Il y eut d’abord les vacances états-uniennes de Nicolas Sarkozy, puis le déplacement de Bernard Kouchner à Bagdad. Fin août, le Président de la République menaçait l’Iran de la guerre, si Téhéran ne se soumettait pas à la volonté des Occidentaux. Dimanche dernier, enfin, le ministre des Affaires étrangères vient d’enfoncer le clou, en prévenant les Français de se préparer au pire, c’est-à-dire à la guerre. En un mois, la politique de la France a basculé.

On connaissait la fascination exercée par les États-Unis sur Nicolas Sarkozy. Celle-ci l’avait amené à perdre toute mesure, pour ne pas dire toute décence, quand il n’avait pas craint, l’automne dernier, de dénoncer, à New York « l’arrogance » de la politique française. De quelle « arrogance » pouvait-il s’agir, sinon de l’indépendance marqué par la France dans la crise irakienne ? Par la suite, il avait expliqué n’avoir jamais approuvé l’invasion de l’Irak. Ce qui est vrai. Mais il est tout aussi vrai qu’il ne l’a jamais condamné. Et si un doute était encore permis, la nomination de Bernard Kouchner à la tête de la diplomatie française a achevé de le lever. Le choix présidentiel s’est ainsi porté sur un des rares hommes politiques français à avoir applaudi à l’intervention anglo-saxonne.

Les vacances états-uniennes de Nicolas Sarkozy ont bientôt lancé un autre signal inquiétant. Si encore il avait choisi les Rocheuses ou la Floride pour lieu de villégiature ! Mais il s’est retrouvé à une heure de route de la résidence d’été des Bush. On se tromperait à n’y voir qu’une banale coïncidence. Cette proximité a permis une rencontre des deux présidents. On n’imagine pas qu’il n’y fut question des hot dogs.

Fort étrangement, quelques jours plus tard, Bernard Kouchner s’envolait pour Bagdad. Qu’on nous comprenne bien ! Le dialogue franco-américain est nécessaire. D’autre part, un tel voyage n’est pas en soi condamnable. Une politique est affaire de circonstances. À ce titre, elle peut donc évoluer. Mais ici ce n’est pas de pragmatisme qu’il s’agit. Bernard Kouchner n’a en rien cherché à se démarquer de la politique US. Au lieu de cela, avec une joie non dissimulée, il a martelé que la politique de la France a changé. Une telle précipitation est une faute. Alors qu’après le départ de Tony Blair, les Britanniques prennent leurs distances par rapport à une politique désastreuse, c’est le moment choisi par Nicolas Sarkozy pour donner des gages à un président dévalué, dont l’action en Irak n’est plus soutenue que par un tiers de la population états-unienne.

L’ultima ratio

Avec l’affaire iranienne, la boucle est bouclée. La France se range dans le camp des ultras derrière George W. Bush dont il est à craindre qu’il ne décide une intervention armée contre l’Iran avant la fin de sa présidence. Il se dit d’ailleurs de plus en plus qu’avant le recours à l’ultima ratio, Nicolas Sarkozy serait prêt à soutenir l’option de sanctions aggravées contre Téhéran, même si celles-ci ne recevaient pas l’aval des Nations Unies. Si l’on ajoute que, dans le même temps, la France renforce sa présence militaire en Afghanistan, on mesure bien que cet alignement est général. Le mot n’est pas trop fort. Nicolas Sarkozy est en train de jeter aux orties la politique d’indépendance qui, fût-ce avec des nuances, fut menée par les divers présidents de la Ve République dans le sillage de Charles de Gaulle. Ce revirement frise l’irresponsabilité. Tout se passe comme si Nicolas Sarkozy voulait occuper auprès de George W. Bush la place laissée libre par Tony Blair. Tout se passe comme s’il aspirait à devenir le « brillant second » de la puissance US. Plutôt que de jouer les Matamore, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner seraient bien inspirés de faire entendre raison aux États-Unis. Depuis que l’administration Bush a commis la colossale erreur de livrer l’Irak aux chiites, les deux dossiers irakien et iranien sont étroitement liés. La seule alternative à une guerre aux conséquences incalculables est d’engager avec l’Iran la grande négociation à laquelle il est prêt. Plutôt que de prendre l’habit du courtisan, Nicolas Sarkozy doit s’employer à en convaincre ses partenaires états-uniens. C’est aujourd’hui le meilleur service qu’un ami des États-Unis puisse leur rendre. Ce ne serait après tout que suivre les recommandations de la commission des Sages présidée par James Baker, l’ancien secrétaire d’État du Président Bush père. Le temps presse.

Cet article a été initialement publié par la Lettre de l’indépendance.