Depuis son intronisation à la présidence des États-Unis, Barack Obama, occupé par de multiples dossiers, n’a toujours pas effectué de geste en direction de Cuba, malgré ses promesses de campagne de mettre un terme aux sanctions économiques imposées par son prédécesseur George W. Bush en mai 2004. Celles-ci limitent drastiquement les visites des émigrés cubains vers leur pays d’origine à 14 jours tous les trois ans et réduisent l’aide financière familiale à 100 dollars par mois, dans le meilleur des cas [1].

Un rapport bipartite du Congrès états-unien, rendu public le 23 février 2009, intitulé Changer la politique à l’égard de Cuba en faveur de l’intérêt national des États-Unis [document téléchargeable au bas de cette page], recommande au président d’entreprendre « un premier pas unilatéral » à l’égard de La Havane, avant le prochain Sommet des Amériques du 17 avril 2009. Selon le congressiste de l’Indiana Richard Lugar, promoteur du rapport de 25 pages, ce geste consisterait, dans un premier temps, à éliminer les sanctions de 2004, un simple ordre exécutif étant nécessaire à cela [2].

« Un tel geste pourrait signaler un important changement et favoriserait un climat de bonne volonté à l’égard des États-Unis de la part des pays latino-américains, tout comme la coopération régionale que le gouvernement états-unien recherche dans plusieurs domaines », souligne le document [3].

En effet, les sanctions économiques imposées de manière unilatérale par Washington depuis juillet 1960 sont unanimement rejetées par la communauté internationale. Le 29 octobre 2008, pour la 17ème année consécutive, 185 pays sur les 192 que compte l’Assemblée générale des Nations unies se sont prononcés pour la levée de cet état de siège qui affecte toutes les catégories de la population cubaine. En effet, les sanctions états-uniennes sont le principal obstacle au développement économique de Cuba. Elles ont coûté 93 milliards de dollars à l’économie cubaine depuis leur entrée en vigueur et 3,7 milliards rien que pour l’année 2007. L’opinion publique états-unienne et le monde des affaires sont également opposés à l’actuelle politique de la Maison-Blanche en raison de son caractère obsolète, cruel et inefficace [4].

Par ailleurs, lors de la réunion historique du 16 décembre 2008 qui a intégré Cuba au Groupe de Río au Brésil, les 33 nations latino-américaines et caribéennes ont réitéré avec vigueur leur condamnation des sanctions contre Cuba [5]. Les visites à Cuba de Cristina Kirchner, Michelle Bachelet, Rafael Correa, Alvaro Colom, Hugo Chávez, José Manuel Zelaya Rosales et Leonel Fernández Reina respectivement présidents de l’Argentine, du Chili, de l’Équateur, du Guatemala, du Venezuela, du Honduras et de République dominicaine depuis le début de l’année 2009 illustrent la solidarité continentale à l’égard de La Havane, réalité que la Maison-Blanche ne peut se permettre d’ignorer [6].

Même le discipliné et fidèle secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) José Miguel Insulza, allié de Washington, a fait part de son souhait de voir le gouvernement Obama mettre un terme aux sanctions économiques contre Cuba. « J’aimerais que l’embargo contre Cuba soit rapidement éliminé », a-t-il déclaré [7].

De la même manière, en février 2009, le colonel Glenn Alex Crowther, éminente personnalité militaire et professeur d’affaires de sécurité nationale à l’Institut d’études stratégiques (SSI), entité appartenant au célèbre Collège de Guerre des États-Unis, s’est également prononcé contre les sanctions économiques dans le bulletin officiel du SSI. Il a exhorté le gouvernement Obama à changer de polítique dans une réflexion intitulée « Dites au revoir à l’embargo ». Selon lui, « lever l’embargo pourrait envoyer un signal fort à la communauté internationale démontrant que les États-Unis sont magnanimes et inclusifs ; le maintenir nous fait paraître mesquins et vindicatifs ». Par ailleurs, « nous ne pouvons convaincre personne que Cuba est une menace pour les États-Unis ni démontrer au niveau international que le maintien de la même politique aura un impact positif » [document téléchargeable au bas de cette page].

Récemment, plusieurs centres politiques, économiques et intellectuels influents tels que la Brookings Institution, le Council on Foreign Relations, l’Inter-American Dialogue et la New America Foundation, entre autres, ont également exprimé leur rejet de l’actuelle politique étasunienne à l’égard de Cuba [8].

Le rapport bipartite propose également que le Congrès se charge de lever l’interdiction de voyager qui pèse sur les citoyens états-uniens et mette ainsi terme à une situation absurde et illégale qui leur permet de se rendre en Corée du Nord, en Chine et au Vietnam, mais pas à Cuba [9]. Des estimations prévoient la visite d’un million de touristes états-uniens dès la première année, qui génèreraient des revenus à hauteur d’un milliard de dollars. Ces ressources permettraient aux autorités de résoudre une grande partie des problèmes actuels, notamment dans le domaine du transport et du logement [10].

Au début du mois de février 2009, un autre groupe bipartite mené par le représentant démocrate William Delahunt du Massachusetts a également présenté un projet de loi en ce sens, demandant l’annulation de l’interdiction de voyage pour les ressortissants étasuniens [11].

Richard Lugar est le républicain de plus haut rang du Comité des Affaires étrangères du Sénat et il est réputé pour être un farouche critique du gouvernement cubain. Mais, lucide, il a appelé à un changement radical de stratégie à l’égard de La Havane, conscient de l’échec subi par les États-Unis, à tous les niveaux, dans sa politique à l’égard de l’île des Caraïbes. « Nous devons reconnaître l’inefficacité de notre politique actuelle et traiter avec le régime cubain d’une façon qui renforce les intérêts américains », a-t-il admis [12].

Lugar propose également d’éliminer les restrictions de mouvement imposées aux diplomates cubains sur le territoire états-unien et de reprendre les conversations bilatérales sur les thèmes migratoires et la lutte contre le narcotrafic, interrompues unilatéralement par l’administration Bush. Le rapport souligne également la nécessité de supprimer les conditions draconiennes imposées à La Havane pour l’achat de produits alimentaires (paiement effectif et à l’avance) qui réduit singulièrement les possibilités d’acquisition, et de permettre le financement privé pour les transactions commerciales. Le congressiste républicain suggère également d’élargir la liste des produits que les Cubains peuvent acquérir aux États-Unis en incluant les médicaments, les équipements médicaux, le matériel agricole et le matériel de construction. Le document évoque également la possibilité d’acheter des produits biotechnologiques à Cuba, un des leaders mondiaux dans ce domaine [13].

Le projet de Lugar est intéressant car il s’agit sans nul doute de l’une des approches les plus réalistes et constructives présentées au Congrès. L’administration Obama ferait preuve de sagacité en suivant les pistes élaborées par le document, illustrant ainsi auprès de la communauté internationale sa volonté de résoudre le différend historique entre les deux nations.

Le 25 février 2009, devançant Barack Obama, la Chambre des représentants a approuvé, à 245 voix pour et 178 contre, un projet de loi de finance qui permettra aux Cubains des États-Unis de se rendre dans leur pays d’origine une fois par an, annulant ainsi les restrictions de Bush. Cette législation doit encore être avalisée par le Sénat et ratifiée par le président. Cependant, si elle était adoptée, cette mesure ne serait valable que jusqu’au mois d’octobre 2009, date à laquelle entrera le nouveau budget pour 2010. C’est la raison pour laquelle un décret présidentiel est nécessaire car il lui donnerait un caractère plus permanent [14].

Du côté de La Havane, le gouvernement a toujours été disposé à résoudre le conflit avec les États-Unis à partir d’une base de respect mutuel, de réciprocité et de non-ingérence dans les affaires internes. Fidel Castro avait, en tant que dirigeant du pays, tendu à maintes reprises un rameau d’olivier à la Maison-Blanche, se heurtant à chaque fois à un refus obstiné. Le gouvernement de Raúl Castro en a fait de même et a tendu une main fraternelle à Washington lors de multiples occasions, aussi bien à l’administration Bush qu’à celle d’Obama, sans obtenir de réponse [15].

Ainsi, en janvier 2009, Raúl Castro a tenu des propos élogieux à l’égard du premier président noir des États-Unis, soulignant ses traits « d’homme bon » et lui souhaitant « bonne chance » dans ses nouvelles fonctions. Il a réitéré sa disposition au dialogue « sans intermédiaires » et avec des « conditions égales [16] ». De son côté, le président de l’Assemblée nationale cubaine Ricardo Alarcón a salué les idées « intéressantes » et les qualités oratoires d’Obama [17].

L’administration Obama a l’obligation politique, stratégique et morale de mettre un terme au châtiment économique imposé à la population cubaine. Si elle veut incarner aux yeux du monde une rupture avec la politique désastreuse de son prédécesseur, si elle souhaite faire preuve de moins de dédain et d’arrogance à l’égard de l’Amérique latine, il est impératif de mettre un terme définitif au harcèlement contre le peuple cubain. Celui-ci, sans oublier le passé, lui tendra alors une main amicale et réconciliatrice.

titre documents joints


« Changing Cuba Policy in the United States Interest » Staff trip report to the Committee on Foreign Relations. United States Senate, 23 février 2009.


(PDF - 116.3 kio)

« Kiss the Embargo Goodbye », par le colonel Glenn A. Crowther, Strategic Studies Institute éd., février 2009.


(PDF - 158.6 kio)

[1« Le plan Powell pour l’après-Castro », par Arthur Lepic, Réseau Voltaire, 16 juin 2004. Le lecteur trouvera le rapport Powell en annexe de cet article (téléchargement au bas de la page).

[2Anne Flaherty, « EEUU debe replantear su embargo a Cuba dice senador republicano », The Associated Press, 23 février 2009 ; Wilfredo Cancio Isla, « Informe del Senado pide levantar prohibición de viajes a Cuba antes de abril », El Nuevo Herald, 23 février 2009.

[3Ibid.

[4Edith M. Lederer, « UN Again Urges US to Lift Embargo Against Cuba », The Associated Press, 29 octobre 2008.

[5The Associated Press, « Latam Summit : New Independence, End Embargo », 17 décembre 2008.

[6El Nuevo Herald, « Colom ofrece disculpas a Cuba por invasión de Bahía de Cochinos », 18 février 2009.

[7EFE, « Insulza espera que Obama levante el embargo a Cuba », 20 janvier 2009.

[8Wilfredo Cancio Isla, « Recomiendan a EEUU buscar ‘acuerdo constructivo’ con Cuba », El Nuevo Herald, 26 février 2009 ; David Brooks, « El embargo a Cuba, un fracaso, afirma el senador republicano Lugar », La Jornada, 24 février 2009.

[9Richard Lugar, op. cit.

[10Wilfredo Cancio Isla, « Informe del Senado pide levantar prohibición de viajes a Cuba antes de abril », op. cit.

[11Ibid.

[12Richard Lugar, op. cit.

[13Ibid.

[14El Nuevo Herald, « Cámara aprueba proyecto de ley que flexibilizaría viajes a Cuba », 25 février 2009.

[15Edith M. Lederer, « Cuba Expects New US President to Lift Embargo », The Associated Press, 30 octobre 2008.

[16Agence France Presse, « Raúl Castro desea ‘suerte’ a Obama y dice que le ‘parece un buen hombre’ », 21 janvier 2009.

[17Agence France Presse, « Alarcón dice que el discurso de Obama es ‘interesante’, pero deja dudas », 20 janvier 2009.