L’ancien Premier ministre espagnol, José Maria Aznar, désormais renié par le Parti populaire dont il est le président d’honneur, poursuit sa dérive idéologique. Après avoir délivré une étrange conférence à Jérusalem sur le fanatisme musulman, il s’extasie dans le Wall Street Journal sur le triomphe de l’espérance. Le président Bush, sorte de Messie des temps modernes, a eu raison de mener sa croisade, seul contre tous. Il en est aujourd’hui récompensé. Le propos paraît si insensé, vu de Madrid, que le quotidien centriste El Mundo le reproduit avec une bien peu charitable introduction de la rédaction rappelant l’alignement de M. Aznar sur M. Bush.
Dans la même veine, l’éditorialiste néo-conservateur Max Boot n’en revient pas, lui aussi, de l’ampleur de la victoire. Dans le Los Angeles Times, il compare ce triomphe à celui du président McKinley, en 1900, après la guerre contre l’Espagne. Reste que McKinley fut assassiné peu après par des anarchistes. Quoi qu’il en soit, Max Boot invite le président élu à constituer un gouvernement d’union nationale où seraient intégrées des personnalités démocrates comme le sénateur Joseph R. Biden.
Mais que faire de cette victoire ? L’éditorialiste pro-israélien Amir Taheri prédit dans le New York Post qu’elle permettra à M. Bush de remettre dans le rang la France et autres contestataires de sa politique étrangère. Tous vont devoir désormais admettre la légitimité du leadership états-unien et composer avec lui.
Robert M. Walker, ancien directeur adjoint de la FEMA, plaide quant à lui dans le Washington Times pour que le président élu fasse de la Sécurité de la patrie la priorité de son second mandat.

Cependant, l’opinion publique européenne, plus encore que sa presse, s’interroge sur la vraie nature du régime qui est en train de se construire outre-Atlantique. Pour apaiser ces craintes, l’historien néo-conservateur Niall Ferguson assure à qui veut l’entendre que les États-Unis ne sont pas divisés : la virulence des débats internes n’est que l’expression de la vitalité démocratique de ce pays exemplaire. Initialement publié dans le Los Angeles Times, son point de vue est relayé par Clarin et Le Monde qui tentent manifestement de se convaincre que le « pays de la liberté » n’est pas devenu le fossoyeur de la liberté.
Prêchant l’apaisement d’une autre manière, le rédacteur en chef du Monde diplomatique, Ignacio Ramonet, explique dans El Periodico que l’élection de George W. Bush est une faillite morale de la démocratie, mais qu’il ne faut pas pour autant se détourner de la démocratie bourgeoise. D’autant qu’au regard de ses échecs en politique étrangère, M. Bush finira par se rallier à la seule politique intelligente possible.
À l’inverse, dans Le Figaro, le politologue Pascal Boniface joue l’ingénu. Il constate que les programmes de MM. Kerry et Bush ne différaient substantiellement qu’en matière de politique intérieure, or les commentateurs étrangers se sont enthousiasmés pour l’un contre l’autre, comme si cela avait une importance pour eux. Rien ne va changer, mais rien ne pouvait changer, sinon parce que les États-Unis ont presque atteint leur déploiement maximal et n’ont donc pas les moyens d’enchaîner les guerres comme ils le voudraient.

Enfin, quelques auteurs assument le tragique de cette situation. Ils sont toutefois peu nombreux à accepter de jouer le porteur de mauvaises nouvelles.
L’ancien conseiller du président Clinton, Sidney Blumenthal, note dans le Guardian et le Taipei Times que la victoire de George W. Bush n’est pas tant une défaite des démocrates que de l’aile modérée des républicains. En quatre ans, le pays s’est radicalisé, notamment sous l’influence des groupes religieux. Les États-Unis d’aujourd’hui ne sont plus comparables à ceux d’hier.
L’éditorialiste Patrick Seale observe dans Gulf News et le Daily Star que les électeurs états-uniens ont approuvé la politique belliciste de leur président. Elle va donc continuer et empirer.
Pour conclure, l’ancien ministre travailliste des Affaires étrangères, Robin Cook, prédit avec effroi dans le Guardian que le président Bush célébrera sa victoire en réduisant la ville de Falluja en cendres.