Les analystes européens ont la gueule de bois. Après avoir pris fait et cause pour John Kerry et avoir prédit son élection à la Maison-Blanche, ils se heurtent à la réalité. Ne doutons pas que ces éditorialistes ne tarderont pas à reprendre la plume comme si de rien n’était. Pour le moment, ils laissent la place à d’autres polémiques.

Le romancier et ancien responsable d’opérations secrètes au cabinet du ministre de la Défense, Jean-Christophe Rufin, a remis au ministre de l’Intérieur un rapport relatif à la lutte contre l’antisémitisme. Ce document reprend à son compte l’argumentaire diffusé par le gouvernement Sharon après la conférence onusienne de Durban par le biais d’un cabinet de relations publiques. Il assimile ainsi toute critique de la politique de l’État d’Israël et toute remise en cause du caractère juif de cet État à de l’antisémitisme, partant de là, il propose de criminaliser les opinions antisionistes. Ce rapport a suscité de réactions indignées dénonçant une atteinte en germe à la liberté d’expression.
Dans Le Monde, M. Rufin admet s’être exprimé de manière maladroite, sans remettre en cause le fond de ses analyses, et déplore que les autres propositions formulées dans son rapport aient été occultées par cette polémique.
Dans une tribune publiée le même jour par Libération, le politologue Pascal Boniface, qui fut victime d’une campagne de calomnies après avoir conseillé au Parti socialiste de prendre ses distances avec la politique d’Ariel Sharon, revient sur l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. Il montre que ces notions sont absolument distinctes l’une de l’autre.
Les lecteurs français ne seront pas étonnés de voir ce débat se cristalliser autour de ces deux auteurs. Pascal Boniface est connu pour la continuité de son engagement à gauche et ses critiques de l’atlantisme post-Guerre froide, tandis que Jean-Christophe Rufin a servi successivement au cabinet de ministres libéraux, puis gaullistes, avant de rejoindre les souverainistes. Il préside une association humanitaire, Action contre la faim, créée en 1979 avec le soutien de l’administration US pour agir en Afghanistan après l’intervention soviétique. En outre, Pascal Boniface est le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Il employa Jean-Christophe Rufin comme sous-directeur. Après avoir travaillé ensemble, les deux hommes se déchirèrent à propos d’un projet d’ouvrage commun auquel renonça M. Rufin et qui fut conduit à son terme par M. Boniface.

S’exprimant au nom du gouvernement israélien, Silvan Shalom signe un vibrant hommage aux États-Unis dans Le Monde. Il appelle l’Union européenne à suivre l’exemple de Tel-Aviv et à renforcer son partenariat avec Washington. Le lecteur sera surpris du caractère irréaliste de ce discours atlantiste : contre toute évidence historique, il est affirmé que les États-Unis ont conduit l’Alliance contre le nazisme (alors que l’investissement de l’Union soviétique dans la Seconde Guerre mondiale est sans commune mesure), puis contre le communisme (comme si l’Union soviétique avait été vaincue militairement). Puis, il est affirmé que l’administration Bush a remporté un succès en démocratisant l’Afghanistan (où ils ont tué plus de 20 000 civils et organisé des élections truquées) et l’Irak (où ils ont tué plus de 100 000 civils et imposé un gouvernement de collaboration).

Nir Boms et Reza Bulorchi participent à la création d’un nouveau think tank chargé de promouvoir la politique de « démocratisation » du Proche-Orient de l’administration Bush 2, le Center for Freedom in the Middle East. Ils signent ensemble une tribune dans le Jerusalem Post pour stigmatiser la cruauté du gouvernement iranien qui, selon Amnesty International, pratique les exécutions capitales à l’encontre d’enfants criminels. Ils en concluent qu’un État gouverné par de tels individus serait un danger pour l’humanité s’il venait à acquérir l’arme nucléaire. Cependant, on peut militer contre la peine de mort en général et l’exécution de mineurs en particulier et néanmoins s’interroger sur la logique d’une telle conclusion. D’autant que si ce raisonnement était valide, il conviendrait de l’appliquer à tous les États appliquant la peine de mort à des enfants. Or, si l’on se réfère encore à Amnesty International, on observera que, si depuis 1990 l’Iran a exécuté 10 mineurs, les États-Unis en ont exécuté 19.

Martha Kessler, ancienne analyste de la CIA, souligne dans le Los Angeles Times que, quel que soit le jugement que l’on porte sur la présence syrienne au Liban, il est hasardeux de chercher à y mettre fin. Washington et Paris ont eu tort de faire pression sur Damas, car un retrait de l’armée syrienne du Liban ramènerait le pays du cèdre à la situation confuse qu’il connût avant son arrivée, voire à une reprise de la guerre civile.

Enfin, alors que Yasser Arafat agonise dans un hôpital parisien, Michael Freund, ancien collaborateur de Benjamin Netanyahu, s’indigne dans le Jerusalem Post des messages de compassion qu’il a reçu. Selon lui, Israël aurait dû utiliser la maladie du président de l’Autorité palestinienne pour l’interner dans un hôpital carcéral et non le « laisser fuir ».