Des voix s’élèvent pour protester contre la convention passée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avec la chaîne libanaise Al- Manar. Cette décision demande une explication.
Rappelons tout d’abord que le CSA s’est toujours montré particulièrement vigilant sur les questions de racisme, d’antisémitisme ou d’incitation à la haine. Nous agissons fréquemment par des sanctions et des mises en garde sur les télévisions ou radios diffusées en France. Mais comment faire quand les images sont diffusés par satellite, comme c’est le cas pour Al-Manar, alors que certaines de ces chaînes diffusent des programmes ouvertement racistes, antisémites et faisant l’apologie de la violence ? Le CSA n’a pas fui ses responsabilités et, dès janvier dernier, a saisi le parquet de Paris au sujet d’un feuilleton antisémite diffusé par Al-Manar. En dépit de nos demandes, Eutelsat a refusé de mettre fin à la diffusion d’Al- Manar et de nombreuses autres chaînes non conventionnées. Face à un vide juridique devant lequel nous nous trouvions concernant ces chaînes envoyant en toute illégalité, sans convention, des programmes contestables nous avons alerté le gouvernement. Le CSA souhaitait exercer lui-même ce pouvoir d’imposer le retrait d’une telle chaîne, mais ce pouvoir a été confié au Conseil d’État. Si nous l’avions obtenu, nous aurions aussitôt ordonné à Eutelsat de mettre fin à la diffusion d’Al-Manar.
Nous avons donc saisi le Conseil d’État pour demander de mettre fin à la diffusion d’Al-Manar en raison du caractère raciste et antisémite de certains programmes. Les défenseurs de la chaîne ont, pendant l’audience, reconnu que la diffusion de la série avait été une faute grave et ils ont exprimé le souhait de se faire conventionner par le CSA. Sensible à cet argument, la cour a rejeté notre demande. Le Conseil d’État considérait donc que les diffusions antérieures et illicites de la chaîne ne constituaient pas un motif suffisant pour en demander l’arrêt dès lors qu’Al Manar prenait des engagements pour l’avenir. Le 21 septembre dernier, Al Manar a déposé son dossier, s’engageant à respecter la loi française et à ne pas diffuser de programmes susceptibles d’inciter à la violence ou à la haine pour des raisons de religion et de nationalité. Le CSA a donc instruit cette demande conformément à l’avis du Conseil d’État. Nous avons posé les conditions les plus draconiennes et nous avons imposé le texte le plus rigoureux imposé à une chaîne de télévision et nous avons limité cette convention à une durée d’un an alors que la durée des conventions est toujours de cinq ans. Al-Manar a accepté de se soumettre à ces dispositions. Les programmes d’Al-Manar sont suivis par des observateurs arabophones qualifiés et assermentés. Toute infraction aux engagements de la convention souscrite par Al-Manar ferait bien évidemment l’objet de procédures de sanction qui peuvent aller jusqu’à la résiliation unilatérale de la convention, ce qui mettrait consécutivement Eutelsat dans l’obligation de cesser la diffusion de la chaîne.
Ce débat autour d’Al-Manar présente au moins le mérite de mettre en évidence la difficulté de la régulation à l’échelle internationale. Car la chaîne libanaise est un arbre qui cache la forêt des autres chaînes venues de partout, mais surtout du Proche et du Moyen-Orient, et qui posent souvent les mêmes problèmes. La chaïne iranienne arabophone Al-Alam a ainsi diffusé le même feuilleton antisémite qu’Al-Manar. Le CSA ne peut pas endiguer ce flot d’images s’il est seul et sans moyens juridiques suffisants. Il serait injuste et illusoire de demander au seul CSA français de contenir la guerre des images qui fait rage dans le monde, nous sommes le seul pays où ces chaînes sont diffusées à tenter de faire quelque chose. Je souhaite vivement que le président de la République, le gouvernement et le Parlement se saisissent de cette question et adaptent la loi afin qu’elle permette de relever les défis d’une télévision mondialisée. Nous devons également mieux coordonner notre action avec les pays européens.

Source
Le Monde (France)

« À propos d’Al-Manar... et de nombreuses autres chaînes », par Dominique Baudis, Le Monde, 1er décembre 2004.