Horizons et débats : Tariq Aziz se trouve depuis quelques jours devant le tribunal en Irak et on affirme qu’il doit s’attendre à la peine de mort. Comment jugez-vous ce procès ?

Hans-Christof von Sponeck : Le souvenir d’autres procès, par exemple celui de Saddam Hussein ou de Barsan al Tikriti, son demi-frère, montrent tout à fait clairement que la justice dans l’Irak actuel n’est pas une justice à travers laquelle on peut voir nettement et lucidement que l’accusé est coupable, réellement coupable et ainsi passable de jugement. Le tout est confirmé par le fait que le juge qui a présidé à l’époque le début du procès de Saddam Hussein, est maintenant aussi le juge de Tariq Aziz. Donc, il semble plutôt qu’on essaie de créer un cadre juridique pour l’application d’une vengeance afin que les Irakiens et la communauté internationale aient le sentiment qu’ici on juge au moyen de lignes juridiques normales. Ainsi, la légitimité de ce processus n’est pas certaine.

Vous vous êtes plusieurs fois engagés pour Tariq Aziz. Pour quelle raison ?

Hans-Christof von Sponeck : Comme mon prédecesseur, Dennis Halliday, j’ai toujours plaidé pour que tous ceux qui sont jugés, soient traités correctement au niveau juridique. Le fait que des individus soient pendant des années derrière les barreaux, en partie dans des cellules individuelles comme Tariq Aziz et qu’ils attendent leur condamnation sans accusation, est une violation du droit international. Mon prédécesseur et moi, nous nous sommes engagés en faveur de Tariq Aziz pour des raisons humaines. Cela ne veut pas dire que nous ayons dit qu’il devait être simplement libéré, mais nous avons dit que cet homme était diabétique, qu’il était malade et que l’accusation n’était pas claire. C’est pourquoi on devrait le remettre maintenant à sa famille. Cependant, il devra se tenir à disposition si on entame un procès. Mais jusque-là, on doit lui octroyer ce qui revient à chacun, c’est-à-dire un traitement médical pour un malade. C’était notre motivation et non pas parce que nous voulions qu’on suspende la loi pour lui. S’il a commis du mal, il doit montrer (maintenant) sa responsabilité et il doit rendre des comptes. Pour des raisons purement humanitaires, nous voulions qu’il soit remis en liberté jusqu’à ce que le tribunal l’inculpe formellement et décide ensuite s’il a commis un délit et s’il doit rester en prison. On doit rappeler qu’il était parmi les 55 personnes les plus recherchées en 2003 – ce jeu de cartes douteux émanant des Américains – l’une des rares personnes qui se soient livrées à l’époque aux autorités.

Pourquoi n’y a-t-il toujours pas de conditions d’État de droit en Irak ?

Hans-Christof von Sponeck : Parce qu’en Irak, rien ne se déroule normalement : Les élections n’étaient pas des élections normales, la reconstruction n’est pas normale, l’invasion a été à l’encontre du droit international, tout comme l’occupation. Dans aucun domaine, on rencontre des conditions nromales. Cela vaut pour le parlement, pour le gouvernement et pour la justice. Cela concerne l’ensemble des institutions, que ce soit l’éducation, l’assistance médicale, l’électricité ou chaque élément de la vie quotidienne. En Irak, rien n’est normal ; et la juridiction en fait partie.
Avec d’autres personnes vous avez présenté un plan de pacification pour l’Irak. Quelle est la réaction à cette proposition ?

D’abord, il faut toujours que je dise que ce n’est pas encore un plan intégré, ce sont d’abord des éléments importants pour un plan de pacification, pas seulement en Irak, mais aussi avec l’Irak, donc une paix entre les Irakiens et une paix entre l’Irak et la communauté internationale. Dans l’organisation suédoise Transnational Foundation for Peace, dont je suis également membre, nous avons déjà commencé depuis le mois d’août dernier à réfléchir sur des idées pour la paix. Ces réflexions ont été en partie publiées, entre autres dans Horizons et débats. C’est resté jusqu’à maintenant très limité, car nous voulions d’abord gagner plus de clarté au moyen d’une discussion, pour une évaluation si difficile dans des temps si agités et indignes en Irak. L’attente d’une réaction va être plus grande maintenant, parce que nous avons avancé de quelques pas. Nous avons pris contact avec des personnes qui favorisent également la paix. Le candidat à la présidence Dennis Kuchinich, membre du Congrès américain, l’ancien sénateur George McGovern et un de ses collègues, William Polk, font partie de ceux-là. Il y a aussi d’autres voix qui s’expriment maintenant, des voix que nous ne souhaitons pas forcément entendre.

Il y a eu des propositions prétendant que la paix ne peut être instaurée que si le pays est divisé en trois. De telles réflexions viennent de l’ambassadeur Peter Galbraith et du Président de la commission pour les Affaires étrangères du Sénat américain, le sénateur Joe Biden. Il existe un large éventail de positions. C’est bien qu’on commence à trier celles-ci. De même que nous ne devons pas oublier que nous portons certes une responsabilité politique pour ce qu’on a fait subir à l’Irak dans le passé, mais qu’en même temps nous devons regarder l’avenir en face et essayer de contribuer à une discussion sur ce qui est nécessaire tout de suite. Il est important pour la petite organisation suédoise de dire – le plan en dix points contient cela – quelle sorte de crime incroyable les gouvernements ont commis et qu’ils ne peuvent pas réparer seuls. Cela veut dire que la société civile doit apporter son concours en toute certitude, elle doit participer à la discussion.

La prochaine étape sera des rencontres dans un petit groupe composé de personnes avec des dispositions semblables, en Europe, aux États-Unis ou ailleurs. Notre espoir est que notre groupe se retrouve plusieurs fois entre le mois de mai et la fin de cette année, que nous ferons avancer le plan en extrayant des différentes propositions les éléments qui semblent précieux à tous et en les intégrant dans de nouvelles réflexions. Si cela se déroule jusqu’en novembre, alors on pourra largement informer l’opinion publique. Notre grand espoir est qu’on relance ainsi la discussion dans l’opinion publique sur la responsabilité de la société internationale, particulièrement de la société occidentale, quant à un meilleur avenir pour l’Irak. Ce serait une étape. L’autre étape consisterait à défier les gouvernements, par exemple celui de la Suède, à tendre la main à ceux qui s’occupent de ces questions dans la société civile. Nous mentionnons la Suède, parce qu’elle a montré l’initiative à propos d’une conférence sur l’Irak en 2008. Mais c’est, comme dans le cas de la conférence d’Annapolis sur la Palestine en 2007, une mauvaise approche du problème, dans la mesure où c’est une nouvelle tentative de négocier la paix au niveau des gouvernments. Il est plus important d’essayer de négocier dans un petit groupe constitué de personnes venant de l’Occident, parmi lesquelles David Malone de l’International Crisis Group. Celui-ci vient de rentrer d’Irak en ramenant à Helsinki un groupe d’Irakiens issus de tous les cercles ethniques et religieux et qui se rencontrent dans cette ville. C’est une bonne approche. Nous suivrons ce processus avec intérêt.

Il faut voir si on peut avec notre petit groupe établir des liens. Il ne s’agit ici en aucun cas de concurrence. Il s’agit de rassembler les personnes bien intentionnées et sincères qui peuvent contribuer à exiger des gouvernements qu’ils s’engagent maintenant intensivement pour mettre fin à cette catastrophe incroyable.

J’ai moi-même rapporté des USA un document qui montre qu’on évalue les coûts pour l’engagement quotidien de cette machine de guerre américaine à 720 millions de dollars par jour. Cela veut dire 20 milliards de dollars par mois. On doit voir cela en relation : Le secrétaire général de l’FAO, l’organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et agriculture, a déclaré le 1er mai 2008 à la télévision : Le monde se trouve dans une crise alimentaire. Nous avons besoin d’urgence de 460 millions de dollars pour nous procurer les aliments de première nécessité. On peut à peine s’imaginer que cette somme ne représente même pas les 720 millions de dollars dépensés en une journée par l’occupation américaine en Irak. Cela prouve qu’il ne doit pas s’agir d’une question d’argent et que la communauté internationale doit se montrer généreuse. Cependant, et je veux accentuer cela, il ne s’agit en aucun cas d’avancer ici l’argument financier, c’est uniquement une indication sur les énormes coûts du mauvais investissement en Irak. Cet argent pourrait apporter une aide décisive et être utilisé pour la reconstruction nationale et la paix en Irak.

De quelle manière la société civile peut-elle soutenir les efforts de paix en Irak ?

Hans-Christof von Sponeck : Le défi est véritablement énorme et chacun doit se sentir concerné. Il s’agit aussi de montrer de quelle manière chaque individu ou membre d’un groupe en Europe peut contribuer en tant que représentant de la société civile et parallélement aux différentes réflexions relatives à la paix, à rétablir la confiance et la normalité en Irak. Je rappelle l’initiative généreuse d’Horizons et débats selon la devise « dans chaque école, un enfant irakien, dans chaque hôpital, un patient irakien ». On ne doit pas renoncer, car nous avons tous de manière directe ou indirecte une coresponsabilité que nous devons assumer en marquant le pas et en nous engageant personnellement, chaque individu, chaque groupe, chaque gouvernement. Tous ceux qui ont eu la chance de développer une conscience pour l’Irak doivent y contribuer particulièrement.

Le grand débat doit véritablement commencer. Un engagement pour la paix en Irak doit être attractif, même pour les médias. Les rédactions doivent être prêtes à informer de manière approfondie lorsqu’il s’agit de tout un peuple, c’est-à-dire de 25 millions d’Irakiens sans espoir ! C’est aussi un défi pour nous tous. Nous devons dire clairement aux médias qu’ils doivent enfin sortir de leur léthargie et ne pas dire « Ah ! encore et toujours l’Irak ». Le cas de l’Irak en dit beaucoup plus sur la paix entre les êtres humains dans le monde. L’Irak est une épine dans la conscience de la communauté internationale. Quand on aura retiré cette épine au moyen d’une opération, alors seulement nous serons capables de reconnaître le nombre d’éperons encore existants dans le corps de notre monde. Il est important que l’on réfléchisse à une stratégie pour secouer les médias. Ils doivent enfin de nouveau comprendre ce dont il s’agit dans leur travail professionnel. Même les médias qui sont dépendants au niveau politique et économique ne doivent pas être négligés dans cette stratégie.

Il reste à chaque citoyen au moins la possibilité de boycotter les médias qui présentent les grandes crises de notre temps uniquement avec la superficialité de la sensation et qui trahissent ainsi leur devoir d’informer de manière objective et appronfondie.

Merci beaucoup pour l’entretien.