Les Américains se plaisent à rappeler que leur Constitution est si parfaite qu’elle n’a pratiquement jamais eu besoin d’être retouchée. Cette remarque ne devrait toutefois pas s’étendre à leur système électoral pour l’élection présidentielle.
Le scrutin indirect et le mode de désignation des grands électeurs amène une sur-représentation des petits États et il est possible, bien que rare, qu’un candidat entre à la Maison-Blanche en ayant perdu le vote populaire mais en ayant gagné la majorité des grands électeurs. Cela s’est produit à trois reprises depuis la Guerre de Sécession et le dernier épisode en date fut l’élection de George W. Bush, devancé en 2000 de plus de 500 000 voix par Al Gore. Il est difficile dans ces conditions d’expliquer que toutes les voix ont le même poids et que chaque vote compte. Il y a même là un encouragement à l’abstention. Sachant que 80% des États américains ont une profonde tradition démocrate ou républicaine et ne changeront pas leur vote, George W. Bush n’a aucune chance de remporter l’État de New York ou celui du Massachusetts, John Kerry dans l’Utah, en Arizona ou au Kansas. Les deux écuries concentrent donc leurs efforts sur une dizaine d’États pouvant basculer. Outre l’Oregon, la Floride et la Pennsylvanie, ces États se situent principalement dans le Midwest industriel où sévit actuellement un chômage structurel. Il s’agit de l’Ohio, du Michigan, du Wisconsin et de l’Illinois avec une importante population ouvrière mais à fortes "valeurs" nationalistes. Autre originalité de la loi électorale, elle permet le vote par anticipation. Les électeurs de Pennsylvanie votent depuis le 13 septembre dernier, et d’’ici à la mi-octobre, la quasi-totalité des autres États seront dans la même situation. Ainsi le principe de l’unité de temps, propre à toute élection, n’est curieusement pas appliqué.
Ce mode électoral date de 1787, alors que la nation américaine se créait par l’union d’États qui se voulaient indépendants tout en acceptant de perdre leur souveraineté respective. Mais les temps ont changé et les caractéristiques de ce suffrage indirect deviennent pour le moins anachroniques et font d’autant plus apparaître l’inégalité des citoyens entre eux. L’adoption du suffrage universel direct paraît s’imposer, sauf à continuer à admettre que le principe majoritaire ne s’entend pas au niveau de la nation, une et entière. Aux États-Unis comme ailleurs, l’élection présidentielle conditionne la vie politique pour un temps donné. Elle pèse aussi sur l’état des relations internationales à travers le monde. Puisse-t-elle ne souffrir d’aucune ambiguïté.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Un mode électoral discutable », par Axel Poniatowski, Le Figaro, 30 septembre 2004.