Des raisons en faveur du référendum contre la loi sur l’agriculture

La autosuffisance alimentaire d’un pays sur la base d’aliments sains, produits en harmonie avec la nature est actuellement une nécessité. Il est indispensable d’assurer la autosuffisance alimentaire. Pour la réaliser, il faut une agriculture paysanne, c’est-à-dire un nombre aussi élevé que possible de petites et moyennes exploitations familiales qui peuvent cultiver leurs terres proche de la nature et de manière durable. Pour cela, il faut aussi un nombre d’animaux domestiques adapté à la superficie et aux conditions du sol. Et avant tout, il faut des conditions cadres politiques qui protègent les bases de vie naturelles du pays notamment le sol, l’air, l’eau, le travail de la famille ­paysanne et ses produits. Cette protection globale est garantie par l’article sur l’agriculture dans la Constitution fédérale, mais elle est cependant constamment minée par les aménagements et réaménagements de la politique agricole. A travers le référendum contre la loi sur l’agriculture nous avons, en tant que citoyens, la possibilité d’exiger – dans l’intérêt d’un approvisionnement en produits alimentaires sains et sûrs – les corrections fondam­entales nécessaires et de reprendre en main notre autosuffisance alimentaire. L’article ci-dessous, présente quelques réflexions à ce sujet.

L’autosuffisance alimentaire : un objectif souhaitable

S’alimenter par ses propres moyens, prendre son destin entre ses mains et répondre aux exigences de la vie rend fort et indépendant. Cela n’est pas seulement vrai pour les individus mais aussi pour chaque pays. Un pays qui s’approvisionne de façon autonome n’est guère sujet au chantage. Sans autodétermination et sans économie productive aucun pays ne peut faire du commerce équitable avec d’autres pays en partenaires égaux pour combler d’éventuels manques de ravitaillement. C’est non sans raison que la plus grande puissance mondiale, ensemble avec d’autres nations, détruit systématiquement les agricultures indigènes des pays pauvres. En submergeant les marchés avec des aliments bon marché, les paysans perdent leur marché de proximité et sont forcés soit d’abandonner soit de produire pour les marchés d’exportation. Cela permet à l’agro-industrie multinationale d’octroyer aux paysans entre autres de la semence génétiquement modifiée et de créer ainsi des dépendances irréversibles. Ce n’est pas non plus sans raison que les mêmes puissances qui, dans les pays où ils font la guerre, détruisent systé­matiquement les banques de semences contenant les vieilles semences traditionnelles et adaptées, à l’instar de ce qui s’est passé en Irak. Ainsi, un développement culturel millénaire a été détruit irréversiblement. Cela doit nous faire réfléchir. C’est notre devoir moral et politique de protéger notre propre agriculture pour être en mesure de nous ravitailler de façon autonome et de libérer des forces pour aider ces pays gravement atteints.

Protection des bases de vie naturelles

Nous avons reçu le sol, l’air et l’eau de nos ancêtres et nous avons le devoir de transmettre ces bases de vie aux prochaines générations pour qu’elles aussi puissent en vivre. C’est pour cette raison que nous avons en Suisse une planification d’aménagement du territoire, le droit foncier paysan, la « Lex Koller » et d’autres directives légales. Tout cela pour protéger le sol de la spéculation, de la ­construction abusive et du bradage. Nous devons veiller à ce que le sol reste entre nos mains. Pour préserver la fertilité des terres arables, elles doivent être cultivées de façon appropriée. Pour cette raison, les pays ont besoin d’une agriculture paysanne avec des exploitations familiales qui travaillent soigneusement et de façon durable leur propres terres. Nous pouvons malheureusement observer dans un grand nombre de pays où nous conduit l’agriculture industrielle. Les conséquences en sont des terres détruites par les monocultures, l’emploi massif de produits phytosanitaires chimiques et synthétiques, d’engrais et de grosses machines ; le déboisement de forêts précieuses ; l’engagement du génie génétique avec toutes ses consé­quences désastreuses pour la vie ; la pénurie d’eau suite à une irrigation insensée dans différentes régions du monde. Nous devons nous rendre compte qu’avec nos habitudes de vie et de consommation nous sommes coresponsables de ce développement. Ce sont les pays industrialisés occidentaux qui, par leurs ­comportements de consommation et d’achat, contribuent à la paupérisation et la famine dans les populations des pays moins développés. C’est notre devoir moral et politique de maintenir à l’aide de notre législation nos bases de vie naturelles et de veiller à ce que dans les autres pays cette exploitation effrénée de la nature prenne fin. Le retour à une agriculture proche de la nature et écologiquement durable est la seule voie possible pour améliorer l’accès aux aliments naturels et sains pour tous les hommes dans le monde entier.

Protection des exploitations paysannes familiales

Une paysannerie saine est l’épine dorsale d’un pays. En Suisse, ce furent les paysans libres et conscients de leur propre valeur qui fondèrent la Confédération. Et nous vivons toujours dans cette tradition. Le système coopératif s’est développé en Suisse sur la base de l’idée de l’entraide dans la population ­paysanne. Nous devons renouer avec cette tradition de responsabilité, de gestion autonome et d’entraide. L’indépendance politique n’est possible qu’avec une paysannerie forte. L’agriculture paysanne peut assurer la production régionale d’aliments sains, sans OGM, et adaptée aux données naturelles.
Pour la protection des exploitations familiales, il est nécessaire que les agriculteurs obtiennent un prix couvrant les frais de leurs produits et de leur travail. Car c’est uniquement si leur existence est assurée, qu’ils peuvent travailler leurs terres en les ménageant et s’occuper de leurs animaux de manière naturelle. En commun avec une paysannerie forte, les pays ont de bonnes conditions pour le développement d’une économie centrée sur les régions, orientée en grande partie sur le modèle des cycles fermés.
Une agriculture paysanne a besoin de propriété foncière. L’histoire nous apprend qu’une agriculture qui agit pour le bien commun s’est développée là où l’homme est enraciné dans son sol. Les hommes déracinés n’ont plus ce lien. S’ils atteignent des positions de pouvoir, ils ne sont pas conscients de la responsabilité qu’ils tiennent entre leurs mains. De l’autre côté, ce sont aussi des personnes déracinées qui sont forcées de quitter leurs pays pour servir quelque part dans le monde des maîtres étrangers ou de chercher une nouvelle existence. Là aussi, nous sommes co-responsables, car ce sont les élites riches des pays occidentaux qui déracinent les gens en propageant le système économique mondialisé. C’est pourquoi notre devoir politique et moral consiste aussi à créer dans notre pays une législation qui protège la paysannerie et les exploitations familiales.

Protection de nos propres produits alimentaires

Si nous aspirons à l’autosuffisance alimentaire nous devons protéger nos propres produits. Il faut donc les protéger de la concurrence par des aliments importés bon marché. En Suisse, nous avons jusqu’à présent des directives écologiques très strictes dans la culture des céréales et des fourrages ainsi que dans l’élevage des animaux domestiques ; la culture de plantes génétiquement modifiées est actuellement interdite en Suisse. C’est pour cette raison que nous avons en Suisse des aliments d’aussi bonne qualité. Mais ces lois ne s’appliquent que chez nous ! Déjà chez nos plus proches voisins ces directives sont beaucoup moins sévères. La culture de fourrage génétiquement modifié est partiellement permise, les normes pour les engrais et le traitement par pulvérisation, les directives pour les animaux et leur élevage et beaucoup d’autres choses ne sont pas comparables avec nos normes de qualité. Les médias nous informent suffisamment sur les conditions de travail inhumaines dans beaucoup de pays. C’est pourquoi l’exigence de devoir être compétitifs avec nos produits agricoles sur le marché mondial est insensée. En Suisse, les coûts de production sont plus élevés suite aux données naturelles, aux niveaux des salaires et aux standards de qualité et de production souvent plus élevés. Evidemment cela se répercute sur les prix des produits.
Toute personne ayant vécu la Seconde Guerre mondiale ou étudié la situation de ce temps-là, sait à quel point l’autosuffisance alimentaire est importante. Seul un pays indépendant, qui possède les bases pour nourrir lui-même sa population, peut vivre dignement. Pour cette raison, c’est un devoir politique et moral de protéger nos produits agricoles par des dispositions légales. La protection de la propre production doit de nouveau être reconnue comme légitime, car il n’y a rien de plus légitime pour un pays que de protéger ses bases de vie c’est-à-dire notamment son agriculture et son environnement au sens le plus large. Si chaque pays fait de même, un commerce équitable est possible. Et cela nous avancerait un bon bout vers un monde plus pacifique.

Le référendum, un instrument contre la politique agricole (PA) de la Confédération

Depuis 15 ans la Confédération fait avancer la PA dans le sens des directives de l’OMC. Cette politique agricole est développée en tranches de quatre ans. Cette année, la PA 2011 a été débattue au parlement. Tous les 4 ans, les lois faisant partie de la PA (la loi sur l’agriculture, le droit foncier agricole, le droit de bail, la loi sur les allocations familiales dans l’agriculture, la loi sur l’alimentation, et la loi sur les épizooties) sont de plus en plus adaptées à la pensée libérale. Suite à cette orientation on retire, pas par pas, les bases d’existence à l’agriculture indigène et la sécurité des produits aux ­consommateurs. Aujourd’hui déjà, les conséquences de cette politique sont graves : il y a 15 ans, le nombre d’exploitations familiales s’élevait encore à 93 000, aujourd’hui ce ne sont plus qu’un peu plus de 60 000 exploitations et, selon les directives de PA 2011, 30 000 exploitations devraient encore disparaître au courant des prochaines années. Environ 30% des agriculteurs suisses vivent aujourd’hui de leur substance, une grande partie vivent en ­dessous du minimum vital. Par cette exploitation abusive notre autosuffisance alimentaire est détruite. En même temps, nous perdons de plus en plus nos moyens d’influence pour maintenir la sécurité sanitaire des aliments, par des lois et des ordonnances. Les réglementations ­concernant la qualité, les emballages et les déclarations sont de plus en plus diluées selon les normes de l’UE. Les restrictions techniques du commerce qui servent pour une grande partie à la protection des hommes, de la nature et des animaux se voient sacrifiées au marché libre. Le taux d’autosuffisance alimentaire s’est abaissé à moins de 60%. La disparition de ­terres arables précieuses et le dépeuplement des vallées éloignées avancent.
Pour ne pas continuer d’avancer dans cette impasse, le vigneron genevois Willy Cretegny, a lancé, avec un groupe de personnes engagées, le référendum contre la loi sur l’agriculture ­acceptée en juin par le Parlement. Il s’agit d’un nouveau départ, d’une réflexion fondamentale, d’une nouvelle orientation de la politique agricole. Il s’agit d’inviter tout citoyen à réfléchir et à décider quelle agriculture nous voulons pour notre pays et pour le reste du monde. Les initiants exigent une politique agricole soumise au droit et à la morale et non aux lois du marché, une agriculture qui tienne compte des normes sociales et écologiques, une agriculture avec laquelle les paysans reçoivent un prix équitable qui couvre leurs frais. Il s’agit d’une production alimentaire et d’un approvisionnement en nourriture qui se réoriente vers des conditions de production naturelles et qui élimine les transports insensés. Ce sont donc exactement les exigences qui sont si urgentes de nos jours. Après l’aboutissement du référendum, toutes les forces constructives du pays devront se réunir et réfléchir ensemble comment – par le moyen d’une initiative populaire fédérale – la politique agricole future pourrait être concrétisée dans le sens décrit ci-dessus.
La politique agricole de tous les pays doit se libérer de son orientation vers un marché mondial fictif et s’orienter de nouveau vers les conditions de production et les besoins spécifiques de chaque pays. Si nous voulons un monde plus juste nous devons combattre la faim et la pauvreté par l’augmentation de la souveraineté alimentaire de chaque pays et cela indépendamment du fait qu’il s’agisse d’un pays industrialisé ou d’un pays en voie de développement.

Ce qu’il faut en plus

Si nous savons que la prospérité, dont nous profitons aujourd’hui encore, est produite aux dépens d’autres gens et d’autres pays, nous ne pouvons pas, en tant qu’hommes être réellement heureux dans la profondeur de notre conscience. Quand le voisin va mal, cela me concerne. Actuellement, il faut que tout soit mis en œuvre pour que le référendum aboutisse. A part cela, la question du mode de vie se pose à chaque citoyen individuellement. Si nous nous rendons compte que nos habitudes d’alimentation et de consommation ont un impact direct sur la situation dans le monde, nous pouvons là aussi apporter notre contribution. •

Source
Horizons et débats (Suisse)