Les médias ont évoqué récemment le Mormont, colline proche des villages vaudois d’Eclépens et La Sarraz, entre Yverdon-les-Bains et Lausanne. Mais bien peu de lecteurs auront réalisé qu’il s’agissait d’une découverte archéologique sensationnelle, d’importance nationale et même européenne.
Le Mormont, en effet, ne le cède en rien à La Tène, où les très nombreux objets en fer découverts il y a 150 ans dans la Thielle, à l’extrémité nord-est du Lac de Neuchâtel, avaient incité le monde savant à baptiser « Civilisation de La Tène » la seconde partie de l’Age du Fer (deuxième moitié du dernier millénaire avant notre ère), non seulement en Suisse mais en Europe. Un article de la revue « archéologie suisse » (no 30, 2007), dû à Gilbert Kaenel (directeur du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire, Lausanne) et Denis Weidmann (archéologue cantonal vaudois) démontre l’exceptionnel intérêt du sanctuaire helvète nouvellement signalé sur le Mormont, tout en offrant l’occasion d’interrogations préoccupantes sur les circonstances et les suites de la découverte.

Colline calcaire, le Mormont se trouve progressivement rongé par la carrière de ciment Holcim SA. Préludant à une nouvelle étape de son exploitation, des sondages y ont été réalisés en 2006 par l’entreprise Archéodunum SA, sous la direction du Service archéologique du canton de Vaud. Bien qu’un chemin antique ait été localisé, rien n’avait particulièrement attiré l’attention jusqu’au moment où, l’humus ayant été enlevé pour permettre d’attaquer la roche, d’étranges fosses sacrifi­cielles apparurent dans une dépression proche du sommet boisé. Le temps étant fort limité, il fut décidé de parer au plus pressé en délimitant au mieux l’ensemble de la zone menacée. Deux à trois ans auraient été nécessaires pour fouiller ce site avec toute l’attention désirable, alors que les impératifs de coûts et de délais limitèrent malheureusement l’intervention à ce qu’il est convenu d’appeler « fouille de sauvetage », de quelques mois seulement.

Dans un ensemble de 260 fosses coniques creusées entre 120 et 80 avant notre ère dans l’humus, à une profondeur de 80 cm à 5 m, reposaient des ossements humains – squelettes en position repliée, crânes isolés représentant probablement des trophées guerriers – et animaux, surtout bœufs et chevaux. Mêlés à ces vestiges gisaient des dizaines de vases en céramique, des monnaies celtiques et romaines, des récipients en bronze, des bijoux (fibules en bronze, perles en verre), des outils en fer, des scories métalliques, de nombreuses meules en pierre. Curieusement, les armes semblent faire défaut. Cet abondant matériel est en cours de conservation au Musée de Lausanne. A coup sûr, des informations nouvelles sur les mœurs, techniques, relations proches ou lointaines de « nos ancêtres les Gaulois » résulteront des analyses qui ont déjà débuté.

Des regrets, hélas ! ternissent la miraculeuse surprise. Les projets de Holcim SA ayant été connus de longue date, pourquoi n’être intervenu qu’in extremis et avec des moyens insuffisants ? A-t-on réalisé en haut lieu qu’il s’agissait d’un site capital non seulement sur le plan vaudois, mais pour la Suisse toute entière ? Pourquoi l’aide de la Confédération n’aurait-elle pu être sollicitée, comme ce fut le cas lors de la construction du réseau autoroutier qui livra de véritables trésors archéologiques ? La direction d’Holcim SA, dont on connaît l’intérêt pour l’archéologie, fut-elle informée de l’incroyable importance patrimoniale du Mormont protohistorique ? Et la société « archéologie suisse », a-t-elle mis tout son poids dans la balance ? Et la Commission fédérale des monuments historiques ?

Hélas ! en archéologie, les occasions manquées sont irrémédiablement perdues.