La nomination de Porter Goss, un fidèle de George W. Bush, à la tête de la CIA a déclenché une nouvelle tourmente dans les milieux du renseignement des États-Unis et de violentes controverses au Congrès. Cet épisode illustre une fois de plus le phénomène bien connu de la « politisation du renseignement ». Plusieurs des hauts fonctionnaires de la CIA ont démissionné de leurs fonctions, scandalisés par le comportement agressif des membres de l’équipe de Porter Goss. Certains membres du Congrès ont également exprimé des réserves et, malgré la majorité républicaine au Congrès, il faut espérer que le Parlement s’opposera à une dérive extrêmement préoccupante pour la démocratie américaine.
La politisation du renseignement est un problème essentiel comme on l’a vu avec la guerre d’Irak et les mensonges proférés par des responsables américains devant les Nations unies. D’habiles arguties juridiques ont permis à G. W. Bush et à Tony Blair de faire « porter le chapeau » à leurs services de renseignement pour masquer leurs propres erreurs, mais il suffit de lire les ouvrages d’Hans Blix ou de Richard Clarke pour comprendre la façon dont les ultraconservateurs de Washington se sont délibérément livrés à diverses manipulations de l’information. C’est la cellule créée au sein du Pentagone par Donald Rumsfeld qui a prévalu sur les points de vue du département d’État et de la CIA. L’évolution de la guerre en Irak a montré que les suites de la bataille en Irak ont été totalement sous-estimés.
L’Histoire regorge d’exemple des dangers que représente l’absence de renseignements objectifs. En 1941, c’est parce que le NKVD craignait de contredire Staline que l’URSS a été attaquée par surprise par Hitler alors qu’elle disposait du meilleur réseau de renseignement d’Europe. En 1956, Anthony Eden s’est abstenu de prendre l’avis du Joint Intelligence Commitee avant de se lancer dans la déplorable expédition de Suez de 1956. Sous la présidence d’Eisenhower, les évaluations des forces de bombardiers soviétiques ont été délibérément gonflées par les services de renseignement de l’US Air Force dans le but de justifier le développement du Strategic Air Command et de permettre aux puissants industriels de l’aéronautique et de l’armement de bénéficier de crédits budgétaires considérables. Le président s’en est souvenu quand, en quittant sa charge, il a mis en garde ses concitoyens contre les excès du « complexe militaro-industriel ».
Sous ses formes actuelles, la politisation du renseignement aux États-Unis répond en partie à des motivations affairistes, mais plus encore à des dérives d’ordre idéologique et politique. L’idéologie de la lutte du Bien contre le Mal s’exprime sous la forme de la « guerre contre le terrorisme », qui est une réponse mal ciblée à une de ces menaces asymétriques qu’on ne peut uniquement traiter par la force militaire. La politique doit reprendre ses droits dans l’application effective de l’équilibre des pouvoirs, entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« La politisation du renseignement », par Pierre Lacoste, Le Figaro, 22 novembre 2004.