Le porte-parole de la Commission européenne a déclaré que « la directive sur la libre prestation de service », dite aussi « directive Bolkestein », ne serait pas retirée, mais qu’un dialogue avec le Parlement européen et les États membres serait engagé. Bruxelles fait le dos rond et utilise la même tactique que pour la Turquie : repousser les discussions à l’après-référendum. Le projet de « directive Bolkestein » prévoit une chose simple et inouïe à la fois : désormais les entreprises travaillant en libre prestation de service entre plusieurs pays appliqueraient la réglementation de leur pays d’origine et non plus celle du pays où le service est rendu.
Le principe de soumission au pays accueillant est renversé. Ce serait l’ouverture au dumping social et environnemental, au démantèlement de nombreuses garanties nationales, notamment dans le domaine de la culture et de la langue, à l’affaiblissement de la protection des consommateurs, et sans doute, dans beaucoup de secteurs liés à la vie des entreprises, à un véritable chaos juridique. La France avait donné son accord enthousiaste à cette directive, mais aujourd’hui le ministre Michel Barnier désavoue le commissaire européen Michel Barnier.
Est-il possible de revenir en arrière ? Malheureusement, la directive Bolkestein n’est pas un accident, elle est la conséquence logique de l’esprit intégrateur des traités européens existants, relayés par le projet constitutionnel. L’objectif économique et l’objectif idéologique sont ainsi étroitement associés, le premier fournissant une garantie de sérieux pour mieux faire passer le second. La Commission refusera tout amendement au texte bien qu’il heurte le bon sens. Même si les différences de réglementation en cause étaient vraiment coûteuses du point de vue économique, il n’en resterait pas moins qu’elles résultent du choix de chaque démocratie nationale et qu’il n’est guère démocratique de se servir indirectement de la « libre prestation de service » pour les faire exploser. En outre, le principe de « loi du pays d’origine » créerait une grave insécurité juridique, bien plus nuisible que la « fragmentation » des réglementations.
Devant la levée de boucliers suscitée par le « projet Bolkestein », nos responsables politiques jurent qu’ils n’ont pas voulu cela, et, que désormais, ils s’opposeront à la directive au Conseil des ministres européen. Toutefois, cette directive n’est pas morte, elle est simplement gelée et méfions nous qu’elle ne réapparaisse pas dans l’euphorie estivale post-référendaire, peut-être à peine amendé. En effet, après l’adoption de la Constitution, c’est la majorité qui prévaudra sur les questions posées par cette directive. Or, dix-neuf pays y sont favorables contre seulement six opposés. La Commission pourra également étendre la directive à nos services publics.
La Constitution qui renforce les pouvoirs de la Commission par rapport aux États lui laisse toute latitude pour relancer et élargir ce projet. Ce sont là quelques effets nocifs du projet de Constitution européenne, qui désarmerait la démocratie française. Il n’y a donc pas d’autre solution que de donner un coup d’arrêt, lors du prochain référendum, à cette morgue liberticide qui menace, sous prétexte de libéralisation et de fusion des peuples pilotés d’en haut, les plus élémentaires protections juridiques de notre État de droit.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Bruxelles veut-il créer de l’irréversible ? », par Philippe de Villiers, Le Figaro, 8 février 2005.