Tendances et événements au Proche-Orient

Les déclarations et commentaires qui ont accompagné et suivi la conférence d’Annapolis renforcent l’analyse faite par de nombreux observateurs arabes sur les réels objectifs de cette rencontre. Les Israéliens ont exprimé des positions fermes et intransigeantes sur les questions clé, réaffirmant que la priorité doit aller à la lutte contre les mouvements de résistance en coopération avec l’Autorité palestinienne. Pendant ce temps, l’État hébreu poursuit les préparatifs pour une agression d’envergure sans précédant contre la Bande de Gaza. Le quotidien de Gaza est fait de bombardements, d’assassinats et d’incursions, tandis que la population vit dans des conditions d’une extrême précarité, à cause des punitions collectives infligées par les Israéliens.
La photo-souvenir qui a réuni des dirigeants et responsables arabes et le Premier ministre Ehud Olmert était un des produits préférés d’Annapolis exploités par les médias israéliens. De même que la presse israélienne a relevé que les propos adressés par Olmert au président de l’Autorité palestinienne ressemblaient plus à des instructions qu’à un échange d’idées entre deux dirigeants.
George Bush aussi a quitté Annapolis avec un album bien fourni en photos-souvenir. Il pourra les exploiter dans le cadre de la campagne électorale de son parti pour montrer à l’opinion publique qu’il sait faire autant la paix que la guerre, et qu’il a pris en considération les recommandations de la Commission Baker-Hamilton.
La Syrie, elle, a profité de sa participation à la Conférence pour réaffirmer devant le monde son attachement à son droit légitime à récupérer le Golan. Dans son allocution, le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Fayçal al-Mokdad, aussi critiqué l’absence du médiateur impartial entre Arabes et Israéliens.

Presse et agences internationales

THE ECONOMIST (HEBDOMADAIRE BRITANNIQUE)
 David Ignatius
Le doute permanent qui a toujours accompagné les efforts de paix israélo-arabes explique les raisons pour lesquelles les attentes de la Conférence d’Annapolis étaient modestes. Mais Annapolis a malgré tout réussi quelque part, et le processus lancé mardi pourrait être couronné par un accord de paix. Une lecture attentive du document commun annoncé par George Bush permet de définir les réalisations accomplies et les faiblesses qui persistent. Parmi les succès, l’engagement qui contraint les deux parties à entamer des négociations autour de toutes les questions litigieuses sans exception. Bien que le texte ne mentionne pas quelles sont ces questions, les négociateurs savent pertinemment qu’il s’agit de Jérusalem et du droit au retour des réfugiés.
Le dernier paragraphe est le plus controversé : « La mise en œuvre de l’accord de paix est tributaire de l’application de la Feuille de route conformément à l’évaluation des États-Unis ». Ici, les Israéliens ont obtenu une importante concession. Le futur traité de paix n’entrera en vigueur que si Israël obtient la sécurité sur le terrain. Mais à leur tour, ils ont fait une concession de taille en acceptant que les États-Unis évaluent l’état de la sécurité et non pas eux-mêmes.
La présence de l’Arabie saoudite, de la Syrie et des autres pays arabes est un signe que les Arabes seraient disposés à normaliser leurs relations avec l’État hébreu.
C’est la peur de l’influence grandissante de l’Iran et des extrémistes qui a poussé les Saoudiens à participer à Annapolis. Mais il est erroné de croire que la conférence est un simple prétexte pour donner naissance à un front anti-iranien. Les Syriens sont venus car il leur a été clairement dit que les questions qui les intéressent seront mises sur la table. L’ordre du jour a mentionné « Israël et la Syrie et les volets des négociations séparées entre Israël et ses voisins ». De hauts responsables israéliens, parmi lesquels figure le ministre de la Défense, Ehud Barak, appellent à des négociations entre l’État hébreu et la Syrie. En participant à la conférence, Damas a prouvé qu’il était prêt à entrer dans le jeu.
En dépit des obstacles, des difficultés et du flou qui entourent Annapolis, cette conférence pourrait déboucher sur la paix.

AL-KHALEEJ (QUOTIDIEN EMIRATI)
En comparant Annapolis aux précédentes conférences, la crainte de voir cette rencontre avoir de dures conséquences sur les Palestiniens se justifient. Les rapports de force sur le terrain ne sont pas en leur faveur, les divisions internes sont profondes, le terrorisme israélien est à son paroxysme, la géographie palestinienne est très réduite, et la situation des Arabes est désespérée, à cause de la plaie irakienne.
Le document commun d’Annapolis ira rejoindre tous ceux qui l’ont précédé et qui n’ont jamais réussi à mettre un terme à l’occupation israélienne. Oui, Israël est en train d’étendre son influence sur toute la géopolitique vitale du Moyen-Orient, après la « reconnaissance » arabe.

• Dans un article publié dans plusieurs journaux arabes, Thomas Friedman estime que le Moyen-Orient vit aujourd’hui une situation qu’il n’a pas connu depuis longtemps : les modérés ont choisi de s’asseoir à une même table pour faire face aux extrémistes. Mais cette région a souvent vu la victoire des extrémistes sur les modérés. Ces derniers sont mus par la peur et non pas par une vision commune d’une région où sunnites, chiites, Arabes et juifs, vivraient en paix, coopèreraient, commerceraient, et établiraient des échanges, comme c’est le cas entre les pays d’Asie du Sud-Est.
La peur, surtout inspirée par al-Qaida, pourrait être un catalyseur efficace. C’est cette même peur qui a poussé les tribus sunnites en Irak à faire face au terrorisme aux côtés des États-Unis, et les chiites à coopérer avec les États-uniens face à l’Armée du Mehdi. C’est elle aussi qui a rapproché le Fatah d’Israël face au Hamas. C’est également la peur de l’influence iranienne qui a encouragé l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Égypte à coordonner davantage avec les États-Unis. C’est, enfin, la peur de se retrouver isolée qui a convaincu la Syrie à aller à Annapolis.

• Dans un article publié dans plusieurs journaux arabes, Paul Richer et Richard Bordo soulignent que l’accord conclu entre les Israéliens et les Palestiniens pour relancer les négociations de paix a évité de faire allusion aux questions clé, surtout au rôle des États-Unis pour régler ce conflit qui dure depuis 59 ans. Le document commun est flou et ne parle pas des questions essentielles, ce qui satisfait Israël qui a insisté pour que toutes les décisions difficiles soient inclues dans la négociation qui va commencer. Ce flou constitue, par contre, un revers pour le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui avait un besoin pressant de montrer à ses électeurs qu’il a pu obtenir une contrepartie des négociations délicates qu’il va entamer.

• Dans un article publié dans plusieurs journaux arabes, Paul Felili et Fred Geidrich, rappellent que les États-Unis ont dernièrement qualifié les Gardiens de la révolution iranienne de terroristes. Mais la majorité des États-uniens estiment que cette mesure est insuffisante, d’autant qu’ils savent que ce corps d’élite et l’ensemble du régime mènent depuis 28 ans une campagne placée sous le slogan « Mort à l’Amérique ». C’est l’Ayatollah Khomeiny qui a fondé les Gardiens de la révolution dont la tâche était de protéger les valeurs de la révolution chiite contre ses ennemis internes et externes et d’exporter une copie de cette révolution barbare et de son terrorisme islamique vers les pays voisins.
Ce corps d’élite est indépendant de l’armée régulière et prend ses ordres directement du Guide suprême de la révolution, l’Ayatollah Ali Khamenéi. Ses effectifs sont de 200 000 hommes, répartis entre les unités spéciales, les forces aériennes, les unités navales et les sections de renseignements.
Les Gardiens exportent la révolution par le biais de la brigade al-Qods, qui compte 20 000 hommes. Il s’agit de combattants extrêmement bien entraînés aux techniques de la guérilla, de la rébellion, et du terrorisme, dans des endroits comme l’Irak, le Liban, la Cisjordanie et Gaza.
Les sondages montrent que 52 % des États-uniens sont favorables à une frappe militaire contre l’Iran pour l’empêcher de développer l’arme atomique. Les États-uniens méritent une politique qui renverserait les mollahs extrémistes.

Tendances et événements au Liban

L’intérêt des milieux politiques et médiatiques s’est porté sur le revirement spectaculaire des loyalistes (14-mars) qui ont proposé un amendement constitutionnel qui permettrait l’élection du commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleimane, après avoir catégoriquement rejeté cette option pendant les semaines de négociations qui ont précédé la fin du mandat du président Emile Lahoud. Le chef de la coalition au pouvoir, Saad Hariri, avait rejeté cette proposition qui lui avait été faite par le président de la Chambre, Nabih Berry (Opposition), au début de leur dialogue bilatéral, en octobre. Le chef de l’ancienne milice des Forces libanaises Samir Geagea (14-mars), s’était même rendu à Bkerké, en septembre, pour convaincre le Patriarche maronite, Nasrallah Sfeir, de revenir sur une déclaration dans laquelle il appuyait l’amendement de la Constitution si cela « permettait de sauver le Liban ». C’est ce même Samir Geagea qui a donné le signal du revirement en affirmant, mardi, qu’il envisageait l’amendement constitutionnel, une mesure nécessaire pour l’élection du général Sleimane, car la loi fondamentale interdit l’accession à la présidence d’un fonctionnaire de première catégorie.
Cette surprenante proposition a suscité de nombreuses interrogations sur ses motivations. La plupart des analystes expriment des doutes sur son sérieux et pensent qu’il s’agit d’une manœuvre du 14-mars destinée à faire d’une pierre plusieurs coups :
 L’opinion publique chrétienne a resserré les rangs derrière Michel Aoun après avoir réalisé le rôle joué par les chrétiens du 14-mars dans la vacance à la présidence de la République. En feignant d’appuyer la candidature du général Sleimane, populaire chez les chrétiens, ils espèrent embarrasser Michel Aoun et lui faire assumer l’échec de cette tentative de régler la crise. Mais le chef chrétien de l’opposition a réagi en affirmant qu’il attendait de voir le projet d’amendement de la Constitution avant de se prononcer.
 Si le gouvernement de Fouad Siniora élabore un projet d’amendement de la Constitution et l’envoie au Parlement, deux possibilités se présentent :
a) Nabih Berry refuse de le réceptionner, invoquant le fait que le gouvernement est illégitime et anticonstitutionnel. L’opinion publique, inquiète et fatiguée, fera assumer à l’opposition l’échec de l’entente. Les relations entre l’opposition et l’armée seront sans doute affectée par une telle position.
b) Nabih Berry accepte de recevoir le projet et reconnait, par conséquent, la légitimité du gouvernement, lui ouvrant ainsi la voie afin qu’il exerce les prérogatives présidentielles.
Par ailleurs, de nombreux obstacles d’ordre juridique et constitutionnel empêchent la concrétisation de la proposition tardive du 14-mars. Depuis le 14 novembre, le Parlement s’est transformé en collège électoral et n’a pas le droit de légiférer. Sa tâche unique est d’élire un nouveau président de la République.
Cette manœuvre n’a pas perturbé le programme des vastes consultations que Michel Aoun a lancé, lundi, avec des personnalités chrétiennes pour examiner avec elles les moyens de faire face aux tentatives de marginalisation politique de cette communauté. Le chef de l’opposition pourrait annoncer, dans les prochaines 48 heures, la nature des mesures qu’il compte prendre pour contraindre le 14-mars à partager le pouvoir.

Presse libanaise

AS-SAFIR (QUOTIDIEN PROCHE DE L’OPPOSITION)
Le promoteur de la proposition d’amender la Constitution aurait dû emprunter une autre voie que celle des médias pour aplanir les obstacles constitutionnels et juridiques qui se dressent devant la mise en œuvre de cette option. Il aurait dû, d’abord, assurer une large couverture nationale à son projet afin de lui garantir toutes les chances de succès.

AD-DIYAR (QUOTIDIEN PROCHE DE L’OPPOSITION)
Le revirement est spectaculaire. Walid Joumblatt avait informé le général Michel Sleimane que malgré l’estime qu’il avait pour lui et pour son rôle, il ne l’appuyait pas à la présidence. Aujourd’hui, il propose d’amender la Constitution pour lui. Fouad Siniora avait juré qu’il ne signerait jamais un projet d’amendement de la loi fondamentale et voilà que le courant politique auquel il appartient milite en faveur de la candidature du chef de l’armée.

AN-NAHAR (QUOTIDIEN PROCHE DU 14-MARS)
Le neuvième rapport de la Commission d’enquête internationale fait état de progrès dans les investigations mais ne divulgue pas les noms des suspects. Selon Serge Brammertz, la personne qui a informé le bureau d’al-Jazeera de l’endroit de la cassette qui revendique l’assassinat a appris l’Arabe à un âge avancé.

Audiovisuel libanais

AL-MANAR (HEZBOLLAH)
Émission : Et après
 Oussama Hamdane, représentant du Hamas au Liban
La conférence d’Annapolis vise à normaliser les relations entre les Arabes et Israël. George Bush, qui a amené trois guerres contre les Arabes, avait besoin de cette rencontre pour redorer son image.
Annapolis ne conduira pas à la paix mais offrira des promesses creuses.
 Azmi Bechara, penseur arabe, ancien député à la Knesset
Pour faire plaisir aux participants, il y aura une allusion à l’initiative arabe de paix et à l’édification d’un État palestinien. Mais il n’y aura aucune mention des frontières de cet État. Ceci dit, l’État palestinien règlera le problème démographique d’Israël.

Tendances est un bulletin quotidien de veille politique sur le Proche-Orient, réalisé par l’agence New Orient News à Beyrouth. Retrouvez-le sur Voltairenet.org, en versions arabe, anglaise et française. Consultez également Indicators, le bulletin quotidien de veille économique sur le Proche-Orient, disponible en versions anglaise et arabe.