Jamais dans l’histoire de l’humanité un événement de politique intérieure n’aura suscité en dehors des frontières de la nation concernée autant de commentaires et de passions que l’élection présidentielle américaine de 2004. Dans tous les pays, les médias ont accordé à ces élections une place presque équivalente à celle qu’ils auraient réservée au processus de désignation de leur propre chef d’État ou de gouvernement, on avait jamais vu cela.
Le monde entier a eu la conviction que cette élection allait avoir de fortes répercussions sur chacun des 190 pays, preuve de la prééminence américaine et de la perception par le monde de cette puissance. La politique intérieure ne s’arrête pas aux frontières américaines et concerne directement le monde entier. Il n’est pas certain que l’inverse soit vrai car comme on l’a vu, le monde a exprimé sa très nette préférence pour John Kerry, mais les États-Unis n’ont pas suivi son avis et ils ont voté pour le candidat qui était le plus impopulaire dans le reste de la planète. Kerry a même été presque obligé de cacher le soutien du monde dans sa campagne comme si cela était plus un handicap qu’un atout, comme si les intérêts des États-Unis et du reste du monde étaient nécessairement différents. Autre paradoxe, alors que le monde entier s’est senti concerné par l’élection présidentielle américaine comme si son avenir en dépendait étroitement, les conséquences de la réélection de George W. Bush seront plus importantes en politique intérieure qu’en politique internationale. En politique intérieure, les différences entre les candidats étaient particulièrement nettes, pas en politique étrangère. Kerry aurait atténué l’unilatéralisme américain, mais il ne l’aurait pas supprimé pour autant. Bush, de son côté, ne pourra pas maintenir l’unilatéralisme débridé qui l’a mené dans une impasse. Il n’est pas en mesure matériellement de lancer une seconde guerre du type de celle d’Irak. Il sera contraint de briser son isolement.
Reste également aux autres nations, si elles sont déçues du résultat de l’élection américaine, à ne pas se contenter d’avoir pour seul choix l’alignement ou la lamentation, toutes deux étant un aveu d’impuissance. Nier la prééminence américaine n’a pas de sens et revient à s’aveugler. En déduire qu’elle ne peut déboucher que sur la soumission n’est pas plus réaliste.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Ni alignement, ni lamentation », par Pascal Boniface, Le Figaro, 5 novembre 2004.