"Quelles leçons tirez-vous du désastre provoqué par le tsunami en Asie ?"
"L’une d’elles est que les pays riches sont capables, quand ils le veulent, d’apporter, en un rien de temps, une réponse extraordinaire aux besoins des pauvres.
L’autre est que le public ne se rend pas compte qu’il existe quotidiennement dans les pays les plus pauvres un "tsunami silencieux" qui mérite autant ce genre de mobilisation que celle du tsunami "visible". En d’autres termes, un désastre est actuellement à l’œuvre dans la plupart des pays d’Afrique et dans de nombreuses parties du tiers-monde. Les gens meurent de maladies par millions. Le public ne prend simplement pas la mesure du désastre car il ne sait pas."
"La Banque asiatique de développement a chiffré à 2 millions le nombre de pauvres supplémentaires en Asie du fait du tsunami. Dans quelle mesure cela modifie-t-il les priorités des "objectifs du Millénaire" définis en 2000 ?"
"Les événements du Sud-Est asiatique mettent au contraire en lumière l’urgence de s’attaquer à l’extrême pauvreté sur une planète qui regorge de richesses.
Nous disons que les pays riches devraient y consacrer 0,5 % en moyenne de leurs revenus au cours de la prochaine décennie, c’est-à-dire en gros le double de ce qui est fait actuellement. Ce sont des sommes infimes et, pourtant, il est très difficile de les mobiliser."
"Dans votre rapport, vous saluez le projet britannique de lever des fonds sur les marchés pour financer le développement, mais vous ne citez pas la taxe internationale réclamée par le président Jacques Chirac, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et quelques autres. Pourquoi ?"
"Nous sommes bien sûr favorables à de nouvelles formes internationales de financement. Mais il est clair qu’il n’y a pas de consensus parmi les pays riches en faveur d’une taxe, notamment en raison de l’opposition des Etats-Unis.
La question n’est pas seulement de savoir où trouver l’argent, mais comment l’utiliser. C’est l’objet de notre rapport : identifier des domaines d’intervention pratiques, spécifiques, ciblés, ce qui permettrait d’avancer."
"Par exemple ?"
"Combattre la malaria, qui va tuer plus de 3 millions d’enfants cette année. C’est une maladie que l’on peut prévenir dans une grande partie des cas et qui peut être traitée dans tous les cas.
Nous savons comment réduire le nombre de morts et de malades dans une très courte période. Il faut des médicaments appropriés et des moustiquaires. Je trouve inexcusable que des enfants africains aillent se coucher sans être protégés par une moustiquaire qui coûte seulement 5 dollars. Une moustiquaire dure cinq ans, ce qui fait un dollar par an par habitant des pays riches. C’est trop pour les gens qui n’ont rien, alors que nous ne nous en apercevrions même pas sur notre feuille de paie. Pourtant nous ne le faisons pas."
"Quelles sont les raisons pour lesquelles tant de pays ne progressent pas vers les "objectifs du Millénaire" ?"
"Dans mon pays par exemple, les gens sont persuadés qu’ils sont généreux et que les Etats-Unis font tout ce qu’ils peuvent en matière d’aide au développement. C’est faux. Les Américains sont sans doute généreux mais les Etats-Unis ne font sûrement pas ce qui doit être fait. Mon pays consacre 415 milliards par an aux dépenses militaires et seulement 15 milliards de dollars au développement."
"George Bush a pourtant lancé le Millenium Challenge Account (Compte pour le défi du Millénaire)..."
"L’annonce en a été faite en mars 2002 et, à ce jour, pas un centime n’a encore été déboursé. C’est typiquement le genre d’initiative qui montre le peu d’ambition des Etats-Unis dans ce domaine. Washington doit s’engager plus -comme la France, d’ailleurs- en se rapprochant, en matière d’aide publique au développement du niveau de la Suède, de la Norvège ou du Danemark.
Rappelons qu’en février 2002, au sommet de Monterrey, tous les pays riches se sont engagés à porter le niveau de leur aide publique à 0,7 % de leur produit intérieur brut (PIB)."
"Ils l’avaient déjà promis il y a trente-cinq ans..."
"Cet échec n’est pas une excuse pour ne pas le faire ni pour prédire qu’on n’y arrivera pas. C’est un défi pour nous. Un rappel à l’ordre. Il est urgent que le président Chirac, le premier ministre Tony Blair ou son collègue espagnol José Luis Zapatero, les gouvernements de Belgique, de Finlande et d’Irlande se rappellent leurs promesses.
Nous ferons le point sur ce sujet au sommet du G8 qui doit avoir lieu, en Ecosse, en juin 2005. Et nous verrons également, à ce moment-là, si les Etats-Unis sont capables de comprendre que les mauvaises politiques qu’ils mènent actuellement sont déraisonnables et mettent en danger la sécurité du monde."
"L’annulation de la dette est-elle un élément-clé des stratégies de développement ?"
"Je suis pour l’annulation totale de la dette des plus pauvres et des pays à revenus intermédiaires comme la République dominicaine ou le Nigeria, y compris celle à l’égard des institutions multilatérales.
Les pays riches ont décidé de s’intéresser aux pays pauvres mais ils ont pris l’habitude de faire de gentils communiqués sans passer aux actes. Nous préconisons une collaboration plus étroite entre les ministres des affaires étrangères, qui font des promesses, et leurs collègues des finances, qui serrent les boulons. Cela mettrait fin à de nombreuses incohérences au sein même des gouvernements."
"Les sommes consenties pour l’Asie ne risquent-elles pas de diminuer l’aide aux autres pays en ces temps de restrictions budgétaires ?"
"Rappelez-vous que la richesse totale des pays riches est de 30000 milliards de dollars. En quelques semaines, nous avons été capables de mobiliser quelques milliards de dollars. Le tsunami a changé notre mode de calcul."
"Qu’avez-vous envie de dire aux pays riches ?"
"Que notre génération a une occasion unique de faire reculer la pauvreté d’ici à 2015. Et que cet objectif est à portée de main s’ils tiennent leurs promesses."
"Et aux pays pauvres ?
"Définissez vos priorités et démontrez aux pays riches que vous êtes prêts à être transparents, responsables, et efficaces dans l’utilisation de ces nouveaux financements. Mais ce n’est pas gagné."
Source : Le Monde
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