Al Jazeera : Récemment, le Ministre de la défense de la Russie a déclaré que la Russie a le droit de frapper les bases des terroristes dans tout point du monde. Est-ce que cette déclaration ne contredit pas votre affirmation sur le besoin de respecter le droit international ?

Sergeï V. Lavrov : Il faut respecter le droit international. En particulier, l’article 51 des Statuts de l’ONU fixe le droit des états à l’autodéfense. Les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU, adoptées après le 11 septembre 2001, ont stipulé à l’unanimité que le droit à l’autodéfense ne s’étend pas que sur les attaques à main armée classiques, mais aussi sur celles faites au moyen d’un attentat terroriste. Le droit international moderne part de ce qu’au cas où un pays subit une attaque terroriste et qu’il y a de fortes raisons de croire que cette attaque sera poursuivie, ledit état, afin de réaliser son droit à l’autodéfense, peut prendre des mesures nécessaires pour liquider ou réduire cette menace qui perdure.

C’est que la menace des attentats terroristes contre la Russie est maintenue. Personne n’en doute.

Al Jazeera : Hier, D.Rumsfeld et J.Straw ont de fait soutenu la Russie dans cette approche. Ne craignez-vous pas que les Américains et les Britanniques laissent d’abord la Russie frapper, et puis commencent à parler de l’agression et de la violation des droits de l’homme ?

Sergeï V. Lavrov : C’est une question théorique, hypothétique. La Russie a le droit à l’autodéfense contre les attentats terroristes et celui à la liquidation ou la réduction de la menace des attentats. Ce qui ne signifie nullement que demain, nous commencerons à user de ce droit. Nos représentants ont plusieurs fois souligné que ledit droit sera mis en pratique dans les cas où nous aurons des preuves nécessaires, et que l’usage des méthodes de la force en conformité avec notre droit à l’autodéfense constituera la mesure extrême. Ils ont aussi souligné la bonne volonté de poursuivre la lutte contre le terrorisme international en coordination et en coopération avec la communauté internationale dans le cadre de la coalition antiterroriste. C’est pourquoi il ne sera pas productif de disserter sur le qui et comment peut réagir à telles ou telles autres actions, puisque ce n’est pas un droit global, mais concret, lié aux menaces concrètes.

Al Jazeera : Beaucoup ont noté qu’après les événements tragiques à Beslan, à Moscou, à Rostov, à Toula, l’accent particulier a été mis sur le terrorisme international. Qu’est-ce que ce terrorisme international ? Qui a déclaré la guerre à la Russie ? Ne pensez-vous pas que c’est une guerre sans merci à l’intérieur de la Russie entre différents groupes, qui ne sont pas satisfaits du cap de V.V.Poutine ?

Sergeï V. Lavrov : Je pense que le particulier d’une guerre terroriste consiste en ce que le terrorisme n’a pas de frontières, n’a pas de nationalités. Ses instigateurs ne sont pas toujours associés à un territoire géographique, à des structures officielles concrètes. Mais si l’on voit les déclarations des derniers jours, y compris celles de Maskhadov, qui, après avoir présenté ses condoléances en paroles, a immédiatement ajouté que, tant que la politique actuelle de la Russie en République Tchétchène continuera, les attentats seront inévitables, je pense qu’il faut chercher la réponse à la question, qui déclare quelle guerre, en-dehors des renseignements que possèdent les services spéciaux. Il faut chercher la réponse sur les écrans télé, où il y a assez de témoignages de ceux qui sont concrètement intéressés à ce que les attaques terroristes contre la Russie continuent, qui sont intéressés à atteindre à l’unité de la Fédération de Russie et à provoquer à cette fin une crise dans la région Caucase Nord. Ces forces sont sans aucun doute celles du terrorisme international et des agents de diversion internationaux, comme nos commentateurs commencent à les appeler. Essentiellement, ils se trouvent actuellement en-dehors de la Russie. Je n’exclus pas que sur le territoire de la République Tchétchène, ces forces peuvent avoir aussi leurs exécutants.

Al Jazeera : N’admettez-vous pas qu’il existe des groupes financiers et économiques à l’intérieur de la Russie, qui peuvent ou ont pu utiliser le problème tchétchène dans leur lutte contre le cap de V.V.Poutine ?

Sergeï V. Lavrov : Il ne faut jamais rien exclure. Mais nous n’avons aucun témoignage de cela. J’ai eu hier la possibilité de répondre à la question sur l’existence de la liaison entre les événements en Ossétie du Sud et l’attentat en Ossétie du Nord. J’ai souligné ne pas avoir de faits concernant le lien direct. Mais vu la suite même des événements, où d’abord, l’administration géorgienne provoque l’opposition armée en Ossétie du Sud, que l’on a su étouffer à grande peine et faire la situation reprendre, à cette étape, le lit politique, le lit des mécanismes pacificateurs de négociations existants, que l’attaque terroriste à Beslan a suivie de près, en Ossétie du Nord déjà, la république qui a eu une vie assez tranquille toutes ces années, j’ai dit que les politiques sérieux, en analysant la situation et à qui tout cela profite, ne peuvent pas ne pas tenir compte de cette coïncidence extérieure des circonstances et des événements.

Al Jazeera : Avez-vous des preuves que C.Bassaïev, A.Maskhadov ont été les organisateurs de cette terrible tragédie ?

Sergeï V. Lavrov : Je sais positivement que C.Bassaïev a directement dirigé cette opération.

Al Jazeera : Vous avez exclu A.Maskhadov. Actuellement, Washington et Londres appellent au besoin de mener des pourparlers avec A.Maskhadov. Je vous ai entendu critiquer sérieusement ces deux capitales.

Sergeï V. Lavrov : Je n’ai pas exclu A.Maskhadov de la réponse à votre question précédente. Un peu avant, je l’ai déjà mentionné, citant sa déclaration dans les médias géorgiens, une autre coïncidence, où il a directement déclaré que tant que la politique de la Russie au Caucase du Nord sera poursuivie à l’état actuel, on ne pourra pas éviter les attentats. C’est une instigation directe au terrorisme, sinon la constatation du fait que lui a dirigé tout cela. C’est pourquoi nous ne pouvons pas accepter les appels à commencer un dialogue politique avec lui, ainsi que les déclarations faites dans certaines capitales occidentales, qu’il faut ensemble chercher les voies du règlement politique, dans le sens que nous devrions avoir pour partenaires des personnes de type Maskhadov, les accepter comme la manifestation sérieuse du partenariat, qui se développe dans la lutte contre le terrorisme entre la Russie et les USA, entre la Russie et la Grande-Bretagne, avec les autres états.

Al Jazeera : Dites, qu’y a-t-il de mal, si cela aide à terminer la guerre en Tchétchénie ?

Sergeï V. Lavrov : Cela n’aidera pas à terminer la guerre en Tchétchénie. Cela signifiera la défaite de la Russie dans la guerre contre le terrorisme, puisque tous les pourparlers avec ces gens et l’engendrement des espoirs que ces gens pourront jouer un rôle politique en République Tchétchène, signifiera un pas vers la possibilité de la poursuite de leur politique, de leur activité terroriste contre les autres parties de la Fédération de Russie.

Ils ont eu la chance d’évoluer à l’intérieur de la Tchétchénie en autonomie intégrale, à ne dire que cela, après les accords de Khasavyourt. Cela a fini, une fois leur propre république pillée, par l’agression contre un autre sujet de la Fédération de Russie - le Daguestan. C’est alors qu’a commencé l’actuelle campagne antiterroriste.

Je peux poser une question contraire : qu’y a-t-il de mal à ce que l’Europe fasse écho à l’appel d’O.ben Laden à réaliser certaines mesures, accepter ses conditions, et alors, O.ben Laden laissera l’Europe en paix ? Qu’y a-t-il de mal de votre point de vue et en suivant la logique, qui est derrière votre question ? Si l’Europe refuse catégoriquement de négocier avec O. ben Laden, pourquoi devons-nous, selon l’Europe, contacter ses adeptes et ses disciples ?

Al Jazeera : Vous avez parlé des "doubles normes" à l’égard de la politique de la Russie en général. Qu’est-ce que vous vouliez dire ? Citez des exemples concrets.

Sergeï V. Lavrov : Je viens de citer des exemples concrets. C’est l’attitude de l’Europe envers O.ben Laden et celle de l’Europe et de l’Occident envers Maskhadov et les autres gens de type Zakaïev, Akhmadov.

On voit les doubles normes dans l’attitude de l’Europe envers les problèmes des minorités nationales. Tous le savent bien. Les minorités nationales de ex-Yougoslavie sont protégées par l’Europe, parfois même en ignorant le besoin d’une stabilisation à long terme de la région balkanique. En Macédoine, les minorités albanaises se voient octroyer les droits les plus larges. Et la situation de la minorité russophone en Lettonie et en Estonie ne préoccupe pas l’Europe absolument, bien qu’il existe plusieurs recommandations des experts internationaux sur le besoin de mettre la législation concernant les minorités dans les pays baltes en conformité avec les normes européennes et internationales.

Actuellement, quand on a commencé à mettre en pratique la décision de la Lettonie sur la brusque réduction de l’enseignement en langue russe dans les écoles lettonnes, quand les écoliers et les enseignants en Lettonie protestent contre cette franche discrimination et la violation de toutes les normes du droit international, des normes du droit humanitaire, quand se passe la grève de la faim de plusieurs jours pour protester contre cette décision du gouvernement letton, l’Europe, malgré tous nos appels, l’Union Européenne, et l’OSCE, et le Conseil de l’Europe ne répondent que par des déclarations inintelligibles qui ne veulent rien dire. On ne prend pas de mesures concrètes pour faire les nouveaux venus à l’UE et à l’OTAN appliquer les normes européennes internationales.

Al Jazeera : Je ne peux éviter d’évoquer l’affirmation du représentant des services spéciaux de la Russie sur l’existence des 10 Arabes, impliqués dans la tragédie à Beslan. Cela a provoqué une réaction équivoque. D’aucuns ont protesté, d’autres restent perplexes. Il n’y a que trop de questions. Avez-vous des données précises, qu’il y avait vraiment 10 Arabes parmi les guerriers ?

Sergeï V. Lavrov : Compte tenu des circonstances concrètes, dans lesquelles s’est passé ce drame sanglant, ce n’est pas si facile d’identifier les corps. Mais les données sur la présence là-bas d’Arabes se confirment, tout comme celles sur la présence de représentants d’autres nationalités, y compris, si je comprends bien, de Russes, d’Ukrainiens, de Tchétchènes, d’Ingouches. Tout cela est vérifié encore et encore. Mais je crois qu’il serait pour le moins étrange de rester perplexe devant ce fait. Si les faits disent que, parmi les terroristes, figuraient les gens de diverses nationalités, c’est qu’il en a été ainsi. Je ne comprends pas les raisons de cette perplexité.

Nous constatons et continuons de souligner le fait que les terroristes n’ont ni la religion, ni la culture, ni l’ethnie. C’est l’internationale terroriste. La présence de ces personnes dans diverses bandes, que ce soit à Beslan ou ailleurs, où les terroristes perpètrent leurs sales agissements, ne signifie nullement que la faute en est à l’islam, à l’orthodoxie, au catholicisme ou à une autre religion.

Je viens de rentrer d’un voyage au Proche-Orient, où j’ai visité l’Egypte, le Liban, la Syrie. Je peux vous assurer que le désir de ces pays d’en finir avec le terrorisme n’est pas moindre qu’à l’Occident, en Russie, en Asie ou en Afrique. Ils souffrent aussi de ce mal, comme en souffre l’Arabie Saoudite. Nous dialoguons à propos de cela avec tous nos partenaires et soulevons ce problème dans les contacts réguliers des leaders du monde arabe, de la zone du Golfe avec nos dirigeants. C’est notre ennemi commun, et il a pour objectif de déstabiliser la situation, puisque ce n’est que par les méthodes terroristes qu’ils espèrent saper les gouvernements existants, y compris dans la région du Proche-Orient et du Golfe, et, peut-être, pensent-ils à s’approprier les richesses naturelles de cette région et d’y instaurer leur ordre.

Al Jazeera : La question précédente est venue après que vous avez signé avec le Ministre des affaires étrangères d’Israël le Protocole de coopération dans le domaine de la sécurité. Ils y ont rattaché la déclaration de la participation de 10 Arabes à l’attentat et ont déclaré qu’Israël accordera de l’aide ou coopérera à ce propos. Quel est le sens de ce protocole ?

Sergeï V. Lavrov : Ce protocole est un simple document type, qui le MAE de la Russie conclut avec plusieurs de ses partenaires à l’étranger, et il cite les sujets, sur lesquels nous menons des consultations entre deux offices de politique étrangère. Ces sujets comprennent la liste des problèmes internationaux les plus aigus : lutte contre le terrorisme, non-prolifération des AEM, consolidation de la coopération multilatérale dans la lutte contre les nouveaux menaces et défis, consolidation du rôle de l’ONU, développement des liens culturels et scientifiques entre les deux pays. Mais personne n’a fait attention que dans le premier pays, que j’ai visité au cours de ce voyage, en Egypte, nous avons signé avec le ministre Ahmed Abou al-Gheit le Mémorandum sur le partenariat stratégique des deux ministères : égyptien et russe. Ce mémorandum énonce les mêmes sujets : lutte contre le terrorisme et prolifération des AEM, et nouveaux menaces et défis. Donc, cette tentative de ne citer qu’un de nos partenaires et de présenter la situation comme, soi-disant, visant les autres amis de la Russie, en l’occurrence les Arabes, est de la politicaillerie. Tout le sens de la position de la Russie consiste en ce qu’on ne pourra résoudre ce problème qu’en restant unis. On a non seulement le simple besoin de s’unir avec l’Occident, simplement avec l’Europe, mais, obligatoirement, avec le monde islamique, qui est la cible du terrorisme avant tout, puisque les terroristes cherchent à nuire colossalement à l’islam, provoquant dans l’esprit des simples gens l’association du terrorisme à l’islam, ce qui est, premièrement, foncièrement incorrect, compte tenu des postulats de la religion islamique. Deuxièmement, c’est extrêmement dangereux, car ne visant pas que la simple atteinte à une région du monde, pas que la simple atteinte à la stabilité, mais la provocation de la guerre des civilisations, la guerre des religions. Et cela, au moment précis, où la communauté internationale s’est fermement prononcée pour le développement du dialogue entre les cultures et les civilisations à travers l’Organisation des Nations Unies. Et nous allons très fermement défendre cette position, y compris à l’ONU.

Al Jazeera : Serguéi Viktorovitch, sentez-vous après votre voyage dans notre région que le dialogue est possible ? Vous parti, on a entendu dire que l’expulsion de Y.Arafat de Palestine est nécessaire. Le Premier ministre de l’Espagne dit que les Etats-Unis ne peuvent plus diriger le processus de paix au Proche-Orient. Quelles conclusions avez-vous eues ?

Sergeï V. Lavrov : Malheureusement, mes conclusions ne sont pas trop encourageantes, mais pas trop défaitistes non plus. La situation est vraiment extrêmement compliquée. L’impasse est maintenue, mais certains de nos espoirs viennent du fait que ceux dont cela dépend, ne baissent pas les bras. Je parle de ce que le Quatuor des médiateurs internationaux continue les contacts avec les parties, continue de les inciter à reprendre le processus de paix. A ma satisfaction, les deux parties ont confirmé le maintien de l’actualité de la "feuille de route". C’est dans ce contexte que nous considérons la décision du Premier Ministre A.Sharon de quitter la bande de Gaza. Il comprend notre position, celle des Européens, que ce retrait doit être entier et obligatoirement ordonné. Cela suppose la possibilité des Palestiniens de se charger de la gestion de ce territoire. Ces efforts sont actuellement déployés avec le soutien actif de l’Egypte. Nous apprécions hautement les efforts de l’Egypte pour éviter le chaos après le départ d’Israël. Certes, ce départ est salué non seulement puisque ce sera le premier pas réel, s’il a lieu, de la libération des territoires occupés, mais puisqu’il ne doit être que le premier dans la mise en pratique de la "feuille de route". On aura besoin des pas de la part des Palestiniens aussi, dans la partie des obligations, dont s’était chargé Y.Arafat en conformité avec la "feuille de route" dans le domaine de la réforme des structures de sécurité, dans le domaine de la réforme des finances. Elles devront être accomplies. Si cela se fait, ce à quoi nous incitons les parties, commencera le mouvement dans la bonne direction. Nous allons soutenir ce processus. Concernant l’incapacité de qui que ce soit de jouer le rôle de médiateur, de sponsor, je ne peux que confirmer ce que nous avons déjà dit plusieurs fois. Malgré toute l’importance de la position, qu’occupent les USA, on ne peut obtenir un processus réel, et nos collègues américains en sont d’accord, qu’en maintenant la cohésion du Quatuor et de son activité. Nous nourrissons certains espoirs à propos de la rencontre des ministres du Quatuor avec le Secrétaire Général de l’ONU, qui est prévue pour la dernière semaine de septembre à New York.

Al Jazeera : Hier, C. Powell a instauré les sanctions contre le Soudan. Quelle position la Russie prendra-t-elle, si les USA soulèvent tout de même cette question ?

Sergeï V. Lavrov : Dans ce monde actuel, compliqué et interdépendant, nous préférons nous fier aux appréciations objectives des conflits, surtout quand on suppose faire des pas brusques à propos de telle ou telle autre partie en conflit. A propos de la province soudanaise de Darfour, existe le rapport du Secrétaire Général de l’ONU, qui est rédigé sur la base des appréciations, faites d’après le résultat des visites dans la région de Jan Pronk, son représentant spécial. C’est ce rapport que nous croyons pondéré et objectif. Il constate un certain progrès dans l’exécution des obligations, dont s’est chargé le Soudan dans le plan d’action pour Darfour. Cependant, il fixe les aspects de ce plan, pour lesquels le Soudan doit faire des pas supplémentaires. Je pense que toute réaction du Conseil de Sécurité doit s’appuyer sur ce rapport objectif du représentant de la communauté internationale en la personne de l’expert de l’ONU. Concernant les sanctions, c’est la position des autres membres du Conseil de Sécurité. Il faut fixer le processus obtenu et inciter le gouvernement du Soudan à appliquer les autres stipulations du règlement du plan d’action.

Al Jazeera : Avez-vous du nouveau à propos de l’Irak ? Que faut-il faire pour émerger dans la situation avec ce pays ?

Sergeï V. Lavrov : La Russie, il y a longtemps, a exprimé sa préoccupation et a proposé des voies concrètes pour gérer la situation. La clé du règlement du problème, c’est de réunir toutes les principales forces politiques du pays, qui représenteraient tous ceux qui font parie du Conseil de gouvernement provisoire, ceux qui composent actuellement le gouvernement intérimaire et ceux qui constituent l’opposition politique et patriotique. Certes, il ne s’agit pas des terroristes, que l’Irak n’avait pas connus, mais qui ont rué dans ce pays après le commencement de la guerre. Une opposition sérieuse et les forces politiques y sont présentes, et, sans leur participation, il est difficile de parler de la stabilisation de cette région. Nous comprenons que pour que ces forces politiques se mettent autour de la table de négociations, elles devront surmonter les différends connus, et, parfois, l’animosité réciproque.

Compte tenu de la géographie de l’Irak, de sa liaison historique avec les pays voisins, nous entendons qu’il serait utile, si les pays voisins de l’Irak, ainsi que la Ligue des états arabes, aident tous les groupes arabes à se réunir et à réfléchir sérieusement, comment aménager l’Irak. En qualité de la garantie de ce processus, nous croyons utile la participation des membres du Conseil de Sécurité, du Secrétaire Général. Nous croyons que c’est ce schéma qui serait optimal lors de la résolution du problème de la formation du gouvernement intérimaire. Nous n’avons imposé notre position à personne, mais dans les contacts bilatéraux, dans nos interventions publiques, nous l’avons clairement exposée. Beaucoup l’ont entendu, mais elle n’est pas encore mise en pratique telle que nous l’avions avancée.

On a essayé en août 2004 de réunir des forces politiques supplémentaires à une conférence nationale, en plus de celles qui sont représentées au gouvernement intérimaire, et de former par cela un conseil plus représentatif, qui préparera les élections. Cette tentative n’a pas connu de succès, et l’opposition politique se trouve toujours dans l’opposition et ne participe pas aux contacts avec le gouvernement intérimaire. Cela complique sérieusement les efforts de préparation des élections. Si l’on réussissait maintenant à tenir la conférence ou une rencontre, qui viseraient à réunir les forces politiques et à essayer de s’entendre dans ce format sur la préparation des élections - ceci dit, ce sont les Irakiens mêmes qui devront s’entendre, et leurs voisins et les pays de la LEA devront les y pousser - les élections, qui devront avoir lieu l’année prochaine, seraient plus efficaces du point de vue de la formation des structures irakiennes, qui contiendraient l’équilibre des intérêts de toute la société irakienne.

Al Jazeera : En abordant le sujet des voisins de l’Irak, je voudrais soulever le problème de l’Iran. On dit que la position de la Russie a changé en faveur des USA. Quelle est la position de la Russie à propos du dossier nucléaire de ce pays ?

Sergeï V. Lavrov : J’estime cette constatation incorrecte, ce qui reflète, peut-être, de nouveau le désir d’aucuns d’interpréter les actions de la Russie en faveur de telle ou telle partie, selon la conjoncture politique. En l’occurrence, si l’on cherche à présenter notre position, que je rendrai publique dans un instant, comme changeante et approchant les USA, je suppose que cela profite à ceux qui veulent notre querelle avec le monde islamique. Ce sont aussi les maillons de la chaîne, que nous venons de discuter en parlant de la lutte contre le terrorisme. La position russe n’a heureusement pas changé, et nous sommes moins intéressés que quiconque à l’apparition dans le monde de nouveaux pays détenteurs des AEM et des moyens de leur acheminement. Nous prônons de manière consécutive le régime de non-prolifération des AEM tout en reconnaissant le droit de chaque pays au développement pacifique de l’énergie nucléaire à condition de la conformité aux normes et règles, qui sont approuvées par la communauté internationale et réalisées à travers l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). C’est sur la base de ces principes que nous avons toujours coopéré dans le domaine de l’énergie nucléaire avec l’Iran. L’unique objet de cette coopération aujourd’hui est la centrale nucléaire à Busher, qui se trouve sous la garantie de l’AIEA et est ouverte à ses experts. Les éléments nouveaux dans notre coopération avec l’Iran sont apparus après que l’AIEA a adopté le protocole supplémentaire à l’Accord sur les garanties, et que l’Iran a annoncé son adhésion à ce protocole. De plus, nous avons obtenu l’accord avec l’Iran, que le combustible nucléaire usagé de la centrale de Busher sera rapatrié en Russie. C’est la méthode absolument justifiée économiquement, et les Iraniens en sont tombés d’accord. C’est pourquoi, tout comme notre coopération avec l’Iran avait commencé, partant du besoin de l’observation des principes de non-prolifération de l’AIEA, elle continue sur la base de ces mêmes principes.

Al Jazeera : Après que V.V.Poutine a déclaré que les services spéciaux russes avaient transmis l’information, que le régime de S.Hussein préparait des attentats à Washington et en-dehors, beaucoup d’analystes ont dit que le Président de la Russie soutenait G.Bush dans sa campagne électorale aux USA. On s’est posé la question : qu’est-ce qui va se passer, si c’est J.Kerry qui gagne ?

Sergeï V. Lavrov : C’est une manière de journaliste - d’abord, vous avez affirmé une chose, dont je ne peux convenir, et puis, vous posez votre question, partant de ce que cette affirmation est correcte.

Quand le Président V.V.Poutine, dans son entretien avec les journalistes, a mentionné que l’information sur l’éventuel attentat en préparation contre les USA de l’ex-régime irakien était transmise à Washington, il a spécialement précisé que cela n’avait rien d’extraordinaire, puisque nos services spéciaux ont des liens de partenariat avec leurs collègues de plusieurs pays. Certes, quand le travail de nos services spéciaux détecte l’information sur un attentat éventuel contre tel ou tel autre pays, personne ou objets dans les états étrangers, l’obligation sacrée des membres de la coalition antiterroriste est de porter cette information à l’attention des pays appropriés, pour qu’ils puissent prendre des mesures pour éviter l’attentat.

Le fait que cela ait été interprété de telle ou telle manière par différents observateurs et politologues pèsera sur leur conscience.

Concernant votre question, je peux vous dire que toujours, en relation de tout pays, la position de la Russie consiste à développer la coopération, le partenariat, les liens mutuellement avantageux avec tout gouvernement qu’élit le peuple de ce pays.

Al Jazeera : Est-ce que tout est normal dans les rapports de la Russie avec l’Amérique ?

Sergeï V. Lavrov : Nous sommes satisfaits de notre coopération. Dans plusieurs domaines, nos rapports se caractérisent comme le partenariat. Je parle de la lutte contre le terrorisme international et la prolifération des AEM. Ce partenariat ne vise aucun pays tiers, et nous le développons. Nous dialoguons sur la sécurité et la stabilité stratégiques. En tant que les plus grandes puissances nucléaires, nos pays assument une responsabilité spéciale de ce que ces problèmes soient réglés dans le monde de la manière à éviter la création des tendances négatives dans le domaine de la sécurité internationale et régionale. Nos échanges commerciaux, nos liens d’investissement, culturels, scientifico-techniques se développent rapidement. Cela ne signifie pas que tout est 100% normal entre nous, puisqu’il n’existe aucun groupe de relations bilatérales entre n’importe quels pays, où tout soit normal. Si tout avait été normal, le processus du développement se serait arrêté. Et, peut-être, la diplomatie serait devenue inutile. Je ne voudrais pas que l’activité de politique étrangère cesse d’exister. Certes, on a des problèmes et des questions, dans lesquels nous occupons les positions différentes. Vous les connaissez. Mais nous abordons les différends existants sans confrontation et pragmatiquement, cherchant à trouver la possibilité de garantir dans cette situation nos intérêts de manière à ce que nos partenaires comprennent nos arguments, et que nous comprenions les leurs. Dans ces conditions, la volonté politique étant, on peut, dans la majorité des cas, trouver les solutions mutuellement acceptables. C’est sur cette méthode que nous nous guidons dans les problèmes, qui sont maintenus dans nos liens avec tous les autres pays.