En avril 1999, pendant que la guerre d’agression de l’OTAN fait rage en Yougoslavie, les représentants des pays membres de l’OTAN se rencontrent à New York pour fêter le 50e anniversaire de l’alliance. Peu avant le début des festivités, les représentants décident d’un changement de doctrine qui transforme l’alliance défensive en une alliance offensive. Mis à part le fait qu’une telle alliance représente la négation absolue du droit international, ce changement a été réalisé sans qu’un seul parlement ait eu l’occasion de s’exprimer. Ainsi ce changement de doctrine a été effectué sans aucune légitimation démocratique. Jusqu’à ce moment-là, l’agression contre la Yougoslavie constituait même une violation de la propre doctrine et signifie notamment une flagrante violation du droit international.

L’OTAN, issue da la guerre froide, aurait dû se dissoudre au plus tard après la disparition du pacte de Varsovie et l’écroulement de l’Empire soviétique. Or, cela ne s’est justement pas fait, mais on s’est donné une nouvelle raison d’être qui a rendu possible les guerres dans le monde entier. Ainsi, avec l’OTAN, les Etats-Unis se sont créé un instrument capable de soutenir militairement n’importe quelle intervention – ce qui les a rapprochés d’un grand pas de leur plan de devenir l’unique puissance au monde.

L’armée suisse – une armée d’agression ?

Trois ans plus tard, en 2002 déjà, le conseiller fédéral Samuel Schmid et son Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), ont déclaré par la voix de M. Christophe Keckeis que « l’armée suisse en tant qu’armée purement défensive » était un vestige historique. Ainsi la Suisse – pays neutre, qui avait toujours eu la volonté de défendre sa souveraineté, si nécessaire, par les armes – a été préparée par le DDPS à suivre une nouvelle direction définie par les puissances impériales. La défense nationale a été subordonnée à l’engagement international au profit de l’OTAN, et ainsi de la grande puissance que sont les Etats-Unis.

Au plus tard après le changement de la doctrine de l’OTAN, l’agression contre la Yougoslavie de 1999 et les guerres d’agression que mènent les Etats-Unis contre l’Afghanistan et l’Irak, le commandement de l’armée suisse, dirigé par le conseiller fédéral Schmid, aurait dû se retirer du « Partenariat pour la Paix » (PPP), cet annexe de l’OTAN. Mais au contraire : Aujourd’hui, après l’augmentation à 500 hommes du nombre de soldats suisses prévus pour servir à l’étranger, on réfléchit publiquement sur le renforcement de l’engagement à l’étranger, devenant ainsi de plus en plus complice de la politique de force internationale.

30 soldats suisses pour l’Afghanistan ?

Le 2 avril, on pouvait lire dans le quotidien gratuit « 20 minutes » le gros titre suivant : « 30 soldats suisses pour l’Afghanistan ? ». Dans cet article, il était fait état que « le détachement suisse sera placé sous le haut commandement de l’OTAN et que l’alliance devra aussi assumer des missions de combat pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ». Jusqu’à présent, les officiers suisses se trouvent sous le commandement de la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité), les troupes d’intervention internationale conduites par l’OTAN.
La première intervention armée de soldats suisses à l’étranger s’est faite au Kosovo sous le commandement de l’OTAN. Si un changement, dans quel sens que ce soit, se produisait quant au statut du Kosovo, cela pourrait signifier le retrait immédiat des soldats suisses. Cela préoccupe sérieusement Samuel Schmid puisque l’engagement suisse n’est possible qu’avec un mandat de l’ONU ou de l’OSCE et qu’un retrait des troupes suisses aurait « des conséquences négatives quant à la coopération internationale future ». Au lieu de rappeler aux autres pays leur engagement face au Droit international en vigueur, M. Schmid semble regretter de ne plus pouvoir participer à des engagements à l’étranger. Si le Kosovo devenait indépendant, ce à quoi tiennent avant tout les Américains et les Albanais du Kosovo, le mandat international viendrait à son terme.

Des soldats suisses au Soudan ?

Mais Christophe Keckeis nous a déjà préparé à un tel scénario en juin lorsqu’il a lancé l’idée d’envoyer des soldats suisses au Soudan. A l’époque, les réactions dans les médias avaient été claires, mais néanmoins, il était évident à l’observateur critique que M. Keckeis n’avait guère mis ses pieds dans le plat par hasard, mais qu’il voulait, en porte-parole du DDPS, sonder les réactions et habituer en même temps le public à ce plan. Malgré les réactions critiques, le conseiller fédéral Schmid a envoyé deux spécialistes du DDPS pour une mission de reconnaissance au Soudan méridional. Ainsi, le DDPS est en pleine planification. Selon la NZZ am Sonntag du 2 septembre, le conseiller fédéral Schmid est désireux « de renforcer l’engagement de personnel au Soudan méridional ». Même ceux qui ne connaissent que partiellement la situation, savent quelle est la situation difficile du Soudan. Le pays est riche en matières premières et possède de vastes terrains de cultures très fertiles, au point que les puis­sances industrielles s’y disputent les domaines d’influence. Il y a notamment une lutte d’influence entre la Chine, les Etats-Unis et la République fédérale allemande. Le mandat onusien, doté d’un contingent de 26000 soldats, qui leur permet non seulement d’intervenir pour le maintien de la paix, mais aussi pour son imposition – mandat accepté au Conseil de sécurité sous la pression des Etats-Unis – est un résultat de cette lutte. Comme pour l’Irak, il existe pour le Soudan aussi le plan de découper son territoire pour mieux pouvoir exploiter ses ­matières premières, notamment le pétrole. De quel côté l’armée suisse veut-elle se placer face à une telle situation ? Du côté des populations civiles qui n’ont pas voix au chapitre ?

Le CICR et le DDC –voilà nos « armes » pour l’étranger !

Dans un article paru dans la Neue Zürcher Zeitung du 4 juin M. Bruno Lezzi, expert militaire et familier du DDPS, affirme « qu’au cours de l’année 2007, des officiers suisses participent à dix exercices d’état-major. Ces exercices doivent assurer, entre autre, les préalables pour que les participants puissent se familiariser avec les procédés de travail d’état-major usuels aux sein de l’OTAN pour des opérations de paix ». La coopération étroite qui va jusqu’à l’intégration de procédés propres à l’OTAN montre le degré d’alignement opéré par les dirigeants militaires suisses. L’euphémisme employé en parlant d’« opérations de paix » ne signifie en réalité rien d’autre que la guerre, la guerre et encore la guerre. En créant de telles expressions on tente de manipuler le public. Qui oserait s’exprimer contre la sauvegarde de la paix ? Sous le couvert de tels termes, on passe à la conquête de pays, on renverse des gouvernements, on massacre des populations entières. Et nous autres Suisses, allons-nous y participer ?

Depuis des années, le CICR et la DDC (­Direction du développement et de la coopération) pratiquent de l’aide humanitaire pour le développement au Soudan. Voilà la seule voie susceptible d’aboutir à une stabilisation. Soutenir les populations civiles avec des projets d’aide humanitaire, réunir les partis du conflit autour d’une table commune, voilà la voie à poursuivre ! Partout dans le monde, les ­exemples nous montrent que tout ce qui s’écarte de cette voie est construit sur du sable. En 2002 déjà, la diplomatie suisse avait réussi à négocier un armistice entre le gouvernement soudanais et le groupe rebelle SPLA et avait fait en sorte que même les Etats-Unis avaient pris place à la table de négociations en Suisse. Ceci n’est possible que si l’on s’abstient de prendre position pour l’un ou l’autre des partis et qu’on défend, avec persévérance, le respect du droit international et des solutions paisiblement négociées. Voilà ce que nous impose l’heure actuelle. Voulons-nous vraiment mettre en jeu ces instruments-là, uniquement parce qu’un petit groupe de personnes s’empresse de pouvoir servir les grandes puissances ?