L’exposition et la publication posthume de son œuvre photographique

L’exposition au musée Bellpark de Kriens (jusqu’au 11 novembre) montre pour la première fois un grand choix des photos aé­riennes du pionnier de l’aérostat et de la photographie Eduard Spelterini (1852–1931). Il était le premier à survoler les Alpes et il les a photographiées, il a fait des prises de vue des villes suisses et il a tenu plus de 600 conférences illustrées par des diapositives de ses voyages d’aventures.

A partir de 1893, les voyages en aérostat ont conduit le pionnier connu dans toute l’Europe au Cervin, à Copenhague et jusqu’au Caire et en Irak. Lors de ses voyages spectaculaires en aérostat, les beautés des paysages de notre terre ont été photographiées d’en haut pour la première fois.
A l’occasion de l’exposition a paru un volume grand format de photos « Eduard Spelterini – Fotografien des Ballonpioniers » avec des prises de vue aériennes époustouflantes. Ce volume rassemble pour la première fois depuis 1928 des prises de vue qui ont été reproduites directement à partir des négatifs en verre originaux.

Les photographies impressionnantes du paysage alpin suisse, les formations de nuages et des photos rapprochées des formations de rochers et de glaciers sont un régal pour les yeux. Les prises de vue en noir et blanc, parfaitement nettes, dépassent en qualité les photos numériques d’aujourd’hui.
L’écrivain Alex Capus décrit dans un portrait biographique l’histoire de cette vie d’aventurier, trois autres auteurs se penchent sur les exploits de l’aérostier en vue de l’histoire de la photographie et de l’aviation. Spelterini a combiné les deux inventions ­d’intérêt mondial de son temps, la photographie et l’aviation, de manière audacieuse et admirable et nous lègue une œuvre grandiose. L’exposition et le livre ont pu être réalisés grâce à la succession de Spelterini et par des prêts de diverses archives et collections officielles.

Du Toggenbourg à Paris

Eduard Spelterini, c’est son nom d’artiste, est né sous le nom de Eduard Schweizer à Bazen­heid dans le canton de Saint-Gall et a, comme jeune homme, déjà beaucoup voyagé en Europe. Il a quitté le Toggenbourg pour d’abord s’établir à Côme, puis pour s’ins­taller finalement à Paris où il a suivi, dans les années 1880, une formation d’aérostier. Là, le pionnier de la photographie Nadar a fait ses premières prises de vue aériennes de la ville de Paris depuis un ballon. Paris était en ce temps-là la plus importante métropole non seulement pour la rivalité entre le pionnier anglais de la photo Talbot et le Français Daguerre au sujet de la technique photographique, mais aussi pour les pionniers de l’aviation. Il s’agissait à ce moment-là de développer un processus par lequel – pour ne plus avoir qu’une seule et unique image – on pouvait reproduire par un processus de développement optique et chimique plusieurs reproductions positives à partir d’un négatif. C’était la naissance de la technologie photographique qui n’a pas fini de se développer de manière dynamique, ce qui n’a pas seulement influencé l’art mais aussi la vie quotidienne des hommes et le journalisme. Eduard Spelterini est rapidement devenu le pionnier le plus actif au monde dans le domaine des aérostats et de la navigation aérienne. Il avait des contacts avec des personnalités renommées et il n’a pas tardé à acquérir une notoriété internationale. A partir de 1893, il a commencé à photographier depuis la nacelle de son ballon et a fixé sur pellicule quantités de vues aériennes fantastiques. Les photos de la ville du Caire ou du désert qui l’entoure, des pyramides de Gizeh, ses prises de vue du ­Proche-Orient, d’Afrique du Sud et de l’Extrême-Orient illustrent les dimensions temporelles et historiques de notre monde.

Au-dessus des nuages

Le commandant Spelterini a entrepris plus de 570 vols en aérostat dans toute l’Europe. « On considère comme son exploit de pionnier de l’aéronautique la première traversée des Alpes en octobre 1898 avec l’aérostat Wega, qu’il a entreprise notamment avec le géo­logue bien connu Albert Heim. » Heim était enthousiaste : « De voir de mes propres yeux ce qu’avant je ne pouvais que m’imaginer, a été un plaisir inestimable ! » Le voyage les a conduits de Sion par-dessus les Alpes valai­sannes et l’Arc jurassien jusqu’à Besançon.
C’est seulement sur « l’insistance véhémente de ses compagnons qu’il a pu être dissuadé de dépasser l’altitude de 6000 mètres ».
Spelterini s’y entendait pour emmener des personnalités connues dans ses vols, ce qui a aidé à rendre populaires ses voyages en ballon. Ainsi l’écrivain J. C. Heer a édité en 1892 le livre « Im Ballon – Fahrten des Capt. Spelterini » (dans l’aérostat – voyages du commandant Spelterini), dans lequel il a décrit ses aventures personnelles, celles d’autres passagers et celles du commandant : « Depuis douze ans déjà, Spelterini est un aérostier et voyageur infatigable. A Paris, ­Londres, Vienne, Berlin, Naples, Athènes, Constantinople, Bucarest, Saint-Pétersbourg, Moscou, Kiev, Alexandrie, le Caire, Bombay et des douzaines d’autres villes et, ces derniers temps, avant tout dans des villes ­suisses, on a pu voir s’élever son aérostat, souvent pour des courses promenades, souvent pour des voyages de grande envergure, souvent sous le soleil, parfois sous la pluie et la tempête, sous les éclairs et le tonnerre. Parmi ses passagers on trouve des scientifiques et des artistes, des hommes d’Etat et des stratèges, des ducs et des comtes… », et Heer souligne que malgré les différences des positions sociales, au-dessus des nuages tous « ne sont rien de plus que – des hommes ».

Le ballon avec sa nacelle en osier pour les passagers mesurait 17 mètres de haut et ­15 mètres de large, il contenait ­1500 mètres cube de gaz et il était fabriqué à Paris sous la direction de Spelterini avec des carrés et des losanges de soie imprégnée d’huile de lin cousus ensemble. Pour le renforcer, l’aérostat était en plus entouré d’un filet de cordes de chanvre. Par cette tech­nique, on pouvait éviter le danger d’une destruction complète de l’aérostat lors d’une mésaventure ou d’une déchirure. A cette époque, déjà le transport de l’aérostat jusqu’à l’endroit de l’envol était pénible. Un voyage tempétueux de Vienne en direction de la Hongrie a débuté de la manière suivante : « Le vent qui avait soufflé violemment jusqu’à 9 heures du matin est tombé et des cumulus annonçant un éclaircissement traversaient le ciel avec une vitesse modérée ; mais bientôt le temps s’est de nouveau dégradé, des coups de vent du nord-ouest secouaient de temps en temps les vieux arbres du Prater et poussaient le ballon rempli aux trois quarts en direction des voitures qui entouraient l’emplacement, ce qui a effarouché les chevaux, et les soldats engagés avaient toutes les peines du monde à retenir le colosse récalcitrant. »

Lors de ses voyages, l’aérostier transportait aussi des pigeons voyageurs. D’une course au-dessus du lac de Zurich un pas­sager rapporte comment ils avaient transmis des salutations sur un bout de papier aux gens en dessous d’eux : « Nous avons mis les salutations dans un tuyau attaché sur la plume directrice du pigeon et le commandant a fait passer le charmant animal à la ronde pour que chacun puisse donner un baiser au messager, comme bénédiction pour son vol. Mais le gentil oiseau ne voulait pas s’envoler tout de suite, il est resté un bon moment posé sur le bord de la corbeille. Ensuite, dans une spirale du nord vers l’est, il s’est élancé vers le bas et a disparu de la vue. »

Les voyages, un désir de culture reliant les peuples

A part son intérêt scientifique, Spelterini avait aussi un côté artistique et philosophe. Lors de ses courses, il chantait pour ses passagers, accompagné de sa guitare, des airs d’opéra et des chansons italiennes. Avec ses vols et ses photographies, il voulait faire plaisir et former les gens. Le fait de voyager était à cette ­époque bien plus une recherche de formation et de culture qu’aujourd’hui. Avant de partir en voyage au-dessus de pays étrangers, il fallait étudier les données géographiques et culturelles pour pouvoir ensuite les trans­mettre aux passagers et plus tard au public de ses conférences. Ainsi nous lisons chez J. C. Heer à propos d’un vol avec l’« Urania » vers l’Egypte : « Un souffle romantique entoure les ruines du pays des pharaons aux pied des­quelles la culture moderne a installé des voies de chemin de fer, tandis qu’on sent dans l’air le génie de l’histoire vénérable de quatre mille ans. Chaque pouce de la terre égyptienne et consacré par de grands souvenir historiques, mais chaque pouce est aussi l’endroit de la lutte entre la modernité et l’antiquité. »

Dans ses nombreuses conférences, et ses récits de voyage, il s’est adressé à des associations et des institutions pour transmettre ses expériences et ses connaissances. Dans ses lettres, il a décrit très clairement ses nouvelles photographies et les sujets de ses conférences. Il finançait ainsi sa vie et ses vols. Son intérêt était aussi de réfléchir au sens de la vie à travers la tranquillité et la nouvelle perspective que procuraient les vols en aérostat, et d’avoir ainsi plus de vénération pour ce qui s’est développé au fil du temps. « Ce faisant, je sais qu’infiniment moins d’incompatibilité déchirante, infiniment moins de soucis autour de l’argent, des biens, de l’honneur, et de la notoriété seraient dans le monde, mais aussi infiniment plus de vie intérieure et de paix de l’âme. »

Le grand pionnier aérostier et photographe à succès est décédé sans moyens en Autriche. Il a été trop vite oublié après l’invention des avions. Il est méritoire de rendre hommage à cet homme et de rendre possible l’accès à son trésor d’images. •

Informations sur l’exposition et la publication :
Musée de Bellpark, Kriens, jusqu’au 11 novembre
Mercredi à samedi de 14 h à 17 h,
dimanche de 11 h à 17 h
Téléphone : +41 41 310 33 81, museum@bellpark.ch
Le livre a paru aux Editons Scheidegger&Spiess

www.scheidegger-spiess.ch

Source
Horizons et débats (Suisse)