Le rôle joué par le Parlement européen dans la formation de la Commission de José Manuel Barroso est historique. Quelles sont les leçons à tirer de cet épisode fort de la démocratie parlementaire européenne ?
Avant le 27 octobre 2004, de nombreux commentateurs ont considéré les auditions comme une simple et inutile formalité, qualifiant le Parlement européen comme un « tigre de papier ». Puis on a parlé à ce propos de « crise institutionnelle ». Je ne suis pas d’accord, il n’y a pas eu crise car il fallait s’attendre à ce que cette situation se produise un jour ou l’autre et elle a trouvé son issu en moins d’un mois. Le Parlement a simplement montré qu’il n’était pas l’instrument d’une démocratie de façade obéissant toujours aux gouvernements. Si les candidats aux postes de commissaires devaient être soutenus quels que soient les résultats des auditions, ces présentations ne seraient que des talk shows.
L’audition de M. Rocco Buttiglione a beaucoup tourné autour des questions de société. Dans une Europe qui vient de se doter d’une Charte des droits fondamentaux, il est normal que l’on débatte de ces sujets-là et le Parlement européen n’a jamais discriminé quiconque en fonction de ses croyances. Si un non-croyant ou un musulman avait tenu les mêmes propos, il aurait suscité le même refus. Il a simplement assuré sa tâche institutionnelle et politique. Quelles qu’aient été les opinions des parlementaires européens dans cette affaire, tous s’accordent pour affirmer que le Parlement voit son rôle renforcé par cette situation. Le débat a démontré que notre Union, au-delà de ses caractéristiques économiques, est basée sur des valeurs fondamentales communes. Je crois sincèrement que le Parlement a contribué à renforcer les valeurs sur lesquelles l’Europe est fondée. En outre, alors que l’on accuse souvent les institutions européennes d’être des univers clos, cette affaire s’est déroulée au grand jour, devant les citoyens.
L’Europe a besoin d’un Parlement crédible et d’une Commission forte. Nous les avons aujourd’hui plus qu’hier. Ces deux institutions sont complémentaires et ils ont presque toujours agi de concert même s’ils doivent être indépendants. Durant les événements de cet automne, le Parlement n’a jamais eu la volonté d’affaiblir la Commission. Et, à l’arrivée, il l’aura renforcée. Parce qu’elle bénéficie d’une investiture beaucoup plus large que celle qu’aurait peut-être pu obtenir la première Commission proposée et que la deuxième formation offre une meilleure adéquation entre compétences et capacités.

Source
Le Monde (France)

« Une avancée dans la démocratie à l’échelle de l’Europe », par Josep Borrell, Le Monde, 23 novembre 2004.