thk. Samuel Schmid, chef du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) a un problème. Où faire intervenir, à l’étranger, les 250 soldats supplémentaires que le Parlement lui a accordés ? 250 hommes sont déjà stationnés depuis des années au Kosovo, et si les Serbes et les Albanais du Kosovo arrivent vraiment à conclure un accord, le mandat onusien arrivera à son terme et nos soldats devront rentrer chez eux. Du coup, il y aura 500 hommes à déployer. Mais où ?
La situation frôle le grotesque. Quand il s’agissait de voter pour Armée XXI, ­Samuel Schmid et le DDPS ne se fatiguaient pas à nous faire croire que la Suisse perdrait l’estime de la communauté internationale si elle ne participait pas aux interventions armées à l’étranger. Il ne s’agirait naturellement que de pures interventions pour la paix puisque, depuis la fin de la guerre froide, les armées sont – aux dires de certains responsables – l’instrument privilégié pour faire la paix. Il est pourtant évident que, ce faisant, des soldats et des civils meurent, comme par exemple en Afghanistan, au Soudan et dans d’autres régions en crise.
On dirait que M. Schmid et le DDPS veulent offrir leurs services aux Etats-Unis sans ambages. Mais comme il est connu qu’un tel projet, s’il est rendu public, se heurterait à une opposition acharnée au sein de la population suisse, il est plus aisé de justifier de telles interventions en les déclarant missions onusiennes. Là, on peut se référer aux engagements auxquels la Suisse doit prétendument faire face depuis son adhésion à l’ONU. Ainsi Bruno Lezzi, journaliste de la Neue Züricher Zeitung, qui se réjouit d’excellentes relations avec le DDPS, a récemment proposé d’« envoyer un contingent de soldats au Liban ». Ainsi, sur l’échiquier mondial, la Suisse se rapprocherait-elle des « Grands » et, en plus, on opèrerait dans une véritable région en guerre. Cette proposition rejoint entièrement la manière de penser du commandant en chef de notre armée, Christophe Keckeis, qui aimerait bien caser des soldats suisses au Soudan. Selon Bruno Lezzi « tout dépendra finalement du genre de troupes dont auront besoin l’ONU, l’OTAN ou l’UE quand ils mettront en place les effectifs pour une intervention ». Donc ce n’est pas seulement l’ONU qui peut solliciter du « soutien », mais également l’UE et l’OTAN peuvent se servir d’un commandement d’armée suisse complaisant. Voilà donc une preuve supplémentaire des buts que poursuit, depuis au moins dix ans, le commandement de notre armée : un rapprochement successif de l’armée suisse vers l’OTAN !

Dans ce cadre, la question des avions de transports qui pourraient transporter nos troupes dans les derniers recoins du monde est soulevée à nouveau, à la façon d’un moulin à prières. Il s’agit d’un souhait qui figure depuis longtemps sur la liste des desiderata de Samuel Schmid. Jusqu’à présent il doit se contenter de quatre hélicoptères réservés aux interventions à l’étranger. Mais des 27 hélicoptères dont dispose actuellement l’aviation militaire suisse on pourrait certainement détacher un ou deux appareils supplémentaires en vue d’une intervention armée d’urgence à l’étranger.
Mais, quand on a réellement besoin d’un hélicoptère dans notre pays, aucun n’est disponible. Ainsi, le juge d’instruction chargé d’identifier les 6 victimes du drame d’avalanche de la Jungfrau, a dû se rendre sur place en train, ce qui a signifié pour lui un voyage de plusieurs heures de St-Gall à Lauterbrunnen parce que prétendûment aucun hélicoptère n’était disponible. Pour les parents concernés, qui avaient déjà appris par les médias qu’un accident avait eu lieu à la Jungfrau, cela a été un martyre d’être contraints d’attendre des heures durant en espérant que leur fils ait été épargné, jusqu’à ce que, finalement, ils apprennent l’incontournable vérité : Notre fils est mort.
Outre cela, la personne chargée de leur transmettre personnellement la nouvelle n’était pas un des officiers responsables ; vraisemblablement, ceux-ci n’avaient pas de véhicules à disposition, sans parler d’hélicoptère.

De l’autre côté on connaît suffisamment l’habitude de nos officiers supérieurs d’utiliser sans hésiter l’hélicoptère pour se rendre à un événement quelconque en Suisse, circonstance qui montre suffisamment où sont placées les véritables priorités dans le commandement de notre armée. On connaît le dicton qui attribue de grands privilèges à celui qui se charge de grandes responsabilités. Et un ancien officier d’ajouter : « ils se comportent comme de petits rois », mais faire la chose la plus naturelle dans une telle situation, c’est-à-dire prendre la pleine responsabilité de ce qui s’est passé à la Jungfrau le 12 juillet, n’est apparemment pas prévu dans le nouveau concept de notre armée. On peut s’imaginer comment les choses se dérouleraient si un soldat suisse devait succomber lors d’une intervention à l’étranger. Qui en serait responsable ? Il est fort probable que ce serait la victime elle-même : _ car en fin de comte elle était volontaire pour participer à cette mission à l’étranger. Il semble bien que l’orientation générale qui prévaut au sein de la nouvelle armée suisse ces derniers temps consiste à laisser les recrues inexpérimentées prendre les décisions. Ainsi l’armée suisse semble ne plus posséder de structure de commandement, fait unique au monde. Or voilà précisément l’impression qui s’impose, et depuis un certain temps déjà !

Les déclarations du président de l’Association suisse des guides de montagne s’insèrent à merveille dans ce scénario. Immédiatement après le drame, il a publiquement soutenu son hypothèse que l’accident n’était pas dû à une avalanche, mais à un faux-pas d’un des participants, version que la direction militaire a répandu avec empressement. Que la décision de l’ascension de la Jungfrau, ce jour-là, ait été prise « démocratiquement » ne vient que couronner ce raisonnement-là.

L’Institut fédéral pour l’étude de la neige et des avalanches de Davos a beau avoir démontré que c’était une avalanche qui a causé la mort des six recrues, le président de l’Association suisse des guides de montagne – qui se trouve pourtant en pleine contradiction avec de nombreux collègues – vient de maintenir son hypothèse à travers un communiqué de presse, intervenant ainsi dans un procès juridique en cours. Au service de qui agit-il ? Son intervention convient avant tout au commandement de l’armée. Jusqu’à présent celui-ci se comporte comme si tout n’avait été que force majeure et destin, hors de la responsabilité du commandement. Dans de telles circonstances, tous les parents doivent se demander si, à l’avenir, ils sont toujours prêts à confier leurs enfants à cette armée-là. •