1. Au temps de l’Ancien Régime (c’est-à-dire avant 1798), la Suisse était déjà composée de communes qui s’organisaient toutes selon le principe coopératif. ­Toutes les communes, s’il s’agissait de villes ou de villages sujets, trouvaient leur base dans un noyau de citoyens, jouissants d’une partie du bien civique et disposant, comme corps politique, de considérables droits de gestion autonome. Les com­munes développaient une véritable tradition de résistance, ne permettant en aucune manière qu’on leur diminue ou ôte leurs « anciens droits » ou leurs « anciennes libertés », c’est-à-dire leurs droits à l’autogestion.

2. Du temps des Lumières (18e siècle) l’« ancienne » et la « nouvelle » liberté communale se confondaient, ce qui veut dire que la pensée coopérative s’alliait avec les idées de l’égalité et de la démocratie.
A l’époque de la République helvétique (1798-1803), les communes formaient de véritables « ponts » liant les « anciennes » avec les « nouvelles » libertés. Les sociétés se formant en campagne (p. ex. les sociétés de lecture), les associations et l’essor de la presse écrite en étaient d’importants préalables.

3. Avec l’Etat fédéral de 1848, un compromis idéal se trouva au profit des communes. L’autonomie communale pouvait être conservée presque inaltérée dans l’Etat fédéral. L’Etat démocratique se construisit en Suisse du bas vers le haut.

4. Avec l’introduction de la démocratie directe (initiative et référendum) au cours de la deuxième moitié du 19e siècle, également au niveau cantonal et fédéral, d’efficaces instruments étaient prêts pour trouver de bonnes solutions aux évolutions économiques et politiques. Là, les communes rurales en formaient toujours un important point de départ. Au 19e siècle, c’est elles qui veillaient, partant de la liberté communale, à l’évolution de la démocratie directe. Les revendications concernant la démocratie directe furent les exigences du mouvement populaire essentiellement rural. Les adversaires principaux de la démocratie directe aussi bien que de l’autonomie communale furent (comme en partie aujourd’hui encore) les libéraux.

5. Ces derniers 160 ans, les communes en Suisse ont fait une évolution impressionnante en relevant continuellement les nouveaux défis. _ Aujourd’hui, ces potentiels sont cruellement sous-estimés. Les « petits espaces autonomes », c’est-à-dire les communes actuelles, continuent d’être prêts et capables de donner des réponses raisonnables aux questions urgentes.

6. Le but principal des « réformes commu­nales » en cours dans les cantons sont des fusions au niveau cantonal, et ceci, si nécessaire, sous la contrainte.
Ces fusions réitèrent, dans le fond, les erreurs de la République helvétique, dont on peut mentionner entre autres : le mépris des structures (communales) raisonnables, issues de l’évolution historique, l’imposition de réformes sous la contrainte ainsi que des centralisations dénuées de tout bon sens, créant un appareil bureaucra­tique coûteux et loin du citoyen. On prive ainsi les communes, petit à petit, de leur autonomie et indépendance, et, par conséqent, également de leur flexibilité d’aborder les tâches futures. Dans quel but ? Bref, pour mater également les cantons et les communes jusqu’à ce qu’ils disent oui à la mondialisation effrénée. Dans ce raisonnement, on recourt à des notions purement écono­miques et creurses (p.ex. « croissance économique à tout prix », « avantages du site », « les synergies »).

7. Les « réformes communales » planifiées mettent également en cause la péré­quation financière inter-cantonale. Cette péréquation financière permet de soutenir avant tout les communes moins riches. C’est précisément cette solidarité – qui a garanti que le modèle suisse est devenu un modèle à succès, créant l’équilibre et la paix sociale – qu’il s’agit de détruire.

8. L’historien bâlois, Adolf Gasser (1903-1985), a minutieusement analysé l’évolution de la liberté communale en Suisse. Ce n’est que dans les communes libres, voilà l’idée centrale de Gasser, que les valeurs sociales peuvent évoluer, imprégnées du principe de la coopération.
Dans les organismes centralisés ­(telles les communes soi-disant « centralistes »), l’esprit de la subordination, c’est-à-dire de la sousmission docile prévaut. Citons Gasser lui-même : « Dans le premier cas (principe de la subordination) l’Etat s’organise essentiellement du haut vers le bas, dans l’autre (principe de la coordination), il se forme du bas vers le haut. Là, le principe ordinateur se maté­rialise dans l’habitude de recevoir des ordres, donc dans l’obéissance, ici, dans la volonté générale à la libre coopération. »
 [1].

9. Des études récentes démontrent : De petites structures dont on garde une bonne vue d’ensemble importent aujourd’hui comme dans le passé et sont propices à la vie sociale commune. Les individus veulent participer aux décisions et sont d’autant plus contents que la démocratie directe est développée. De plus, l’économie se développe mieux dans un tel contexte. [2]. En plus, une étude récemment publiée montre que la grandeur des communes influence la qualité de la démo­cratie. En effet, plus la grandeur d’une commune augmente, voilà la thèse centrale, plus la qualité de la démocratie diminue [3]. Ces études confirment la perspective historique sur les communes : Ce ne sont que les structures décentralisées, composées du bas vers le haut, qui permettent la naissance d’un cadre social (Bonum commune), dans lequel les êtres humains se sentent à l’aise et sont prêts à collaborer (système de milice).

10. Si les « réformes communales », c’est-à-dire les fusions des communes, sont réalisées en Suisse comme elles sont conçues, le pays perdra ses meilleures forces. Mais notre avenir ne peut être maîtrisé que par des hommes qui ont choisi de réfléchir et d’agir ensemble.

[1Gasser, Adolf : Gemeindefreiheit als Rettung Europas (La Liberté communale – sauvetage de l’Europe), Bâle 1947, ­p. 12

[2Cf. les études de Bruno S. Frey, économiste, université de Zurich

[3Cf. étude d’Andreas Ladner, politologue, université de Lausanne