Monsieur,

Souhaitant vous parler d’urgence il y a quelques jours, je fus renvoyé à monsieur Arnold par votre secrétariat. Ce renvoi s’est avéré intéressant – nous nous sommes entretenus pendant presque deux heures – mais peu efficace, comme vos dernières déclarations me l’ont montré.
Malheureusement, le problème du SPD (parti social-démocrate allemand) en matière d’Afghanistan s’appelle visiblement Struck.

Ainsi que vous l’avez déclaré aujourd’hui au micro de Deutschlandfunk, vous souhaitez :
 Maintenir encore dix ans l’armée allemande à l’Hindou Kouch
 Laisser inchangés les mandats de l’OEF et du FIAS ainsi que la présence de Tornados
 Accroître le contingent du FIAS, si demande en est faite

Vous justifiez cette intention par la protection des prestations effectuées.

Une question à ce sujet : de quelles prestations parlez-vous ?

Du succès record de la production et du commerce afghans d’héroïne ? En effet, la part de 92% du marché mondial qu’occupe l’Afghanistan fait de ce pays le leader incontesté du marché mondial.

Mais ce n’est pas tout. Le chef de la police de Munich s’est plaint récemment qu’il soit devenu meilleur marché de s’envoler vers le paradis avec une piqûre d’héroïne que de se saouler.

La sécurité des troupes allemandes à Kunduz et à Faizabad dépend directement du bon vouloir de la plus forte puissance militaire de la région, les troupes de 5 à 13 000 hommes qu’entretient le baron de la drogue Fahim. Cet ancien vice-président, ministre de la défense et actuel conseiller du président Karzai, dont le frère est le plus puissant baron de la drogue selon les avis concordants des principaux services secrets occidentaux, contrôle à lui seul un tiers de la production d’héroïne afghane. L’homme doit être multimilliardaire, si l’ONU a raison de chiffrer à USD 25 milliards par année le revenu provenant des opérations sur drogues afghanes. De telles sommes ne se gagnent pas en Afghanistan – et l’on n’achète pas toute une série de villas à Kaboul – sans l’assentiment des Etats-Unis. J’ai eu le plaisir douteux de rencontrer plusieurs fois et de faire la connaissance d’un autre acolyte de nos alliés américains : Hazerat Ali de Jallalabad, dans le Nangarhar.

Son passe-temps favori consiste à faire la chasse aux terroristes sur l’ordre des Etats-Unis. Il décide seul si ceux qu’il poursuit sont effectivement des terroristes. La précision de ses tirs doit laisser à désirer, car la résistance augmente quotidiennement dans sa province. Mais les hélicoptères américains viennent à son secours sur un simple signe de sa part. Ils livrent les armes souhaitées en quantité énorme et y joignent des fonds en espèces.

Comme nous parlons justement de la province de Nangarhar : j’ai été informé de source digne de foi que le général américain compétent avait reçu USD 100 000 pour nommer le gouverneur actuel de la province. Nierez-vous que de tels faits ont lieu aujourd’hui, monsieur Struck ?

C’est le chaos pur – et des soldats allemands risquent leur vie pour une telle folie.

Ou pensez-vous à la cure politique de près de six ans en faveur des talibans en pleine faillite, que notre politique de l’Hindou Kouch bâclée dans sa méthode et sa réalisation a générée effectivement ?

L’ONU vient de publier de nouvelles cartes, annonce l’Independent, selon lesquelles les régions en péril maximal ont triplé par rapport à 2006 et celles en péril élevé doublé.

Au début de l’année, le général américain Eikenberry, commandant en chef, a présenté les chiffres suivants :
 Type d’attaque 2005 2006
 Attentats suicides 27 139
 Bombes en rue 783 1677
 Attaques directes 1588 4542
Total 2398 6358

Ce que l’on sait déjà maintenant : 2007 sera pire.

Ou vous référez-vous au processus démocratique invoqué si souvent ? Il présente des lacunes considérables :
 Veuillez considérer avec quelles méthodes les Etats-Unis ont imposé leur homme d’Halliburton, Karzai, lors de la première rencontre de Petersberg. Karzai n’a-t-il pas donné à Halliburton, comme presque premier traité international, le contrat de construction du double pipeline – évidemment sans mise au concours ? Qui a « irakisé » l’Afghanistan ?
 Tous les électeurs – tant s’en faut – n’ont pas été inscrits sur les listes électorales. C’est pourquoi les dépêches faisant état d’une participation de 56% sont fallacieuses. Elles se réfèrent à des listes électorales lacunaires. La participation effective devrait se situer entre 40 et 45%. L’interdiction de principe des partis qui était alors en vigueur n’a pas amélioré la situation.
 Sur la route vers le premier Loyah Jirgah (« Emergency L. J. »), les Etats-Unis ont attiré dans une vallée latérale et exécuté un grand nombre de chefs de clans peu prisés qui arrivaient.
 Des bombardiers américains ont attaqué et manqué d’un cheveu de tuer le n° 2 de la résistance, Hekmatyar, alors qu’il se dirigeait vers Kaboul pour un entretien. Deux de ses gardes du corps ont perdu la vie. Il est devenu une figure symbolique de la résistance.
 Si les Etats-Unis veulent savoir où se trouve Hekmatyar, ils n’ont qu’à se renseigner auprès de l’ISI [services secrets pakistanais qui travaillent étroitement avec la CIA]. Il le sait. Ils le savent – et je suppose : vous aussi.

Vous voudrez bien m’excuser si je demande quel est le sens de cette mascarade ?

Ou pensez-vous au célèbre programme scolaire ? D’après les dernières données, 35% des écoles sont vides dans les secteurs pachtounes perturbés.
Monsieur Struck, vous militez, selon l’interview accordée à la Deutschlandfunk, pour que nos troupes restent encore dix ans à l’Hindou Kouch. Une pieuse pensée – pensez-vous à des soldats morts ou vivants ?
Vous avez déjà invoqué une fois publiquement les conseils que donne le ministère de la défense.

Quel débutant en matière militaire a donc conseillé d’opérer à l’Hindou Kouch avec un contingent propre à des visites, puis de se transformer en occupant ? Je ne crois guère qu’il s’agissait d’un Allemand.

En Afghanistan, l’OTAN est assez forte pour provoquer le chaos. Voulez-vous continuer de mener des Allemands au casse-pipe pour réparer les fautes aberrantes d’autres troupes ?

L’Union soviétique avait 130 000 hommes en Afghanistan. 130 000 autres hommes pourraient s’être occupés de la logistique aux environs de la frontière. 1,3 millions d’Afghans y ont laissé leur vie, 13 000 soldats soviétiques, jusqu’à ce que l’URSS en décomposition ait appris sa leçon.

Qu’est-ce qui vous rend si sûr que nous puissions opérer à meilleur marché ?

Ne semble-t-il pas plutôt que cela serait plus cher qu’à l’époque ?
Vous êtes-vous demandé si la poursuite de cette politique étrangère à la réalité, que vous avez défendue à votre façon combative, pourrait faire descendre la part du SPD dans les sondages au-dessous de la marque des 20% ?

Avez-vous pensé au fait que nos amis américains comptent aussi des gens intelligents qui espèrent de manière désespérée qu’enfin l’un de ces soi-disant amis et alliés rassemble un gramme de courage et dise : « Cesse et reviens à la raison – ou continue sans nous. » ?

Et ne pensez pas que je me considère comme plus intelligent que vous. Tout ce que je viens d’écrire, nombre d’autres personnes ont déjà tenté de vous en informer, la plupart d’entre elles en fonctions officielles. Je ne suis que l’un de ceux qui, au risque de ruiner leur existence, tentent d’en arriver à une autre politique.

Cela devrait me donner tout au moins le droit d’exprimer une demande : celle d’un rendez-vous personnel prochain.

Avec mes salutations cordiales et mes meilleurs vœux.