Le changement climatique avance et par conséquent la pression de prendre des mesures efficaces pour réduire les gaz à effet de serre augmente. Au lieu de continuer l’utilisation de carburants fossiles pour la production d’énergie, on veut travailler de plus en plus avec des matières premières d’origine végétale. Ce développement est dirigé actuellement dans une direction qui doit rendre très soucieux avant tout les apiculteurs. Tout laisse à penser que cette politique climatique s’apprête à entrer en collision avec les abeilles.

A l’origine, les matières premières d’origine végétale étaient une bonne idée. Les concepts de la transformation de la biomasse et d’huiles végétales ont tout d’abord été développés par quelques « écolos fous » et mis en œuvre de façon décentralisée pour ravitailler la propre exploitation et celle des voisins en courant électrique et en chaleur.

Grâce à la possibilité d’alimenter le réseau public en courant produit avec du biogaz ou d’utiliser, avec avantages fiscaux, de l’huile végétale comme carburant, ces idées sont devenues intéressantes, non seulement sur le plan écologique mais aussi financier. Les « écolos fous » ont été relégués au second plan par des investisseurs qui ont réalisé leurs concepts dans des dimensions de plus en plus étendues. Ainsi des monocultures de grandes surfaces de plantes possédant une haute valeur énergétique pour des sites toujours plus vastes ont pris le devant de la scène, allant de pair avec les méthodes de culture les plus intensives et leurs effets bien connus sur les abeilles. Depuis, des multinationales dans les domaines de l’énergie, de la chimie et de la construction d’automobiles ont fait main basse sur ce sujet et dominent les décisions politiques respectives. Si le législateur crée sous l’étiquette « Nous combattons le changement climatique » le cadre légal, les matières premières d’origine végétale deviendront la recette de succès pour les grandes entreprises :
 La lutte contre le changement climatique permet l’accès aux aides financières de l’Etat.
 Le passage des carburants fossiles aux biocarburants ne rend apparemment pas nécessaire de réviser la façon de penser.
 La croissance économique, poussée par la consommation, peut apparemment continuer indépendamment de la consommation en énergie.
 La politique peut se passer de mesures impopulaires pour baisser la consommation en énergie.
 L’industrie de l’automobile peut continuer à mettre sur le marché sa gamme de moteurs à explosion.
 Les biocarburants semblent – à court terme – apporter une amélioration de la sécurité de ravitaillement en énergie grâce à la diminution de la dépendance du pétrole brut issu des régions de crise.
 Grâce à une réduction de la demande on espère une stabilisation du prix du pétrole.

Comme lors de chaque fièvre de l’or, ce ne sont pas les chercheurs d’or, mais les négociants et ceux qui livrent l’équipement qui s’enrichissent.

Ceux qui font les grands profits sont les industries agricoles, de biotechnologie et de chimie, ainsi que les industries de raffinage et de carburants et le commerce mondial avec les matières premières d’origine végétale comme l’huile de palme, le colza, le maïs et la canne à sucre.

Les grands ravitailleurs en électricité, eux aussi, ont déjà des idées très précises sur comment remplacer les structures décentralisées d’origine par des solutions qui s’accordent mieux à leur modèle d’affaires.

Les soi-disant « sauveteurs du climat » de sociétés comme Bayer, BASF, Syngenta et avant tout Monsanto y trouvent un champ d’activité spécialement intéressant. Ces producteurs de pesticides et de semences génétiquement modifiées voient leurs chiffres d’affaires toujours freinés par les consommateurs. Dans l’alimentation, l’utilisation de pesticides n’arrête pas de subir des critiques et les OGM ont vite été éliminés des rayons des supermarchés.

Dans le domaine des matières premières d’origine végétale on a bon espoir de pouvoir éviter de tels problèmes. Tant que les plantes ne finissent pas sur l’assiette du consommateur, on compte avec peu de résistance contre l’utilisation du génie génétique et de pesticides. En plus, la politique peut faire que le consommateur soit éliminé de la chaîne de décision.

Pour mieux comprendre que les jalons sont déjà posés dans cette direction et quel rôle est attribué au génie génétique dans le secteur agricole, nous devrions nous rappeler le 4 septembre 2005.

Ce jour-là a eu lieu le duel télévisé entre le chancelier d’alors Gerhard Schröder et la candidate de l’Union à la chancellerie, Angela Merkel, avant les élections au Bundestag :

Merkel : « Vous permettez certainement une phrase terminale au sujet du génie génétique … »
Présentateur : « Non, non … ».
Merkel : « Si, je me sens dans l’obligation de le faire pour dire clairement que l’Allemagne est un haut lieu de la chimie. Et nous devons arriver à créer des matières premières d’origine végétale génétiquement modifiées, pas pour la consommation, mais pour créer des réactions chimiques. Les conditions sont maintenant plus mauvaises que dans d’autres pays européens, c’est la vérité. Et c’est pour cette raison que l’Allemagne ne se développera pas autant dans ce domaine, c’est ce que nous devons changer. Je trouve que les spectatrices et les spectateurs doivent le savoir. C’est une chose très importante pour les entreprises chimiques telles que BASF et autres. »

Après son élection, le nouveau cabinet fédéral s’est tout suite activé et le 15 mars 2006 déjà, il a décidé l’adjonction obligatoire de biocarburants à l’essence et au diesel. Ce pas a été justifié en affirmant que c’était l’unique façon d’atteindre les objectifs « ambitieux » en matière de protection du climat.

Comme prochain pas, les avantages fiscaux pour les biocarburants purs ont été abolis sous prétexte de la politique budgétaire.

Le 26 février de cette année le « Bundesverband biogene und regenerative Kraft-und Treibstoffe (BBK) (association fédérale pour les biocarburants régénérateurs) a écrit au gouvernement fédéral :
« Avec l’entrée en vigueur de la « 2. Steuerstufe » (deuxième phase de taxe fiscale) sur les biodiesels et les huiles végétaux du 1er janvier 2008, le marché du biodiesel allemand et de l’huile végétale s’est complètement effondré.
Avec la fiscalité actuelle de 15 centimes par litre de biodiesel et de 10 centimes par litre d’huile végétale, tous les deux sont plus chers que le diesel et par conséquence invendables. Environ 85% de la capacité de production allemande de biodiesel, environ 5 millions de tonnes, est arrêtée. Quant aux pressoirs d’huile situés devant, environ 70% des entreprises ont dû fermer à cause de la politique fiscale. »

Avec cette politique, les projets de biocarburants des moyennes entreprises sont détruits sans merci en faveur de la grande industrie. Ainsi, un objectif d’étape important est atteint. Le consommateur ne peut, contrairement au domaine de l’alimentation, pas s’opposer à l’utilisation massive de pesticides et du génie génétique dans la production des soi-disant carburants « bio ».
Pour le biogaz on a également trouvé une solution pour remplacer des structures décentralisées par un modèle plus conforme aux grandes sociétés. Du point de vue des grandes sociétés d’électricité, l’agriculteur comme gérant de l’énergie, a actuellement une trop grande part dans la création de valeur. Il ne produit pas seulement la biomasse, mais tient également le digesteur anaérobique et les générateurs.

Les sociétés sont obligées de rémunérer chèrement le courant ainsi produit, alimentant leur réseau.

Déjà en 2006 un membre de la direction de E.ON a présenté les idées des sociétés d’électricité au sujet du biogaz auprès de l’association paysanne. Les petits digesteurs anaérobiques des agriculteurs seraient beaucoup trop inefficaces et un ravitaillement central en électricité serait une meilleure voie. Un petit problème cependant se situerait dans la livraison de la biomasse aux grandes centrales par les agriculteurs qui surchargeraient notre infrastructure routière.

Mais on aurait déjà trouvé une solution à ce problème. Les agriculteurs transformeraient comme avant leur biomasse en gaz qui serait cependant standardisé pour alimenter de façon centralisée le réseau du gaz naturel.
La politique travaille déjà sagement à la réalisation de cette idée. Il y a une initiative fédérale pour simplifier l’envoi de biogaz dans le réseau du gaz naturel et le papier des points fondamentaux du gouvernement fédéral pour un programme intégré d’énergie et de la protection du climat prévoit aussi l’envoi de biogaz dans le réseau du gaz naturel pour le ravitaillement central. Déjà en décembre 2007, la première installation de traitement de biogaz naturel a été mise en service à Könnern, près de Halle.

De cette manière, il est assuré que la politique climatique ne se fait pas au détriment, mais pour le bien de la grande industrie. Cette ligne est certainement salutaire pour les bilans des sociétés. Notre bilan CO2 ne s’améliore pas pour autant !

Des matières premières d’origine végétale sont dans le meilleur cas neutre en CO2. Dans leur croissance elles retiennent le CO2 qui sera libéré lors de leur combustion. L’agriculture industrielle intensive cependant produit ces matières premières avec une grande consommation d’énergie et avec la destruction de l’humus, ce qui libère encore du CO2. Le bilan du CO2 n’est pas seulement catastrophique lorsque dans le tiers-monde les forêts tropicales sont déboisées et remplacées par des plantations de palmiers à huile. Même dans la région, cette culture est avantageuse seulement si l’on utilise des méthodes de cultures extensives ou des déchets.

Naomi Klein a démontré dans son livre actuel « Die Schock-Strategie. Der Aufstieg des Katastrophenkapitalismus » [La stratégie de choc. La montée du capitalisme de catastrophe] de manière impressionnante comment des catastrophes sont habilement utilisées pour faire passer mondialement une certaine forme du capitalisme. « En état de choc on peut faire passer des choses qui, en périodes stables, ne seraient jamais acceptées par la population. » Le choc du climat ne fait pas exception.

Qu’est-ce que tout cela signifie pour l’apiculture ?

A cause d’évolutions négatives dans la production alimentaire, nous souffrons déjà aujourd’hui des conséquences d’une agriculture industrialisée trop intensive. Avec la monoculture nos abeilles souffrent d’un manque de pollens et des pesticides. Des champs en fleurs sont changés en désert vert par l’exploitation de silo. Le génie génétique menace de contaminer nos produits et d’endommager nos abeilles, il échoue cependant en ce moment encore à la résistance des consommateurs dans le domaine de l’alimentation.

La surproduction d’aliments a conduit dans le passé à une mise en friche de terrains dans lesquels nous aurions aimé voir des plantes pour les abeilles. Le boom dans la mauvaise direction des matières premières d’origine végétale a conduit à un changement drama­tique dans le domaine agricole. Les terrains en friche sont de nouveau labourés et manqueront désormais comme surface de retrait pour les abeilles et d’autres insectes.

D’après les indications de l’« Union zur Förderung von Öl- und Proteinpflanzen (ÜFOP) » [Union pour la promotion des oléagineux et des protéagineux], des matières premières d’origine végétale ont été plantées pour la récolte 2007 en Allemagne sur des terrains en friche de 437 600 ha. Cela correspond à une hausse de 9,7% en comparaison de l’année 2006.

Pour l’année 2008, l’UE a supprimé pour la première fois la mise en friche et il faut compter que prochainement l’abolition complète du devoir de la mise en friche sera décidée. Là il n’y aura plus beaucoup d’obstacles au désert agricole.
L’utilisation de pesticides et du génie génétique pour les matières premières d’origine végétale ne peut plus être endiguée de façon efficace par la résistance des consommateurs. Des plantes génétiquement modifiées seront à l’avenir développées spécialement pour le domaine des matières premières et n’ont en règle générale pas besoin d’un permis de culture comme les aliments. D’après la loi actuelle, déjà, des contaminations minimes de ces cultures conduisent à l’interdiction de vente de nos produits.

Pour les matières premières d’origine végétale, il ne s’agit pas seulement de colza pour le biodiesel et de maïs pour le biogaz. Il y a aussi des peupliers génétiquement modifiés pour la production de papier qui sont déjà dans les laboratoires et devraient, d’après l’idée de l’industrie, bientôt être cultivés commercialement. Les abeilles récoltent les pollens des peupliers. Ainsi, de cette source, il y aura aussi du pollen génétiquement modifié dans nos produits d’apiculture, ne provenant pas d’OGM avec permis pour l’alimentation.

Encore plus passionnant – les produits appelés Pharma-Crops. Ce sont des plantes qui ont été modifiées génétiquement pour produire des substances pharmaceutiques. Aux USA, on cultive déjà certaines de ces matières premières pharmaceutiques renouvelables en pleins champs sans aucune protection pour les produits d’apiculture. Depuis des années, nous attirons l’attention sur ces problèmes, mais la loi sur le génie génétique n’offre pas de protection pour l’apiculture et ses clients.

Les décisions politiques du gouvernement fédéral et de l’UE pour la culture de matières premières d’origine végétale se trouvent sur une voie de collision directe avec l’apiculture. La santé des abeilles est fortement menacée par une telle intensification de l’agriculture.

La mort des abeilles ainsi que des produits contaminés, représentent une menace fondamentale pour la rentabilité des exploitations d’apiculture.
Les cultures qui ne sont pas destinées à la production d’aliments sont également visitées par les abeilles. Pour cette raison, une coexistence n’est possible ni entre les agriculteurs ni avec l’apiculture. Les arguments des apiculteurs sont sciemment passés sous silence ; dans ce domaine, les promesses de coexistence n’ont jamais été prises au sérieux, mais cela permet à l’industrie du génie génétique de mettre un pied dans la porte. La contamination une fois commencée, il n’y a rapidement sous peu plus de liberté de choix, mais des valeurs limites toujours corrigées vers le haut.
Il n’ya plus que les parlementaires crédules, donc les députés, qui renoncent à approfondir leur connaissance dans la matière, à croire encore au conte de fée de la coexistence. Les conteurs d’histoires dans l’industrie, la science et les ministères savent pertinemment combien peu de vérité se trouve dans ces promesses.

Dans des sondages, la population refuse depuis des années avec une grande majorité le génie génétique. Malgré cela, le traité de coalition a annoncé élaborer les règlements pour le génie génétique de manière « à encourager la recherche et l’utilisation en Allemagne ». Comme nous avons vu, cela se passe aussi et justement sous le manteau de la politique du climat et de l’énergie. Une bonne idée se retrouve entre de mauvaises mains.
Georg Schramm a très bien résumé cette situation dans l’émission satirique « Scheibenwischer » :

« Des associations d’intérêts font la politique. Ils tirent les ficelles auxquels sont suspendus les guignols qui peuvent nous jouer le jeu de la démocratie dans leur théâtre de guignol berlinois. »

Dans ce cas, le titre de la pièce est « Angela Merkel sauve le climat » et nous devons veiller à ce que cette farce politique soit rayée du programme, avant que le climat et nos abeilles ne puissent plus être sauvés.

Cela ne sera possible que si les apiculteurs, les agriculteurs et les consommateurs prouvent par leur engagement que l’Allemagne est une démocratie qui fonctionne, et non pas seulement un site de l’industrie chimique.

Source : Imkerei-Technik-Magazin, 1/2008
Traduction Horizons et débats