Le désarmement prévu le 15 octobre en Côte d’Ivoire n’a pas eu lieu et tout le monde a maintenant compris que le blocage ne venait pas du chef de l’État, ni du fait de non-lois non encore votées. Il n’y a pas de problèmes pour faire passer les lois ordinaires. C’est juste une question de temps. Ce qui pose problème, c’est l’article 35 des accords d’Accra sur les réformes constitutionnelles. Le président ne peut pas changer seul la constitution, il a besoin d’un vote du Parlement avec une majorité qualifiée des deux tiers. Pour cela, il faut un retour de l’intégrité territoriale du pays. Alors seulement, un référendum pourra être organisé. Certains ont affirmé que je pouvais utiliser l’article 48 (l’équivalent de l’article 16 de la constitution française, celui là même qui avait poussé François Mitterrand à écrire le Coup d’État permanent), mais cet article ne permet pas de changer la constitution. On me reproche d’opposer une logique juridique à une logique politique, mais les rebelles ont tenté un coup d’État qui a échoué, puis ils ont voulu lancer une guerre civile qu’ils n’ont pas gagnée. Aujourd’hui, ils voudraient toucher les gains politiques d’une victoire qu’ils n’ont pas remportée.
Je n’ai pas pour objectif de reprendre par les armes les territoires sous contrôle rebelle, mais c’est vrai que je suis en train de construire une armée car c’est le devoir d’un chef d’État que de défendre son pays et que pendant 40 ans nous n’avons pas eu de véritable armée. Face à nous, nous avons des groupes qui se sont enrichis grâce à la rébellion, d’anciens chauffeurs qui ont des millions sur leur compte en banque, et qui n’ont donc aucun intérêt à un retour de la paix. Comme toute les rébellions d’Afrique, celle en Côte d’Ivoire, qui est le bras armé du RDR d’Alassane Ouattara, se criminalise.
La rébellion, depuis sa base arrière du Burkina Faso, m’accuse de ne faire aucune concession alors que je leur ai accordé l’amnistie, l’inclusion dans le gouvernement et que je leur ai proposé de soumettre l’article 35 au Parlement après ne serait-ce qu’un début de désarmement. Après, il y aura un référendum. Je ne comprends pas les réticences de M. Ouattara alors qu’il ne cesse de clamer que son mouvement est « majoritaire ».
En Côte d’Ivoire, 70% de la population a moins de trente ans et 40% des jeunes sont au chômage. Une petite partie des jeunes a pris les armes pour attaquer le pays. D’autres ont pris la rue pour défendre la république. Je dis juste que je préfère ceux-là. On ne peut me demander de faire rentrer Guillaume Soro (le jeune chef rebelle, NDLR) au gouvernement et de mettre Charles Blé Goudé (le chef des jeunes patriotes, NDLR) en prison. Quoi qu’il en soit, je condamne les attaques contre les Français. Il existe un clivage fort entre le monde musulman et l’Occident car on n’a pas affronté les problèmes à temps, je pense qu’on s’oriente vers un même schéma entre l’occident et le monde noir. Notons que du jour où Robert Mugabe a été désavoué par l’Occident, il est devenu un des hommes les plus populaires d’Afrique. Il faut éviter la rupture. Après avoir été très tendues, nos relations s’améliorent avec Paris. Pourtant, après l’affaire Julia, où je n’ai fait que prêter un avion dans une opération qui, je le pensais, avait l’aval de l’Élysée, François Hollande a déclaré que j’étais « infréquentable ». Voilà l’illustration de ce que je viens de dire sur les relations entre des pays puissants et riches et d’autres faibles et pauvres. Chez les « grands », on peut se croire autorisé à déverser toute sa bave sur les « petits ». François Hollande se serait-il autorisé ces propos sur George W. Bush ou Vladimir Poutine ?

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Beaucoup de gens n’ont pas intérêt à ce que la paix revienne », par Laurent Gbagbo, Le Figaro 19 octobre 2004. Ce texte est adapté d’une interview.