Le débat sur le projet de Constitution européenne est trop important pour l’enfermer dans les logiques partisanes. Le Parti socialiste et les Verts adopteront définitivement leur position dans les jours qui viennent, mais on voit déjà que les stratégies électorales, les logiques d’alliances et les ambitions personnelles brouillent la discussion. Les raisons du « oui » ou du « non » n’auront pas forcément grand rapport avec le contenu du texte. Pour moi qui suis éloigné des machines électives, c’est « non » en tant que citoyen et syndicaliste.
Ce texte est dangereux et inacceptable. Je suis européen en ce sens que je me bats pour la construction d’une véritable citoyenneté européenne. Ce texte en lui même avec ses 500 articles mélangeant valeurs de société, organisation des pouvoirs et politiques sectorielles est un document à la fois illisible et incompréhensible. Est-il responsable de proposer à ratification un tel projet en pleine vague d’euro-scepticisme ? Une vraie constitution doit ouvrir la possibilité d’une appropriation par les citoyens. En fait, ce texte prétend, en les intégrant, sacraliser des politiques européennes induites par une vision libérale de l’économie et atlantiste de la défense. De ce fait, le projet a pour conséquence concrète, s’il était adopté, de priver les citoyens d’exercer leur droit légitime à choisir un modèle économique, social et écologique. En privant les citoyens de choix, ce texte est dangereux pour la démocratie.
Les partisans du « oui » agitent volontiers le hochet du droit de pétition qui figurerait dans le traité, mais ce « droit » ne permet qu’à un million de citoyens de faire des propositions à la Commission, ils n’ont toujours aucun pouvoir. En tant que syndicaliste, je note que la Charte des droits fondamentaux, tellement vantée, ignore l’essentiel des droits sociaux et syndicaux. Un seul exemple : si le principe de sécurité sociale est admis, la Constitution ne parle que de « protection sociale adéquate », ce qui ne veut rien dire et exclut d’entrée toute harmonisation par le haut pour les salariés les moins bien protégés d’Europe. Le projet de texte est inscrit dans la ligne de pensée de l’OMC et plus particulièrement de l’idéologie qui sous-tend le fameux Accord général sur le commerce et les services (AGCS), pierre angulaire du démantèlement des services publics en Europe. Avec ce texte, la déréglementation deviendra la règle, comme le propose d’ailleurs un tout récent rapport remis à Nicolas Sarkozy. Les partisans du « oui » invoquent souvent le ralliement de la Confédération européenne des syndicats au texte. Il faut cependant savoir que cette instance ne représente qu’elle-même et que, dans tous les pays d’Europe, les organisations syndicales prennent des positions beaucoup plus prudentes, quand elles ne sont pas hostiles.
La Confédération paysanne s’oppose à ce texte comme tout ceux qui veulent une autre Europe. En donnant valeur constitutionnelle à un texte qui s’inscrit dans une démarche diamétralement opposée, les femmes et les hommes de gauche ne feraient pas que renoncer à ce combat. Ils contribueraient aussi à figer dans le marbre une vision purement mercantile de la société, et donc à vider la politique de son sens. Je souhaite que la front le plus large possible à gauche s’ouvre en faveur du « non ».

Source
Le Monde (France)

« Pour moi, c’est "non" », par José Bové, Le Monde, 28 novembre 2004.