L’enfer sur terre

Lorsqu’on entre dans le vestibule de la grande salle d’exposition, on se retrouve dans une étroite salle cinématographique obscure, au milieu du passage du film « Hell on Earth ». En face de celui qui est derrière la caméra, des hommes et des femmes, aux visages graves, énumèrent les terrains où il y a des guerres et des catastrophes qu’ils ont traversées et sur lesquelles ils nous ont informés : « La Bosnie, le Kosovo, le Karabakh, le Rwanda, la Tanzanie, Timor-Est, l’Ouganda, le Zimbabwe, la Géorgie, la Tchétchénie, Haïti, l’Amérique, la Russie, le Mexique, l’Afghanistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, la Moldavie, l’Irak, le Liban, Israël … avant de voyager vers un autre enfer sur terre. « Oui, cela semble être mon chemin », dit l’un. On imagine ce que cela veut dire quand un autre parle tout bas à soi-même : « J’ai rapporté sur trois guerres. » Et un autre ajoute de façon laconique : « Sur tout ce qui était important ces trente dernières années. » Ce sont des portraits vivants des personnalités qui, grâce à leur voix, à leur mimique et à leurs petits gestes, ont un charisme particulier.

Le film vous prépare à six installations vidéo au milieu de la salle principale, où 32 photographes de presse discutent les problèmes de leur branche, sur sujets choisis. (« Publish or Perish », « The Man on the Street »), réfléchissent à leur identité professionnelle (« Banging on People’s Heads ») ou racontent leur travail personnel (« My Kind of Picture », Hours in the Darkroom », « Camera Down »), étant ainsi très proches du spectateur.

Aux murs, on peut regarder leurs portraits, de trois quarts, en grand format, dans des postures – effet étrange – d’hommes d’Etat. Ils nous donnent à voir qui se cache derrière des noms comme Bob Strong (Reuters), Paolo Pellegrin (Magnum), Stanley Greene (Vu) …

Pourtant on connaît les images du Viêt-Nam et d’Abou Ghraib

Ils sont presque tous d’accord sur un sujet (« Publish or Perish » / Publiez ou périssez) : Ils sont pour la plupart sujets à la manipulation des médias. « Les éditeurs sont pires que le ministère de l’information de Bagdad », dit l’un, et l’autre ajoute : « Ceux qui sont les pires, ce sont les éditeurs assis derrière leurs pupitres qui piquent quelques images de ton histoire à toi et qui en font la leur ». Tom Stoddart (Ghetty Images) résume l’essentiel : « On profite de nous dans tous les cas. Mais du Vietnam à Abou Ghraib, les images finissent par être vues. Le journalisme photographique doit rapporter la vérité ».

Les images peuvent aider la population qui souffre

Ce sont les photojournalistes engagés dont on voit les portraits qui, par leurs informations, veulent exercer une influence sur la vie sociale et politique et qui considèrent cela comme le commandement suprême du journalisme photographique. « Le Photojournalisme a changé beaucoup de choses », dit Diego Levy (Vu) : « Ils faut que nous prenions des photos toujours meilleures, qui soient de plus en plus touchantes. Lorsque je suis sur le terrain, je n’ai pourtant pas ce but, je fais un reportage concret. Si ensuite celui-ci change quelque chose, c’est un très grand honneur. » Et Goran Tomasevic (Reuters) ajoute : « Les images sont plus fortes que les textes. Elles peuvent aider la population qui souffre. » Stanley Greene (Vu) ajoute modestement : « C’est notre but. » « Nous n’avons pas le sujet le plus populaire. Nous tambourinons sur les crânes des gens » (Banging on People’s Heads). J’espère au moins qu’au 24e siècle, on regardera en arrière et que l’on dira : « Ce que l’on a fait à cette époque-là, c’était affreux, ne faisons pas les mêmes fautes. »

L’homme derrière la caméra

Si le visiteur apprend, sous le titre « My kind of portraits » de Goran Tomasevic, que celui-ci a pris une photo de l’écroulement de la statue de Saddam le jour même où son ami venait de mourir en Irak, des images affluent à son esprit, qui donnent à la photo un sens nouveau. Et s’il écoute Peter Dejong (Associated Press) raconter que dans la guerre de Tchétchénie, dans une situation extrêmement dangereuse, il avait photographié un homme et une femme contraints à tout quitter, par un temps glacial et dans la neige, parce que l’homme consolait la femme et que « ce faisant, il me consolait moi aussi », alors un homme commence à vivre derrière les images.

Et l’homme derrière la caméra se fait encore plus visible dans les instants où il ne prend pas de photos. Sous le titre (« Camera down ») beaucoup d’entre eux racontent comment ils ont dû consoler, sauver des hommes ou les laisser en paix au lieu de prendre des photos. Stanley Greene, par exemple, raconte comment un groupe de journalistes conduits pendant le cessez-le-feu de 40 heures dans une zone de combat au Liban, s’est vu confronté à un asile de handicapés. Tous ont enlevé leurs caméras et leurs vestes de sécurité encombrantes et ont chargé un handicapé sur leurs épaules. Ils les ont portés à travers barbelés et marais et ils les ont sauvés. Ce n’est qu’après qu’il ont pleinement réalisés quel danger ils avaient couru, que les Israéliens auraient pu revenir à tout instant …

C’est l’engagement et la déontologie qu’expriment les attitudes, les paroles et les expressions des photojournalistes. Grand événement pour nous que cette exposition, où Goran Galic et Gian-Reto Gredig ont, en toute modestie et simplicité, amené leurs collègues devant la caméra.

Source
Horizons et débats (Suisse)

« Photographers in Conflict », exposition dans la Kunst­haus Glaris, jusqu’au 19/8/07