Javier Solana, poursuit son offensive pour coordonner le renseignement des États membres de l’Union européenne dans la guerre contre le terrorisme. Ancien secrétaire général de l’OTAN, imposé par Washington en pleine guerre du Kosovo comme secrétaire général du Conseil européen, M. Solana s’est fait connaître en rédigeant un document sur la « Stratégie européenne de sécurité » directement inspiré par la « doctrine Bush », puis en installant un service secret de l’Union dont on se demande qui le contrôle. Dans Le Figaro, il assure aujourd’hui, après la farce des armes de destruction massive irakiennes, que les services de renseignement doivent guider les mesures politiques. Ainsi, les élus des Peuples n’auraient plus rien à décider, qu’à s’aligner sur des « renseignements » invérifiables. La technocratie du ragot l’emporterait sur tout autre régime politique ou servirait les intérêts les moins avouables comme dans les États-Unis de M. Bush, le Royaume-Uni de M. Blair et Israël de M. Sharon.

David Frum, ancien rédacteur des discours de M. Bush, annonce dans le Wall Street Journal que le second mandat sera marqué par un nouveau style : « écouter, apprendre, mobiliser ». Cependant, il ne s’agit là que de slogans et d’apparence. À y réfléchir de plus près, le nouveau Bush ressemble à l’ancien.
Pour « mobiliser », l’ancien président de la Chambre des représentants, Newton Gingrich, invite dans le Washington Post son successeur Dennis Hastert à ne pas se contenter de l’actuelle majorité républicaine. Les représentants démocrates ont mesuré l’importance nouvelle des critères moraux dans les choix des électeurs. Ils constatent que le président Bush et ses amis sont au pouvoir pour longtemps. Dès lors, ils sont tentés, en vue de leur réélection, de se droitiser, tandis que leur parti se déchire déjà entre partisans de John Kerry d’Hillary Clinton pour la présidentielle de 2008. Le moment est donc venu de créer une majorité bipartisane qui absorbe une partie des démocrates dans un élan d’intérêt national. Ce serait là la stratégie de toujours imaginée par Karl Rove pour asseoir dans la durée la politique républicaine.

Le stratège du Pentagone, Edward Luttwak, note dans le Daily Telegraph que les présidents réélus consacrent généralement leur second mandat à rééquilibrer les effets de leur premier et non à les durcir. Il en conclut que M. Bush ne déclarera pas de nouvelle guerre, sauf peut-être contre la Syrie, mais bien entendu parce que celle-ci porte tort aux États-Unis en laissant des islamistes s’infiltrer par sa frontière en Irak.
James Dobbins, directeur de la Rand Corporation, va plus loin encore ; Il affirme dans l’International Herald Tribune que le changement n’aura pas lieu après l’élection car il déjà eu lieu sans qu’on le voit. La campagne électorale a masqué au public un formidable revirement politique : Washington prenant conscience des difficultés pour construire la paix en Afghanistan et en Irak est redevenu multilatéraliste. Le Bush nouveau correspondrait donc à ce que les Européens attendaient de M. Kerry. À moins, bien sûr, que les États-Unis ne soient à nouveau attaqués et contraints de prendre des initiatives sans en référer à leurs alliés. Tout compte fait, décidément le Bush nouveau ressemble à l’ancien.
Il pourrait y avoir pourtant une différence notable, comme nous l’avons pronostiqué dans ces colonnes. Ainsi, l’ancien conseiller national de sécurité, le général Brent Scowcroft explique dans le Washington Post que la chute de Saddam Hussein et la mort de Yasser Arafat ouvrent une fenêtre d’opportunité aux États-Unis pour remodeler le Proche-Orient. En totale opposition avec la technique kissingerienne, il propose de considérer cette région du monde comme un tout, dont chaque élément est dépendant des autres, et qui doit être transformé dans son ensemble. Il faudrait en premier lieu traiter le cœur du problème, c’est-à-dire le conflit « israélo-palestinien » (et non « israélo-arabe » comme pourrait le laisser penser cette analyse). Peut-être cette tribune marque-t-elle la première annonce publique d’un recadrage des relations états-uno-israéliennes.
Enfin, coïncidant avec la sortie en librairie de son nouveau livre sur les relations états-uno-iraniennes, Kenneth Pollack propose dans le New York Times et El Mundo de joindre les moyens diplomatiques européens et coercitifs états-uniens pour renverser le régime des mollahs. L’auteur, qui a commencé sa carrière comme analyste à la CIA lors de la guerre Irak-Iran, jouit d’une grande autorité aux États-Unis où son livre précédent, consacré à l’Irak, fut cité comme une Bible par les partisans de la guerre bien qu’il énumérait des conditions préalables au conflit qui le rendait impossible à court terme. Son effort actuel vise à s’appuyer sur les difficultés rencontrées en Irak pour mieux promouvoir l’idée d’une action subversive plutôt que militaire en Iran.

Les puissants ont leurs courtisans. Rucco Buttiglione, qui a acquis une notoriété internationale avec sa candidature manquée à la Commission européenne, se fend dans le Wall Street Journal d’un ode aux valeurs religieuses des États-Unis qui devraient, selon lui, servir de modèle aux hommes politiques européens.
Sylvain Charat, collaborateur direct d’Alain Madelin, fait allégeance au président Bush dans le Washington Times. Il se réjouit de son action passée, de son élection et de son action future. Au passage, il exprime son soutien au projet de Communauté des démocraties que le département d’État espère développer jusqu’à le substituer à l’ONU. Plusieurs délégations non gouvernementales françaises ont déjà participé aux premières réunions de cette organisation intergouvernementale.