Bonsoir à chacun et à chacune d’entre vous et bienvenue Condi, Welcome to the Quai d’Orsay ! Bienvenue à chacun et à chacune d’entre vous, Mesdames et Messieurs et merci pour votre attention, au terme de cet entretien que Condoleezza Rice vient d’avoir avec le chef de l’Etat, Jacques Chirac. Le hasard de nos calendriers a fait que nous avons parcouru les mêmes routes, pendant ces deux dernières journées avec Condi Rice, au Proche-Orient : elle a passé la nuit à Rome, je l’ai passée à Gaza et puis, tous les chemins mènent finalement à Paris ou presque, où nous nous retrouvons ce soir.

Je suis très heureux, chère Condi, de vous accueillir ici, au nom du gouvernement français, après votre entretien avec le président de la République.

Dans cette Maison, il s’est passé beaucoup de choses importantes et même dans cette pièce que l’on appelle le salon de l’Horloge, puisque c’est ici même, et je tiens souvent à le dire, en montrant cette photo, vous le voyez, que Robert Schuman et Jean Monnet, devant cette cheminée ont lancé, les premiers, l’appel à la construction européenne, avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier et ont invité les Européens, à l’époque, six pays, à mutualiser leurs efforts, à mutualiser leurs ressources pour compter ensemble, pour être plus forts ensemble.

J’étais très heureux de vous entendre, tout à l’heure à Sciences-Po, appeler de vos vœux, une Europe forte, dire que les Etats-Unis avaient besoin d’une Europe forte, vous me permettrez d’ajouter que les Européens ont besoin eux aussi d’une Europe forte.

Votre venue fait partie de ces événements importants pour le Quai d’Orsay. Vous effectuez un déplacement très attendu dans les fonctions éminentes que vous a confiées, au lendemain de sa réélection, le président George Bush.

Nos deux pays, chère Condi, sont les plus vieux alliés l’un pour l’autre ; mieux encore, nous ne nous sommes jamais fait la guerre, jamais, et il m’arrive souvent de citer cette phrase d’un compatriote qui, après la Seconde guerre mondiale vous disait, à vous les Américains : "Nous vous avons aidé à naître, il y a assez longtemps, vous nous avez aidé à ne pas mourir".

On insiste beaucoup sur ce qui parfois nous divise, sur nos désaccords, mais vous avez aussi rappelé, cet après-midi, tout ce qui nous rapproche, tout ce que nous faisons ensemble, quotidiennement : au Kosovo, pour la stabilité des Balkans, en Afghanistan, contre le terrorisme et en même temps pour le renouveau de ce pays, à Haïti, pour le progrès et la paix ; la lutte contre le terrorisme partout où nous sommes ensemble et récemment, avec la résolution 1559, pour la souveraineté et l’intégrité du Liban.

Sait-on aussi, Mesdames et Messieurs, que la France est le deuxième investisseur étranger aux Etats-Unis ?

Aujourd’hui, le temps est venu d’ouvrir une nouvelle phase, d’écrire un nouveau chapitre, de prendre un nouveau départ dans cette très ancienne relation et de prendre ce nouveau départ, d’écrire ce nouveau chapitre avec, me semble-t-il, trois objectifs :

Se parler et s’écouter davantage, je dis que nous sommes alliés, je pense aussi que l’alliance, ce n’est pas l’allégeance, que nous avons des raisons de nous parler et de nous écouter davantage.

Respecter les convictions de chacun, c’est un deuxième objectif et naturellement, nous demander ce que nous pouvons faire les uns pour les autres mais aussi nous demander ce que, ensemble, nous pouvons faire et nous devons faire pour apporter un certain nombre de solutions et faire face aux grands défis dans le monde, qui sont nos défis. Ces grands sujets exigent notre mobilisation, une démarche qui s’appuie sur les réalités pour assurer à notre monde la paix et la sécurité. Je pense en premier lieu, et en particulier, à cet endroit où nous étions l’un et l’autre, ces jours derniers : au Proche-Orient où, enfin, Israéliens et Palestiniens ont choisi de se reparler et où l’espoir revient.

Je pense aux risques ou aux réalités du terrorisme qui est notre défi commun. Je pense aux risques liés au changement climatique et j’ai fait de ce combat pour le développement durable, l’une des priorités de l’action extérieure de la France, comme le souhaite le président de la République.

Je pense aux risques, aux réalités du sous-développement et de la pauvreté, en particulier sur le continent africain.

Chère Condi, je veux dire publiquement ma conviction que le monde va mieux lorsque Américains et Européens coopèrent. Le monde va mieux lorsque Américains et Européens travaillent ensemble, lorsqu’ils échangent leurs analyses en respectant leurs sensibilités singulières ou particulières, lorsqu’ils échangent leur vision du monde et qu’ils travaillent ensemble.

Welcome again, I think it’s time for a fresh start.

Q - (Au sujet de l’implication française en Irak, la France va-t-elle se réengager ?)

Q - (Sur l’Iran)

R - Un mot d’abord sur l’Iran, c’est un grand pays, un pays important et un grand peuple, puisque la situation de l’Iran fait partie de la problématique de la stabilité de cette région.

Nous avons les yeux ouverts dans cette négociation et nous sommes, Anglais, Allemands, Français, en avant-garde de la diplomatie européenne qui fait ses preuves, et de la communauté internationale. Nous pensons que cette option politique et diplomatique dans laquelle nous sommes engagés est de très loin la meilleure mais nous avançons les yeux ouverts pour convaincre le régime de Téhéran de renoncer à l’arme nucléaire dont cette région n’a pas besoin et en même temps de s’engager dans un processus de coopération économique, énergétique, commercial et politique qui lui redonnerait sa vraie place, pacifique, et en faveur de la stabilité régionale.

Pour réussir, nous avons besoin de la confiance, du soutien de la Russie, de la Chine, de la communauté internationale mais nous avons besoin de la confiance et du soutien des Etats-Unis dans cette phase très délicate où nous sommes ; et c’est un des messages que nous avons fait passer à Condi Rice.

Dans votre question à propos de l’Irak, pourquoi dites-vous qu’il faudrait que la France se réengage, comme si nous n’étions pas engagés depuis des mois et des mois, avec d’autres membres de la communauté internationale, pour la réussite du processus politique ? Nous pensons que nous ne sortirons pas de cette tragédie, de cette crise en Irak par des armes ou par des soldats supplémentaires. Nous en sortirons par la politique, par la démocratie, par des élections, c’est notre conviction, et dans le cadre du droit international. Et c’est pour cette raison que, depuis plusieurs mois, et ce ne sont pas des mots, ce sont des faits dont je parle, j’ai travaillé avec Colin Powell et avec d’autres de manière extrêmement constructive à la résolution 1546 ; c’est pour cette raison que nous avons, et le président de la République l’a rappelé tout à l’heure à Condi Rice, que nous avons fait un effort qui n’était pas évident, notamment par rapport aux autres problèmes en Afrique, pour la dette publique de l’Irak en portant notre allègement à 80 %. C’est pour cette raison que j’ai participé et préparé, de manière constructive, la réunion de Charm el-Cheikh sur l’Irak en novembre 2004, toutes ces étapes engageaient l’Irak dans un processus politique dont la première marche vient d’être franchie avec succès grâce au courage et à la détermination des citoyens irakiens qui sont allés voter.

Nous sommes donc engagés, nous n’avons pas besoin d’être réengagés comme votre question le suggère, nous sommes engagés pour la réussite du processus politique et le président de la République française a confirmé, comme nous l’avions dit au président irakien il y a quelques semaines, que nous allions participer, en dehors des territoires irakiens, à la formation des forces de sécurité, que nous sommes prêts, dans un système auquel nous allons travailler avec les Etats-Unis et avec d’autres, à participer à la reconstruction économique, à la reconstruction de l’Etat de droit en Irak.

Nous sommes dans une démarche très constructive pour que ce pays retrouve la stabilité et la souveraineté.

Q - (Sur le rôle de l’OTAN)

R - J’ai dit tout à l’heure que nous étions alliés, Français et Américains et avec d’autres, depuis, en ce qui nous concerne, le tout début. Le cadre de cette alliance depuis la fin du second conflit mondial, c’est l’Organisation de l’Alliance atlantique dont nous sommes membres et dans laquelle nous agissons.

Il se trouve qu’au moment où vous m’interrogez, la France dirige les opérations de l’OTAN en Afghanistan et au Kosovo. Nous nous trouvons donc sans complexe et sans état d’âme dans cette Organisation transatlantique qui avait été conçue dans une situation géopolitique de l’après Deuxième Guerre mondiale et qui a changé. Il n’est donc pas étonnant, comme l’a dit Condi, que les missions ou les vocations de l’OTAN puissent évoluer en fonction de ce que devient le monde aujourd’hui.

Je suis d’accord avec le secrétaire d’Etat pour dire que la vocation de l’OTAN n’est pas d’être le gendarme du monde et d’ailleurs personne n’a vocation à être le gendarme du monde, sauf le Conseil de sécurité des Nations unies et l’Assemblée générale des Nations unies. C’est dans le cadre du droit international que se situent les interventions de l’OTAN, en Afghanistan par exemple, et si nous pensons que c’est le meilleur moyen, le meilleur outil, ce peut être ailleurs, dans d’autres cadres que l’OTAN, comme l’a dit Condi : une force africaine de maintien de la paix, une force européenne, c’est déjà arrivé en Afrique, une coalition de forces nationales comme c’est arrivé à Haïti. Et je veux dire, puisque je parle d’instruments et d’outils, que cette alliance qui nous lie n’est pas incompatible, ou doit être compatible avec l’effort auquel nous travaillons, auquel je travaille, pour que l’Europe soit également forte du point de vue de sa défense.

Dans la nouvelle Constitution européenne dont les Français vont être saisis dans quelques mois, il y a un chapitre auquel j’ai beaucoup travaillé, pour une vraie politique de défense conduisant à une défense européenne. Et nous avons veillé à ce que cette politique de défense, dont les Européens ont besoin, pour leur propre sécurité, pour agir à l’extérieur et dans certaines circonstances, soit compatible avec nos engagements et nos alliances.

C’est le fameux texte de Saint-Malo, qui présente une défense européenne solidaire, complémentaire et autonome.

Voilà l’esprit dans lequel nous travaillons à l’OTAN.

Q - (Au sujet du Liban et de la Syrie et au sujet du rôle de la France et de l’Europe dans le Processus de paix au Proche-Orient)

R - J’ai dit tout à l’heure, en accueillant Condi Rice que, pour moi, la priorité de ce nouvel état d’esprit entre nous, Européens et Américains, entre nous Français et Américains, est qu’ensemble, nous contribuions à la paix au Proche-Orient, puisque ce conflit est central et que le fait qu’il ne soit pas résolu depuis tant et tant d’années a des conséquences, non seulement dans cette région mais dans toutes nos sociétés, qu’il entretient la peur et l’insécurité en Israël, la désespérance et l’humiliation du côté palestinien.

Il faut sortir de cette situation et c’est possible aujourd’hui, grâce au dialogue qui se recrée entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon à Charm el-Cheikh. C’est assez symbolique d’ailleurs que nous parlions de cela aujourd’hui et que nous ayons été, Condi Rice et moi, dans cette région, hier et aujourd’hui même. La paix exige le dialogue direct entre Israéliens et Palestiniens et c’est ce qui est en train de se produire. La paix exige que nous soutenions le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne qui font preuve de courage, l’un et l’autre. Ariel Sharon est courageux dans sa décision de se retirer de Gaza et le président palestinien, qui vient d’être élu de manière démocratique par les Palestiniens, fait preuve de courage dans la restructuration de ses services de sécurité, dans l’action qu’il mène pour réduire la violence, dans les réformes qu’il a engagées.

Et puis, enfin, la paix exige que les membres du Quartet soient mobilisés, Américains et Européens, Russes, et les Nations unies ainsi que les pays de la région.

Nous en sommes là. C’est fragile comme Condi l’a dit, mais c’est possible en 2005.

Source : Ministère français des Affaires étrangères