Deuxième discours de politique général après son discours d’investiture, le discours sur l’état de l’union de George W. Bush n’a pas suscité les mêmes réactions que le précédant et la partie de son texte traitant des questions internationales, certes moins centrale dans ce second discours, est quasiment ignorée des analystes. Cela n’empêche toutefois pas quelques faucons de revenir sur ce qu’il faut attendre de la nouvelle administration et de se réjouir d’un programme qui leur paraît fort alléchant.
Laurent Murawiec de l’Hudson Institute se félicite de la composition de l’administration Bush dans le Figaro. Selon lui, elle montre que ce sont les faucons qui ont gagné et que l’administration Bush II ira encore plus loin que ne l’a été l’administration Bush I maintenant qu’elle est débarrassée de Colin Powell et de Richard Armitage. Pour lui, la seule petite ombre au tableau est l’absence de John Bolton au département d’État.
Précisémment, le département d’État reste, pour beaucoup de nostalgiques de l’époque où les États-Unis se souciaient un minimum des avis européens, l’incarnation des espoirs d’un retour à une politique étrangère états-unienne plus « multilatéraliste ». Une part de la presse conformiste a même cru voir cet espoir se renforcer dans la nomination de Robert Zoellick au poste de numéro deux de la diplomatie états-unienne, mais l’ancien ambassadeur spécial pour l’ex-URSS, Stephen Sestanovich, se charge dans le New York Times d’indiquer qu’il n’en est rien. Il rappelle que sous le mandat de George Bush père, Condoleezza Rice et Robert Zoellick ont travaillé avec James Baker sur le dossier de la réunification allemande en imposant une unification à marche forcée sans tenir compte de l’avis des autres pays européens et en ne leur donnant aucune compensation. Pour l’auteur, cette attitude se retrouvera dans le second mandat Bush car les Européens sont incapables de prendre les grandes décisions qui s’imposent et que les États-Unis doivent donc leur dicter la marche à suivre. Pour lui, reprenant l’expression de Madeleine Albright, les États-Unis sont la « nation indispensable ».

Cette attitude dirigiste dans les affaires du monde a pu être observée de façon presque caricaturale lors du premier mandat Bush un peu partout dans le monde, mais Israël avait été jusqu’ici épargné et bénéficiait d’une grande liberté d’action. Aujourd’hui, Tel-Aviv doit se plier à la règle commune.
Ainsi à la veille de la conférence de Charm El-Cheikh, les analystes demandant, plus ou moins ouvertement, que les États-Unis aient une politique plus ferme vis-à-vis d’Israël se multiplient.
L’ancien expert du département d’État, Aaron David Miller, préconise dans l’International Herald Tribune que Washington tire les leçons du passé et s’inspire notamment de l’attitude de Kissinger, Carter ou Baker qui avaient imposé leurs vues à Israël et se souvienne que Clinton avait commis l’erreur de trop suivre Ehud Barak. Autre ancien du département d’État, Richard Haas demande que Washington soutienne Mahmoud Abbas dans un texte diffusé par Project Syndicate et (pour l’instant) publié dans le Taipei Times et le Korea Herald. Son argumentaire reprend la vulgate habituelle concernant les « opportunités » offertes par la mort d’Arafat et pose comme première « condition à la paix » l’arrêt du terrorisme palestinien, mais tout en se montrant moins exigeant vis-à-vis du nouveau président de l’Autorité palestinienne qu’on ne l’avait été avec l’ancien. Ce texte trouve des échos dans une tribune de l’ancien Premier ministre français Michel Rocard, elle aussi diffusée par Project Syndicate et publiée cette fois dans le Daily Star. L’auteur y condamne les « extrémistes » de tous bords qui rejettent la politique actuellement mise en place par Ariel Sharon en Israël et Mahmoud Abbas en Palestine. Dans Libération, l’ambassadeur israélien Nissim Zvili condamne également ces opposants, mais estime que, puisque Israël est une démocratie, il faut davantage s’inquiéter de l’opposition palestinienne à Abbas que de l’extrême droite israélienne. En Allemagne, Mathias Döpfner, président du directoire du groupe de presse Axel Springer, prononce lui aussi l’éloge de la politique états-unienne au Proche-Orient dans le Welt an Sonntag et demande à ce que l’Allemagne emboîte le pas des États-Unis pour pousser l’Union européenne à suivre cette politique.

Aujourd’hui, Mahmoud Abbas applique la politique qu’on exige de lui et doit s’efforcer de convaincre le reste de la communauté internationale de son bien-fondé. Dans une interview accordé à Nezavissimaïa Gazeta, le président de l’Autorité palestinienne se justifie et appelle la Fédération de Russie à le soutenir.
Le monde russe n’appartenant pas à la sphère de communication occidentale, il est possible pour un dirigeant politique d’avoir une image totalement différente dans ces deux monde et qu’un même élément de son parcours y ait une signification opposée. Ainsi, dans une interview à Vremya Novostyey, Vladimir Ivanovitch Kisselev, qui fut le directeur de thèse de Mahmoud Abbas à Moscou dans les années 80, vante les recherches effectuées sous sa direction par celui qui allait devenir le président de l’Autorité palestinienne, l’impact qu’elle a eu sur les dirigeants soviétiques de l’époque et les liens favorables qu’il entretient avec la Russie depuis. Or, cette thèse, qui, selon Kisselev, ne traite que des liens du parti nazi et des mouvements sionistes avant la Seconde Guerre mondiale (un lien également étudié par Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem) est présentée comme un travail négationniste en Occident. Toutefois, ceux qui soutiennent la politique de Mahmoud Abbas assurent qu’il est aujourd’hui revenu sur ce travail et présentent même cette évolution comme une preuve de son pragmatisme. Ainsi, un même travail peut être présenté en Russie comme le symbole de l’influence des milieux universitaires russes sur la pensée du nouveau président palestinien et en Occident comme celui du caractère intrinséquement antisémite des Arabes comme de l’évolution pragmatique de Mahmoud Abbas.