Sur fond de crise économique et financière, du G20 à Durban II, les sommets et les conférences internationales se succèdent sans que les médias dominants nous éclairent beaucoup sur ce qui s’y joue et s’y décide vraiment. Silvia Cattori a recueilli les analyses de Thierry Meyssan sur la réorganisation du monde à laquelle nous assistons. Selon lui, derrière Obama, de vieilles équipes ont repris le pouvoir. Une fois tournée la parenthèse de la guerre en Irak, Washington est revenu à son projet de guerre au terrorisme et de globalisation forcée.
Silvia Cattori : Quels étaient les objectifs des États-Unis au récent G20 de Londres ? Dans quelle mesure sont-ils parvenus à les atteindre ? Ont-ils réussi à se rallier une majorité de dirigeants politiques ?
Thierry Meyssan : Les deux sommets des chefs d’État et de gouvernement du G20 à Washington, puis à Londres, ont consacré la suprématie de la finance anglo-saxonne, et posé les prémisses d’un gouvernement économique mondial sous leadership anglo-saxon.
Le troisième sommet est prévu à New York en marge de l’Assemblée générale de l’ONU ; ce qui est une manière d’humilier cette assemblée et d’affirmer l’existence d’un directoire économique des 20, équivalent au directoire politique du Conseil de sécurité, en dehors des institutions de l’ONU.
Cependant, malgré les embrassades publiques, aucun accord significatif n’a été conclu entre les membres du G20. Les déclarations finales énumèrent des principes généraux qui n’engagent personne et des actions précises qui ont toutes été prises en dehors du sommet et dont aucune ne concerne les 20 à la fois [1]. Le sommet de Londres pourrait donc s’avérer être un sommet de dupes.
La politique financière et économique de l’administration Obama est élaborée par un ensemble complexe d’organismes. Elle se situe en totale continuité de celle de l’administration Bush [2]. Vous vous souvenez d’ailleurs que les plans Bush-Paulson ont été soumis au candidat Obama et approuvé par lui avant d’être présentés au Congrès. Le secrétaire au Trésor Tim Geithner a succédé à Henry Paulson avec lequel il travaillait depuis plusieurs mois. Geithner a commencé sa carrière comme « nègre » d’Henry Kissinger dont il écrivait les textes économiques. Bref, le changement n’existe que dans les slogans de Barack Obama.
Le Conseil économique national des États-Unis est présidé par Lawrence Summers, l’économiste qui a organisé, en 1999, le démantèlement des législations mises en place lors de la crise de 1929 pour en empêcher la répétition. À l’époque, son but était de favoriser une spéculation sans limites pour drainer les richesses du monde vers Wall Street. C’est toujours avec le même objectif qu’il poursuit son œuvre à travers les divers plans de sauvetage, de stabilisation etc. qu’il a imaginé.
Le Comité des conseillers économiques de la Maison-Blanche, dirigé par l’historienne Christina Romer, considère que la guerre d’Irak a provoqué la crise financière. Elle n’a pas rapporté grand-chose aux Anglo-Saxons, mais les a très lourdement endettés. Selon Mme Romer, qui est une spécialiste de la crise de 1929, la guerre n’est donc pas la solution à la crise, c’est une de ses causes. Contestant les analyses classiques de ses collègues historiens de l’économie, Mme Romer affirme que ce n’est pas la Seconde Guerre mondiale qui a permis aux États-Unis de sortir de la crise de 29, pas plus que le New Deal de Roosevelt, mais l’afflux de capitaux européens à partir de 1936 et de « la montée des périls ». Il convient donc de provoquer un phénomène identique aujourd’hui.
De son côté, le Comité de la Maison-Blanche pour la reprise économique, présidé par Paul Volcker et articulé aux autorités britanniques, se préoccupe de profiter de la crise pour restructurer les transnationales et leur permettre de racheter le maximum d’entreprises pour une bouchée de pain. Les Français ont pu tester le goût amer de ses recommandations avec la fermeture de l’usine Caterpillar de Grenoble ; le patron de cette transnationale siège dans ce Comité à la Maison-Blanche [3].
Initialement, la mise en œuvre de ces stratégies devaient être coordonnée par le Conseil de Summers. Mais en définitive, tout a échu au Conseil de sécurité national du général James Jones où l’inévitable Henry Kissinger et son ex-associé Brent Scowcroft supervisent quotidiennement les décisions. Pendant que l’on distrait l’opinion publique en discutant de la différence de couleur de peau entre Bush et Obama, les mêmes individus continuent à exercer le pouvoir et à l’exercer de la même manière.
Concrètement, au cours des derniers mois, les Anglo-Saxons ont orienté la politique de leurs « clients » (au sens impérial romain du terme, c’est-à-dire de leurs protégés) pour qu’ils renflouent le système bancaire international. Les États, donc les peuples, ont dû payer les pertes des banquiers anglo-saxons. Dans certains cas, les États ont nationalisé —partiellement ou totalement— des banques, créant ainsi l’équivalent des fonds souverains des États pétroliers. Le système spéculatif, qui est à l’origine de la crise, a donc été validé et les États en sont devenus acteurs directs.
Pour sauver le niveau de vie des Anglo-Saxons, trois décisions ont été prises :
– En premier lieu, les moyens du FMI et de la Banque mondiale pour pressurer le tiers-monde ont été augmentés. Les pays pauvres sont les premiers mis à contribution pour renflouer les riches, en espérant que leur population ne sera pas décimée par la crise alimentaire à venir.
– Deuxièmement, la chasse a été ouverte pour contraindre les capitaux placés dans des banques des pays hors G20 à migrer vers les États-Unis, le Royaume-Uni et leurs paradis fiscaux [4]. Pour ce faire, les Anglo-Saxons et leur « idiot utile » Nicolas Sarkozy ont proclamé « la fin du secret bancaire », c’est-à-dire la fin de la protection de la vie privée. Il va de soi que toutes les fraudes et les abus pourront continuer comme avant, pourvu qu’ils aient lieu à l’abri des banques anglo-saxonnes, aux Bahamas ou aux îles anglo-normandes. Les Suisses seront sans aucun doute les premières victimes de ce grand racket.
– Enfin, si cela ne suffit pas, les Anglo-Saxons ont prévu de déstabiliser des pays riches pour contraindre les capitaux qui s’y trouvent à migrer à leur tour. Un test a été réalisé grandeur nature en Grèce. La CIA et le MI6 ont acheminé en autobus des voyous recrutés au Kosovo et en Albanie pour casser des centre-ville en Grèce. On a immédiatement assisté à une fuite des capitaux.
Il ne s’agit pas uniquement d’une politique états-unienne, mais bien d’une politique anglo-saxonne visant à sauver à la fois Wall Street et la City. Les principaux des responsables économiques de l’administration Bush (Geithner, Volcker, etc.) sont membres de la très discrète Pilgrim’s Society, dont l’assemblée annuelle à Londres est présidée par la reine Elizabeth II d’Angleterre et dont la section US est vice-présidée par Henry Kissinger.
Silvia Cattori : Le développement de la crise économique, va-t-il, selon vous, entraîner un déclin rapide et durable de la position des États-Unis dans le monde ?
Thierry Meyssan : Je ne suis pas économiste, mais analyste politique. Au demeurant, cela n’est pas un handicap pour vous répondre, car la politique économique des États-Unis est aujourd’hui pilotée par des politiciens et des militaires, pas par des économistes.
Washington a choisi la fuite en avant. Henry Kissinger a affirmé que la crise était une occasion inespérée pour terminer la globalisation en profitant de l’affaiblissement de tous ceux qui s’y opposaient. Cette manière de penser relève, selon moi, de l’hybris, du délire de puissance. Ce genre de raisonnement a déjà poussé plus d’un empire à sa perte. Washington veut sortir de la crise en remodelant le monde à sa convenance, mais sans changer lui-même. Cela devrait conduire à une rupture brutale.
La logique des empires voudrait que tout commence par la révolte de vassaux et réveille des forces centrifuges. Ce pourrait être un décrochement au sein de l’OTAN ou de l’Union européenne, suivi de troubles intérieurs aux USA et de sécessions. Il ne s’agit pas là d’une prédiction, mais d’une déduction élaborée en appliquant des modèles historiques à la situation actuelle. Je me borne à décrire le sens naturel de la chute, étant entendu que les hommes peuvent toujours écrire leur histoire. Mais cette déduction a d’autant plus de probabilité de se vérifier que les dirigeants états-uniens continuent sur leur lancée et refusent obstinément de remettre leur système en question.
Mon ami le professeur Igor Panarin [5], qui étudie les mouvements séparatistes aux États-Unis depuis une décennie, estime que ceux-ci sont arrivés à maturation. Il prévoit la première sécession en 2010 et la dislocation des États-Unis dans les cinq ans pour donner naissance à de nouveaux États. Sa réflexion tient compte à la fois du modèle de dislocation de l’URSS, des facteurs ethniques particuliers aux USA, et des conflits historiques internes des sociétés anglo-saxonnes.
Les régimes fantoches mis en place par Washington dans de nombreux pays ne survivront pas à l’effondrement des États-Unis. Nous assisterons à une profonde transformation du paysage politique mondial, comme lors de la disparition de l’URSS.
Ce dont nous parlons vous paraît peut-être surréaliste, mais personne ne prévoyait début 1989 que le Pacte de Varsovie et l’URSS auraient disparus fin 1991.
Silvia Cattori : Dans quelle mesure cette évolution va-t-elle se répercuter à court et moyen termes sur la puissance militaire des États-Unis, et avec quelles conséquences ?
Thierry Meyssan : Pour le moment, les États-Unis sont encore là. Dans la vie sauvage, une bête blessée est plus dangereuse qu’une bête saine. Nous ignorons si les dirigeants US sont capables du sang-froid dont firent preuve Mikhaïl Gorbatchev et son équipe en assistant à la mort de leur patrie.
Fils d’une sociologue travaillant aux programmes de contre-insurrection de la CIA en Indonésie, puis formé par Zbignew Brzezinski à l’université de Columbia et probablement à la Commission trilatérale, Barack Obama a mis son talent au service de la National Endowment for Democracy (NED), un organisme créé par les néo-conservateurs pour externaliser les actions de déstabilisation de la CIA [6]. C’est pourquoi son tropisme personnel le conduira spontanément à privilégier les actions secrètes. Et tout porte à penser que Washington en prépare actuellement, notamment en Amérique latine.
Au demeurant, nous observons que pendant que la presse occidentale glose sur le choix du « first dog » et autres nouvelles distrayantes, les États-Unis se livrent à de nouvelles agressions. Par exemple, des groupes kosovars, encadrés par la CIA, ont vandalisé des villes grecques. Ou encore, les services secrets roumains, encadrés par la CIA, viennent de tenter de prendre le pouvoir en Moldavie. Personne ne réagit, alors même que la puissance sous-traitant cette agression, la Roumanie, est membre de l’Union européenne.
Quoi qu’il en soit, la plupart des analystes pensent que George W. Bush n’a jamais exercé la réalité du pouvoir, mais que d’autres derrière lui s’en chargeaient. Je ne vois pas pourquoi le changement de président aurait changé quoi que ce soit à cette réalité. Aux États-Unis, le pouvoir appartient d’abord aux militaires. Ceux-ci doivent faire face à la crise financière. Il leur manque environ un quart des ressources nécessaires à l’exécution du budget 2009 de la Défense. Cela signifie qu’ils doivent non seulement renoncer à acquérir de nouveaux matériels et à renouveler les anciens, mais qu’ils doivent opérer de gigantesques coupes dans les budgets ordinaires.
Dans un premier temps, Robert Gates et ses mentors, Brent Scowcroft et Henry Kissinger, ont opté pour le non-renouvellement des contrats de mercenariat en Irak et pour l’arrêt de programmes d’armement pharaoniques. Puis, il a fallu décider de suspendre le prétendu « bouclier anti-missiles » et l’entretien de la « force de dissuasion nucléaire ». Tout ça étant présenté comme un geste de bonne volonté face à la Russie et comme une initiative unilatérale pour un monde sans bombes atomiques. Cela sera très insuffisant si la crise financière se poursuit.
Au plan stratégique, l’heure est au repli. Le Pentagone cherche comment se sortir d’Irak la tête haute et essaye de refiler l’effort afghano-pakistanais à ses alliés. Il se trouve piégé par la décomposition du Pakistan. Cet État de 173 millions d’habitants a de facto déjà éclaté. Il sera impossible de ne pas y intervenir, car il faudra bien contrôler dans quelles mains reviendra la bombe pakistanaise.
Silvia Cattori : Comment vont évoluer les rapports des pays occidentaux avec l’Iran, et le bras de fer engagé par des forces militaristes notamment par Israël et le fervent soutien de la France sur la « menace nucléaire » iranienne » ?
Thierry Meyssan : Le projet d’attaque de l’Iran répondait au seul agenda des partisans du remodelage du Grand Moyen-Orient, c’est-à-dire le lobby pétrolier et le mouvement sioniste. Les néo-conservateurs avaient inventé la fable du programme militaire nucléaire iranien et une presse crédule l’a répété, comme elle avait répété la fable des armes de destruction massive de Saddam Hussein.
Alors que nous avons frisé le bombardement nucléaire de l’Iran, cette option a été écartée par ceux que l’on a appelé « les généraux en révolte », en décembre 2007 [7]. Obama s’est placé à leur service en 2008, comme l’a rendu public le général Colin Powell, et ils l’ont aidé à s’installer à la Maison-Blanche. Il n’y a donc aucune raison de penser que l’attaque de l’Iran sera reprogrammée.
Les discussions entre Washington et Téhéran sont conduites par plusieurs canaux simultanés et sont très avancées. Le Pentagone a besoin de l’aide des Iraniens en Irak et en Afghanistan. De plus, Washington doit séduire Téhéran pour l’écarter de Moscou et prévenir une extension de l’influence russe au proche-orient.
Il est affligeant d’entendre Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner s’en prendre encore à l’Iran, alors que leurs maîtres états-uniens n’ont plus besoin qu’ils aboient dans cette direction.
Il est tout aussi grotesque d’entendre les dirigeants israéliens continuer à menacer l’Iran alors qu’ils n’en ont pas les moyens. Soutenu en sous-main par l’administration Bush, Tel-Aviv avait envisagé de bombarder l’Iran durant les Jeux olympiques. Israël avait loué deux bases aériennes en Géorgie et y avait stationné ses bombardiers. Techniquement, il pouvait les faire décoller de Tbilissi pour bombarder des objectifs en Iran et de les ramener en Palestine occupée, alors que —compte tenu de la distance et de l’autonomie de vol des avions— il est impossible de réaliser une telle opération depuis la Palestine occupée. Or, la Russie, qui a signé un accord de défense avec l’Iran [8], est intervenue dès qu’elle a pu pour détruire les installations israéliennes en Géorgie et les États-Unis n’ont pas réagis. Pour être plus claires encore, les autorités russes ont répondu aux dernières déclarations israéliennes en rappelant que les techniciens de la centrale nucléaire de Bushehr sont tous Russes. En d’autres termes, bombarder les installations nucléaires iraniennes, c’est tuer des citoyens russes et entrer en guerre contre la Russie.
Silvia Cattori : Dans ce contexte général, quel rôle les États-Unis cherchent-ils à faire jouer à l’OTAN, et à quels obstacles pourraient-ils se heurter dans leur dessein ?
Thierry Meyssan : Pour comprendre les enjeux actuels, il faut d’abord comprendre ce qui se passe depuis neuf ans.
En 2000, lorsque la classe dirigeante US a truqué les élections et imposé George W. Bush à la Maison-Blanche, le projet était d’établir « un nouveau siècle américain ». Ces gens pensaient que les États-Unis devaient profiter de leur avantage militaire pour devenir un empire global. Ils avaient programmé un choc psychologique, « un nouveau Pearl Harbor » selon leur expression, pour opérer ce virage. Ce fut le 11-Septembre. Ce jour-là, Henry Kissinger définit la « guerre globale au terrorisme » [9] Il expliqua que le but ne serait pas de punir les auteurs des attentats, mais de détruire « le système » faisant obstacle à la puissance US, comme la réponse apportée à Pearl Harbor n’avait pas eu pour but de punir le Japon, mais de détruire tout ce qui faisait obstacle à la puissance des États-Unis.
Or, en 2003, l’administration Bush-Cheney s’écarta du mandat que lui avait donné la classe dirigeante US. Elle décida de coloniser l’Irak et la fit exploiter par une société privée, l’Autorité de la Coalition en Irak, constituée sur le modèle de la Compagnie des Indes [10]. Le général Brent Scowcroft fut le premier leader US à s’opposer à ce projet [11]. Non pas comme Dominique de Villepin au nom du droit international, mais parce que ce projet d’un autre âge allait « détourner les États-Unis de la guerre au terrorisme ».
Scowcroft fut le maître à penser des généraux qui se révoltèrent en 2006 contre le projet d’attaque de l’Iran. Le vieil homme exerça une influence prépondérante sur la Commission Baker-Hamilton par l’intermédiaire de son fils spirituel, Robert Gates, qu’il imposa bientôt au département de la Défense. C’est encore Scowcroft qui conseille aujourd’hui Obama pour toutes les nominations relatives à la défense et à la politique étrangère. Et le général James Jones, conseiller de sécurité nationale, a lui même admis qu’il tenait quotidiennement ses ordres non pas du président Obama mais des éternels complices Brent Scowcroft et Henry Kissinger.
Après la parenthèse 2003-06 de la colonisation de l’Irak, nous voici revenu à la case du 11-Septembre. L’objectif assigné à l’administration Obama, c’est la reprise de la « guerre au terrorisme » que le tandem Bush-Cheney n’aurait jamais dû reléguer au deuxième rang.
L’OTAN, que MM. Bush et Cheney n’avait pas réussi à mobiliser en Irak, va être sollicitée pour la guerre au terrorisme —éventuellement aussi pour la prétendue prévention des génocides—. C’est le cas en Afghanistan. Robert Gates, puis Barack Obama ont souligné que si les Européens ne venaient pas en Asie centrale, ils devraient affronter sur leur sol des 11-Septembre. Le chantage est on ne peut plus clair. C’est également le cas dans l’océan indien. Les USA y testent un nouvel alibi, la piraterie. Des va-nus-pieds, disposant de renseignements exceptionnels et d’armes dernier cri, abordent des navires de toutes catégories, allant des bateaux de plaisance pour faire pleurer la ménagère aux cargos transportant des armes pour titiller les alliés. Une story hollywoodienne a été récemment mise en scène avec le courageux capitaine Philips prêt à sacrifier sa vie pour sauver son équipage, avant d’être sauvé à son tour par les commandos de l’US Seal. Quoi qu’il en soit, le but est inchangé : trouver une noble cause qui justifie un déploiement militaire permettant de détruire tout ce qui fait obstacle à la puissance US. Les médias US ont d’ailleurs fait la comparaison avec la Guerre contre les Barbaresques, qui opposa les États-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas à l’Empire ottoman. C’est dans cet état d’esprit que l’OTAN a engagé depuis la mi-mars l’opération Allied Protector au large de la corne de l’Afrique. Elle étend l’opération Active Endeavour (contrôle de la Méditerranée) mise en œuvre depuis le 11-Septembre.
Silvia Cattori : Quelles implications aura la crise économique mondiale sur la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient ? Les régimes arabes, alliés de Washington vont-ils poursuivre leur politique d’alignement en dépit de l’aversion de leurs populations à l’égard des États-Unis ?
Thierry Meyssan : Au Proche-Orient comme ailleurs, Washington n’a plus les moyens de sa politique et ses employés doivent penser à changer de plan de carrière.
L’administration Obama, qui pense pouvoir venir à bout de la crise financière, a décidé de geler le Proche-Orient le temps nécessaire à la convalescence de son économie. Ses protégés sont donc certains de rester en place à court terme. Cependant beaucoup d’entre eux pensent que les États-Unis ne se relèveront pas et qu’ils les abandonneront comme l’URSS malade abandonna les régimes communistes d’Europe orientale. D’où la volonté de certains acteurs de négocier des compromis avec l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah-Hamas tant que c’est possible. Mais il s’agit pour le moment de l’attitude individuelle de quelques opportunistes, pas d’un revirement de régimes.
Silvia Cattori : Comment voyez-vous les répercussions de ces évolutions sur la question palestinienne ?
Thierry Meyssan : Pour parvenir à la Maison-Blanche, Obama a constitué une coalition hétéroclite, incluant aussi bien les généraux nationalistes qui refusent d’entreprendre des guerres pour servir les intérêts israéliens que la faction « réaliste » du mouvement sioniste. Cette coalition est consciente qu’elle peut exploser sur la question israélienne et que chacune de ses composantes est donc obligée de faire des concessions et de parvenir à un accord.
Le maintien de la colonie juive en Palestine restera un objectif majeur pour les États-Unis, mais les Israéliens ne peuvent espérer aucune aide au delà. Ils ne peuvent tenter aucune aventure militaire durant cette période. Ils ont d’ailleurs obéi à l’administration Obama lorsque celle-ci a exigé que les opérations contre les Gazaouites soient interrompues au plus tard au début de la cérémonie d’investiture.
Il faut maintenant envisager les choses sous un autre angle : comment Washington pourra-t-il continuer à protéger la colonie juive de Palestine si des révolutions populaires renversent le gouvernement égyptien et l’Autorité palestinienne ?
Silvia Cattori : Comment appréciez vous le clash qui a opposé l’Iran aux pays de l’Union européenne présents hier à la conférence Durban II des Nations Unies ?
Thierry Meyssan : Un des enjeux majeurs de la conférence de Durban était de qualifier le sionisme. En 1975, l’Assemblée générale de l’ONU avait adopté une résolution affirmant que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale » [12]. Lors de la conférence de Madrid sur la paix au Proche-Orient, l’Assemblée générale a abrogé cette résolution pour saluer l’attitude nouvelle d’Israël [13]. Quatre ans plus tard, l’assassinat d’Yitzakh Rabin par un fanatique juif mettait fin à tout espoir de paix. Depuis cette date, il est nécessaire de restaurer la résolution de 1975 pour combattre ce fléau, c’est ce qui a été tenté à Durban I et devait l’être à Durban II.
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, a adopté une position préalable consistant à dire que tous les États membres luttent contre le racisme et, donc, qu’aucun d’entre eux n’est raciste. Les États-Unis, qui se souviennent de la manière dont le secrétaire d’État Colin Powell avait été humilié à Durban I, ont décidé de boycotter la conférence. La France a désigné un ambassadeur spécial, le lobbyiste sioniste François Zimeray [14], pour saboter la conférence en plus de la secrétaire aux Droits de l’homme, Rama Yade, qui y a consacré toute son énergie. Plusieurs gouvernements se sont concertés à l’avance pour quitter la salle lors du discours du président iranien, ce que leurs ambassadeurs ont fait.
Nous avons alors assisté à un extraordinaire numéro d’intoxication. Avant que le président iranien ait pu terminer sa première phrase, trois militants de l’Union des étudiants juifs de France déguisés en clowns ont perturbé la séance. Puis, le show a continué, les ambassadeurs de l’Union européenne ont quitté la salle. Tout a été fait pour que le public occidental n’ait pas connaissance des propos de la délégation iranienne.
Or, qu’a dit le président Ahmadinejad ? Il n’a pas appelé à rayer Israël de la carte et n’a pas nié le génocide juif. Il ne l’a d’ailleurs jamais fait contrairement aux imputations mensongères de la presse atlantiste [15].
Non. Il a apporté des éléments de réflexion [16]. Selon lui, la création de l’État d’Israël n’est pas une réparation des crimes commis contre les juifs d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale, mais la continuation de l’idéologie raciste qui caractérise non seulement le nazisme, mais aussi le colonialisme. Les juifs d’Europe furent victimes du racisme, comme les Palestiniens, les Afghans et les Irakiens en sont aujourd’hui victimes. Il ne s’agit pas d’assimiler le régime sioniste avec le régime hitlérien —deux réalités fondamentalement différentes—, mais de manière beaucoup plus large de mettre en cause l’idéologie occidentale.
Ceci étant posé, Mahmoud Ahmadinejad a dénoncé le rôle du Conseil de sécurité dans l’immunité des crimes racistes en Palestine, en Afghanistan et en Irak. Et il a conclu en requérant l’abrogation du droit de veto des grandes puissances au Conseil de sécurité. Il a plaidé pour des institutions internationales démocratiques, où chaque État disposera d’une voix égale, y compris au FMI et à la Banque mondiale qui ont actuellement un scrutin censitaire. Pour lui, l’idéologie raciste s’exprime à l’ONU par la hiérarchie établie entre les États ; hiérarchie au sommet de laquelle se trouvent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
Au demeurant, l’attitude des Anglo-Saxons et des Européens, qui ont boycotté la conférence, perturbé son discours et quitté la salle, atteste leur refus d’institutions démocratiques et donne raison au président iranien.
[1] « Déclaration des chefs d’État et de gouvernement du G20 », « Déclaration du G20 sur la fourniture des ressources par l’intermédiaire des institutions financières internationales », « Déclaration du G20 sur le renforcement du système financier », Réseau Voltaire, 2 avril 2009.
[2] « Économie : Obama choisit ceux qui ont échoué », par Éric Toussaint et Damien Millet ; « Les artisans de la débâcle économique continuent leur besogne au sein du gouvernement Obama », par Michel Chossudovsky, Réseau Voltaire, 1er et 8 décembre 2008.
[3] « Révolte des ouvriers français de Caterpillar », Réseau Voltaire, 31 mars 2009
[4] « Le G 20 : une hiérarchisation des marchés financiers », par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, 9 avril 2009.
[5] Site officiel du professeur Igor Panarin
[6] « La NED, nébuleuse de l’ingérence "démocratique" », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 23 janvier 2004.
[7] « Washington décrète un an de trêve globale », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 3 décembre 2007.
[8] « Déclaration finale du deuxième sommet des pays riverains de la mer Caspienne, Réseau Voltaire, 16 octobre 2007.
[9] « Destroy The Network », par Henry Kissinger. Article mis en ligne sur le site du Washington Post, le 11 septembre 2001 au soir, puis publié dans l’édition papier datée du 12 septembre.
[10] « Qui gouverne l’Irak ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 13 mai 2004.
[11] « Don’t Attack Saddam It would undermine our antiterror efforts », Par Brent Scowcroft, The Wall Street Journal, 15 août 2002.
[12] « Résolution 3379 de l’Assemblée générale de l’ONU (10 novembre 1975) »
[13] « Résolution 46/86 de l’Assemblée générale de l’ONU (16 décembre 1991) ».
[14] « Sarkozy nomme ambassadeur spécial un lobbyiste pro-israélien », Réseau Voltaire, 21 février 2008.
[15] « Comment Reuters a participé à une campagne de propagande contre l’Iran », Réseau Voltaire, 14 novembre 2005.
[16] Mahmoud Ahmadinejad : « Le Conseil de sécurité a donné aux sionistes le feu vert pour poursuivre leurs crimes », discours intégral de Durban, Réseau Voltaire, 20 avril 2009.
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