Il y a quatre ans, j’ai été l’un des premiers avec Alain Juppé à proposer la création d’une formule de partenariat privilégié à destination de nos voisins. La Convention a retenu un système proche grâce à l’action courageuse de Valéry Giscard d’Estaing, il s’agit de l’article 56 du projet de Constitution.
Aujourd’hui, au fur et à mesure que le débat sur les négociations d’adhésion avec la Turquie s’intensifie, tout le monde, ou presque, propose d’ouvrir une alternative avec le choix d’un partenariat privilégié. Il est important de préciser ce qu’on entend par là. Il s’agirait de mettre en place une vraie politique d’alliance et de destin partagés entre la Turquie et l’Union européenne. Voilà ce que ce partenariat pourrait contenir :
 Une véritable politique commerciale commune. Il s’agit de dépasser la simple union douanière pour intégrer la Turquie dans la politique commerciale de l’Union.
 L’édification d’un État de droit. Il faut une coopération juridique et judiciaire, en matière civile et pénale, pour assurer le respect des Droits de l’homme et des droits des minorités. Elle sera le meilleur moyen de préserver la laïcité constitutionnelle de la Turquie tout en instaurant les principes des libertés publiques et des droits de l’homme. Cela permettra d’avancer également vers une reconnaissance du génocide des Arméniens.
 Le contrôle de l’immigration. L’accord entre l’Union européenne et la Turquie mettra en place un contrôle des flux migratoires (éventuellement avec des quotas professionnels) et une surveillance en commun des frontières extérieures de la Turquie.
 La surveillance maritime. Le Bosphore et les Dardanelles ont une importance majeure pour l’approvisionnement pétrolier ainsi que pour le trafic militaire. Il faut aller plus loin que ce que prévoient les seuls accords internationaux.
 L’aide au développement. Une politique d’aide au développement particulière à la Turquie et prenant en compte sa situation spécifique (population, étendue, agriculture, niveau d’éducation, minorités) serait contractuellement mise en place en s’inspirant du système des fonds structurels de la politique régionale.
 La politique étrangère et de défense. Prendre en compte la situation géopolitique de la Turquie, c’est acter sa nature eurasiatique et promouvoir son rôle comme puissance de stabilité et de médiation dans l’ensemble constitué par le Proche-Orient (arabe, perse et turc), le Caucase et la mer Noire. Pour pouvoir jouer ce rôle, la Turquie doit rester autonome des blocs et de l’Union européenne.
 L’unification pacifique de Chypre. Il est évident que la Turquie ne peut prétendre être membre de l’Union en refusant de reconnaître la République de Chypre, État membre depuis le 1er mai 2004. Tout le monde semble l’avoir oublié Il vaudrait mieux faire du règlement de la question chypriote l’un des chapitres du Partenariat privilégié. Il sera plus facile à la Turquie de défendre les intérêts de la population turque de l’île dans cette configuration.
 La politique culturelle La Turquie conduit une politique assez active dans des domaines variés Dans le partenariat privilégié, elle participerait au Programme Media, appliquerait la directive Télévision sans frontières et serait associée aux coopérations en matière culturelle.
Conclusion : un partenariat privilégié, c’est prendre en compte de manière réaliste, et non pas illusoire, la situation de la Turquie contemporaine et les exigences de la construction de l’Union politique. C’est réduire les dangers pour l’Europe et les contraintes pour la Turquie qui résulteraient d’une adhésion formelle. C’est permettre à la Turquie de jouer le rôle qui est le sien dans une région clé du monde. C’est tisser des liens spéciaux qui correspondent aux traditions et aux valeurs des deux civilisations.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Turquie : les avantages du partenariat privilégié », par Jacques Toubon, Le Figaro, 24 novembre 2004.