Les Verts sont un parti résolument européen et ils viennent encore de le prouver en se prononçant pour l’adoption d’une Constitution européenne par un référendum, organisé le même jour dans les vingt-cinq pays. Donner une constitution à l’Europe serait indéniablement une avancée, mais il ne s’agit pas aujourd’hui de se prononcer sur un principe général. Il nous revient d’émettre un avis sur un texte spécifique qui présente, certes, des avancées, mais qui recèle surtout d’importants et rédhibitoires défauts.
S’il s’agissait d’un simple traité, il serait légitime de faire la balance entre éléments positifs et négatifs, mais comme il s’agit d’un traité constitutionnel, devons-nous accepter au nom de notre volonté de construire l’intégration européenne, de voir inscrits, de façon intangible, des principes que nous combattons ? Nous refusons de « constitutionnaliser » les principes libéraux. Une constitution doit offrir un cadre politique, pas proposer des orientations politiques qui, elles, doivent rester le choix démocratique des électeurs. Exemples d’objectifs assignés par le projet ? « Offrir aux citoyens un marché unique où la concurrence est libre et non faussée », « Œuvrer pour une économie sociale de marché hautement compétitive », organiser « une agriculture hautement compétitive » dont il faut « accroître la productivité ». Les services publics sont remis en cause : l’article 56 interdit les aides publiques qui « faussent ou qui menacent de fausser la concurrence ». Toute politique visant à imposer des mesures de protection de l’environnement pourra ainsi être refusée. Pis : Euratom, traité de promotion de l’énergie nucléaire au niveau européen, figure dans un protocole annexé. S’il faut « constitutionnaliser l’économie », pourquoi les notions de partage, d’entraide et de coopération ne sont-elles jamais mentionnées ? Pourquoi la promotion des services publics européens, ou d’un salaire minimum, n’ont-elles pas leur place ?
Au plan institutionnel, l’ampleur du déficit démocratique demeure. La confusion des pouvoirs entre la Commission, le Conseil et le Parlement, source d’opacité dans la prise de décision, n’est pas modifiée. Le Parlement n’a toujours pas d’initiative législative et le droit à pétition par un million de citoyens constitue une simple invitation à la Commission. Tout cela ne serait pas si grave s’il ne fallait pas l’accord des 25 pour changer une virgule au texte. En outre, le texte n’assure toujours pas l’indépendance de l’Europe et continue de soumettre sa défense à l’OTAN tout en exigeant un perpétuel réarmement (art. I-40 : « Les États membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires »).
Pendant la campagne européenne, les Verts avaient souhaité, unanimement, le retrait de la partie III, la modification de la clause de révision ainsi que des modifications dans la partie I. Nous n’avons pas obtenu gain de cause, donc nous devons rejeter ce texte, même s’il est « moins pire » que le traité de Nice, traité qui convient à si peu d’État qu’il devra de toute façon être modifié. Ayons le courage de dire « non ». Positionnons-nous aux côtés de cette large partie de l’opinion publique à laquelle on a déjà fait « avaler » Maastricht en lui promettant des jours meilleurs et qui, depuis, n’a fait que constater les dégâts de « la concurrence libre et non faussée » et de la « haute compétitivité des entreprises » telles que ces notions figurent dans le texte.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Le courage de dire non », par une centaine d’adhérents verts, Libération, 12 octobre 2004.