Au cours des 25 dernières années, un certain nombre de pays ont particulièrement souffert de guerre et de privations. L’Irak en est un exemple.
D’abord une guerre contre l’Iran – fomentée par les États-Unis – pendant presque toute la décennie quatre-vingt, qui coûta 8 millions de victimes aux deux pays, menant ces derniers au bord d’une catastrophe économique.
Puis une guerre brève, menée avec une violence particulière ; une guerre qu’on aurait pu éviter par des négociations, comme on le sait aujourd’hui, mais que la coalition de guerre, menée par les États-Unis, voulait au début de 1991. _ Le résultat en fut non seulement des centaines de milliers de morts, la destruction d’une grande partie des infrastructures du pays, mais encore la contamination pour des années de cette région par des munitions à l’uranium.
Cela fut suivi de 12 années de sanctions particulièrement rudes qui coûtèrent la vie à 1,5 million d’Irakiens.
Enfin la résistance, qui dure depuis cinq ans, envers une agression et une occupation, menées par les États-Unis, au mépris du droit international, qui provoque, une fois de plus, des millions de victimes.
Comment perçoit-on ces événements en Europe ? Par exemple, en tant qu’Allemand qui mène une vie plus ou moins bien réglée, qui ne doit pas craindre que chaque jour soit le dernier pour lui, sa famille, ses voisins ou ses amis. Comment prend-on conscience que cette puissance, dont il est prétendu, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qu’elle serait l’allié le plus sûr et le meilleur ami, commette les pires crimes de guerre ?
Et comment se fait-il que nous Européens, nous autres Allemands, laissions faire nos gouvernements, nos militaires, une partie de notre économie et de nos médias qui parti­cipent de près ou de loin à ces crimes ?

La langue de bois en faveur de la propagande de guerre US n’est plus de mise

Jürgen Todenhöfer, ancien politicien de la CDU (chrétiens-démocrates) et député du Land de Tübingen au Bundestag, actuellement vice-président du conseil d’administration de la maison d’édition Burda, vient de publier, dans la cinquième année de guerre en Irak, un livre (Warum tötest du, Zaid ? 2008, ISBN 978-3-570-01022-8) qui se présente comme un contre-poids. Un livre rapportant des conversations avec la résistance irakienne dans la ville de Ramadi, à l’ouest de Bagdad, un livre relatant les rencontres sur le plan humain et révélant les motifs et les objectifs de la résistance.

Et il semble bien que ce soit là le premier livre, dans l’espace germanophone, qui ne manie pas la langue de bois dans le sens de la propagande de guerre, soit les questions de terrorisme et de guerres de religion, ou de la menace islamique qui justifieraient la présence de GI’S en Irak, mais qui donne la parole aux hommes et femmes qui résistent.

C’est ainsi qu’on obtient une vue différenciée
 qui montre que la résistance est l’affaire de l’ensemble du peuple irakien ;
 qui dément le préjugé selon lequel les Irakiens se combattraient mutuellement pour des raisons religieuses ;
 qui démontre que les actes de terreurs dirigés contre la population ne sont que rarement le fait des Irakiens eux-mêmes, mais en majorité de combattants étrangers, de milices gouvernementales, d’escadrons de la mort menés par les États-uniens, voire des troupes d’occupations elles-mêmes ;
 qui apporte la preuve qu’on ne peut envisager la paix tant que les troupes d’occupation séviront dans le pays et que ce ne serait possible qu’une fois celles-ci retirées ;
 qui présente des hommes et des femmes qui n’ont plus d’autre solution que de résister à une troupe d’occupation barbare dans son comportement.

C’est pourquoi ce livre est davantage qu’un coup d’œil sur la résistance irakienne. C’est une fenêtre ouverte sur les agissements des troupes d’occupation. Enfin un auteur allemand de renom révèle ce que précédemment des auteurs états-uniens tels que Evan Wright (Generation Kill. Das neue Gesicht des amerikanischen Kriege » 2005, ISBN 3-86150-725-0) ou Joshua Key (Ich bin ein Deserteur 2007, ISBN 978-936096-80-4) avaient osé écrire.

Les victimes irakiennes ont enfin la parole

C’est un livre humain, laissant la parole aux victimes de ce pays
« Ne pouvez-vous pas faire comprendre à vos amis états-uniens qu’ils doivent cesser de placer nos enfants devant l’alternative soit d’assister sans sourciller au massacre de leurs familles ou de se mettre eux-mêmes à tuer ? Ne pouvez-vous leur inculquer qu’il est temps de cesser cette guerre, qui cause, de façon insensée, des victimes parmi leurs soldats et nos propres fils ? Nous n’en pouvons plus. Ce seront bientôt toutes les femmes irakiennes qui auront à pleurer l’un des leurs. Qu’avons-nous fait aux États-uniens ? » – C’est ce qu’entendit l’auteur de la part d’une mère.

A la fin de la première partie de son livre présentant ces entretiens, l’auteur exprime ses sentiments, tout comme s’il nous représentait nous tous, après avoir dialogué avec un jeune homme entré en résistance, alors qu’il avait perdu ses frères innocents par un commando de terreur des troupes d’occupation US : « Je n’oublierai jamais ce jeune homme quoiqu’il arrive ; jamais les larmes des gens que j’ai rencontrés à Ramadi. Une guerre maudite, reposant sur le mensonge et perdue – perdue pour tout le monde. Je suis écœuré de voir qu’en Occident on parle et rêve encore de ‹victoire› et j’ai honte de l’indifférence occidentale face à cette tragédie. Rarement j’ai eu un tel sentiment de honte comme à Ramadi » .

Quelques thèses concernant la relation entre le monde occidental et le monde de l’Islam

La deuxième partie du livre consiste en un « épilogue très personnel » qui dépasse toutefois largement une prise de position personnelle et rappelle à tout un chacun, en réflexion, combien il est erroné de considérer l’Islam comme agressif et menaçant pour le monde occidental. Bien au contraire : Jürgen Todenhöfer formule des thèses concernant la relation du monde occidental avec celui de l’Islam, qui jettent une autre lumière sur les conflits actuels. Par exemple :
 « L’Occident est nettement plus violent que le monde de l’Islam. Depuis le début de la colonisation, plus de quatre millions de civils arabes ont été tués. »
Ou bien
 « Du fait de la politique de guerre de l’Occident, il n’est pas étonnant d’observer que les extrémistes islamiques attirent toujours plus de monde. »
Ou bien
 « Les terroristes camouflés en islamistes sont des assassins. Mais quant aux dirigeants de guerres d’agression en dépit du droit international camouflés en chrétiens, c’est pareil. »
Ou bien
 « Les Musulmans furent et sont toujours, pour le moins, aussi tolérants que les Juifs et les chrétiens. Ils ont eu une grande influence sur la culture occidentale. »
Ou bien
 « On trouve l’amour de Dieu et de son prochain non seulement dans la Bible, mais aussi dans le Coran, comme commandement central. »
Ou bien
 « La politique de l’Occident par rapport au monde musulman se caractérise par une ignorance crasse des faits les plus ­simples. »
Ou bien
 « La nécessité du moment s’appelle l’art de diriger l’État et non pas celui de mener des guerres, qu’il s’agisse de celle d’Iran, d’Irak ou du conflit en Palestine. »

Toutes ces thèses méritent d’être étudiées à fond et de provoquer des discussions larges – ce qui irait vraiment dans le sens de l’auteur.

Une bonne partie du livre est consacrée à de larges extraits de la Bible et du Coran. C’est une façon pour Jürgen Todenhöfer de réfuter la conception d’un inévitable « choc des civilisations » et du caractère irréconciliable du christianisme, du judaïsme et de l’Islam. Il se place ainsi dans la tradition du « Projet d’éthique planétaire », du théologien de Tübingen, Hans Küng. Il rappelle aussi que le monde des intellectuels avait accompli de plus grands progrès que l’idéologie néoconservatrice d’aujourd’hui, et bien plus loin que toute idéologie actuelle orientée vers le pouvoir et la violence qui l’accompagne.
Il confirme aussi ce que 138 théologiens musulmans avaient écrit en octobre 2007 au pape Benoît XVI : « Le christianisme et l’Islam sont les deux plus grandes religions du monde, cela tout au long de l’histoire. Les chrétiens représentent un tiers de l’humanité, les musulmans un cinquième, ce qui fait 55% du total. La relation entre ces deux communautés religieuses prend donc une dimension particulière pour imposer la paix dans le monde. Si les chrétiens et les musulmans ne peuvent vivre en paix entre eux, alors il ne peut y avoir de paix dans le monde. »