Nous vivons l’une des périodes les plus cruciales de l’histoire de l’Ukraine et nous entrons dans la phase la plus critique. Le président doit prendre une décision et si nous n’arrivons pas à trouver une issue légale, les conséquences peuvent être dramatiques. Les réponses du gouvernement peuvent être nombreuses. Le fait que certains gouverneurs, dans l’est de l’Ukraine, se soient lancés dans un processus d’autonomisation comportant des éléments de séparatisme, représente en soi une base suffisante pour annoncer l’état d’urgence, selon la Constitution, même si le président peut aussi démettre les gouverneurs.
Difficile de savoir ce que le président va faire, ce que va préconiser le conseil national de sécurité, mais jusqu’ici personne n’a réagi alors que la loi affirme que toute menace de séparatisme est une menace pour la sûreté de l’État. Certains expliquent cette passivité par le fait que certaines provinces occidentales favorables à Viktor Yushchenko ont proféré les mêmes menaces. Ces actes politiques, qui touchent une grande partie du pays, sont des réactions aux falsifications massives de l’élection. Mais ils sont eux aussi illégaux. Le pouvoir aurait dû demander à Yushchenko de refuser ces décisions des municipalités tout en condamnant le séparatisme de l’Est. Aujourd’hui, on apprend que le maire de Moscou, Iouri Loujkov, est arrivé dans les régions orientales. Le seul fait qu’il se trouve là-bas dans le contexte actuel est une immixtion inacceptable dans les affaires intérieures de l’Ukraine. Cette venue ajoutée à la présence de la Russie dans la campagne de Yanukovych, et le projet de ce dernier de faire du Russe la deuxième langue officielle montre que la Russie a décidé de s’immiscer activement ici. Toutefois, la Russie ne peut se permettre un conflit ouvert avec l’Ukraine. Elle a la Tchétchénie, l’Abkhazie à gérer...L’idée de l’entrée de l’Ukraine dans les structures euro-atlantiques est insupportable pour la Russie, à tous les échelons de l’appareil politico-militaire, mais aussi dans la population. Ils se sont faits à l’idée que les Baltes partaient, mais l’Ukraine jamais.
En Ukraine, rien ne pourra obliger les militaires à aller contre la population. Le ministre de la Défense Kouzmouk ne prendra pas le risque de donner l’ordre d’utiliser la force contre les civils. Les services spéciaux n’interviendront pas non plus. Il existe toutefois une unité dont la fonction est de protéger le président. En cas de menace pour sa vie, elle pourrait s’interposer. C’est pourquoi j’ai dit à l’opposition : pas d’assaut contre la présidence car cela ferait couler du sang. J’ignore si les forces spéciales russes sont en Ukraine, mais si c’est le cas, il faut les faire partir immédiatement. Le réveil démocratique de l’Ukraine se passe de la manière la plus pacifique. Il ne faut surtout pas gâcher cette fête, qui incarne l’émergence de la nation politique ukrainienne. Pourquoi un assaut quand il y a trois millions de personnes dans la rue ? Bientôt il y en aura cinq, les choses se feront d’elles-mêmes... Il est en revanche important de débloquer les bâtiments gouvernementaux pour que l’Etat puisse continuer de fonctionner.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« La Russie n’acceptera pas de perdre l’Ukraine », par Evgueni Kirillovitch Martchouk, Le Figaro, 29 novembre 2004. Ce texte est adapté d’une interview.