitaires. Cela est particulièrement vrai, ces dernières années, pour les voisins occidentaux de la Russie, qu’il s’agisse des anciennes républiques soviétiques ou de certains pays de l’Europe de l’Est. Ils tiennent fermement à ce droit. Et cette position est parfaitement conforme à leurs intérêts nationaux. Car le transit est synonyme non seulement de rentrées financières additionnelles pour un certain trafic, mais aussi d’un contrôle évident sur les conduites, autrement dit de la possibilité d’influer politiquement sur les pays exportateurs et les pays consommateurs. Et si ce mécanisme échoit à un pays tel que la Russie qui, outre ce statut de transitaire, dispose elle-même de riches ressources énergétiques et apparaît comme un puissant acteur dans ce domaine, cet instrument devient particulièrement puissant entre ses mains. Il n’est pas fortuit, dans ces conditions, que la Chambre des représentants du Congrès américain ait adopté un projet de loi limitant la coopération dans le secteur des matières premières, dirigé de toute évidence, en premier lieu, contre la Russie, le Kazakhstan et le Turkménistan. Les Etats-Unis sont bien conscients du danger pouvant découler de ce genre d’union et des projets qui peuvent en sortir.

Mais si l’on parle d’actions inamicales dans le secteur énergétique, la Russie et ses alliés peuvent avancer, comme contre-argument, que les accords qu’ils ont signés ne sont pas, sur le fond, négatifs. Il s’agit d’une union de producteurs de gaz et de pétrole et d’exportateurs d’hydrocarbures. Si d’aucuns parlent d’atteinte à des pays tiers, je soutiendrai pour ma part le point de vue des experts qui considèrent que la Russie ne lèse les intérêts de personne, car cette union n’est spécialement dirigée contre personne. Autre chose est que les intérêts des producteurs et des exportateurs, d’une part, et ceux des consommateurs, de l’autre, sont toujours différents. Et ce qui suscite une tension, c’est que ce sont les exportateurs qui, en l’occurrence, ont contracté une alliance, ont coordonné leur politique et, qui plus est, proposé un itinéraire alternatif au Gazoduc transcaspien en faveur duquel, à proprement parler, milite l’Union européenne. Les accords de ce type touchent toujours les intérêts de quelqu’un.

La rencontre des trois Présidents et les accords qu’ils ont contractés dans le secteur énergétique revêtent aussi, indubitablement, un aspect politique. Ce dernier est lié, avant tout, à la confirmation par le Kazakhstan et le Turkménistan de leurs relations d’alliés avec la Russie. Pour ce qui est du Président Noursoultan Nazarbaïev, il a pris une décision très significative : il aurait pu aller à Varsovie, mais il a préféré ne pas le faire et rencontrer ses homologues Vladimir Poutine et Gourbangouly Berdymoukhammédov. Les Européens et les Américains ont probablement été choqués par cette décision très démonstrative. En ce qui concerne le Président turkmène, il a occupé pendant le sommet en Pologne une position des plus modérées, évoquant la possibilité d’une coopération avec l’Union européenne, et d’autres centres de force, ne fermant pas la porte de son pays, par là même, à certaines autres possibilités. Néanmoins, Gourbangouly Berdymoukhammédov s’est prononcé lui aussi de manière très claire en faveur de relations d’alliés. Si bien que la coalition politique de ces trois Etats autour du Gazoduc caspien apparaît assez claire. Et ce sont les accords conclus qui en témoignent le mieux.