L’administration Bush n’a pas tenu ses promesses, tant au plan de la politique intérieure (organiser une politique compassionnelle) qu’étrangère (renforcer la coopération internationale avec les puissances extérieures). Je suis convaincu que si Kerry était élu, on assisterait à un changement drastique de politique étrangère. Il tiendra davantage compte de l’avis de ses alliés, notamment de l’Europe.
L’Europe constitue une entité économique et culturelle essentielle au sein du monde contemporain, mais ce n’est ni une force politique, ni une force militaire suffisante, ce qui limite son rôle sur la scène internationale. Un effort aussi substantiel que fondamental doit être consenti en matière militaire afin que se constitue une Europe de la défense digne de ce nom. Pour cela, il faut de l’argent. En l’état actuel des choses, aucun des pays membres de l’Union ne semble hélas prêt à satisfaire à cette exigence financière. Aujourd’hui, il existe une crise dans la région dont les frontières se dessinent du sud de la Russie jusqu’à l’Océan Indien et de Suez au Sinkiang. Ce territoire décrit une ligne de fracture idéologique l’opposant non seulement aux États-Unis mais aussi à la totalité du monde occidental. Et je crois que la réponse la plus adéquate à la crise imposée par cette nouvelle ligne de fracture ne peut qu’émaner des États-Unis, en premier lieu, et aussi de l’Europe. En effet, comme le montre la crise irakienne, l’Amérique ne peut régler à elle seule tous les conflits. Je crains que nous courions de grands risques de voir les sombres prophéties de Samuel Huntington se réaliser. Pour empêcher sa réalisation, il faut une collaboration entre les États-Unis et l’Europe. Malheureusement, la brutalité des néo-conservateurs complique tout ; leur politique est inefficace.
Le mode de résolution de la crise israélo-palestinienne passe nécessairement par les États-Unis. Les Israéliens et les Palestiniens ne peuvent, de toute évidence, résoudre le problème à eux seuls. Seulement, encore une fois, si les États-Unis exposent publiquement les principes de base d’un plan de paix et ses grandes lignes, ils devront associer l’Europe à cet effort. Il est également indispensable que cette dernière accepte d’assumer une partie du coût financier et militaire d’une formule qui sera nécessairement imposée de l’extérieur aux deux peuples.
Est-il possible d’envisager une sécurité planétaire dans laquelle les États-Unis ne joueraient pas un rôle prédominant ? À quels problèmes le nouveau président des États-Unis devra-t-il se colleter en priorité ? Le prochain locataire de la Maison-Blanche sera confronté, au niveau national, à un accroissement de la crise budgétaire et, au niveau international, à une intensification des hostilités contre les États-Unis.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« La formule néoconservatrice est inefficace », par Zbigniew Brzezinski, Le Figaro, 18 octobre 2004. Ce texte est adapté d’une interview.