Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Mesdames, Messieurs,

Pouvez-vous imaginer la tenue d’une assemblée générale où les
représentants des Etats et des Gouvernements qui viennent défiler à cette
tribune ne nous apporteraient que de bonnes nouvelles , pour nous dire que
notre planète va mieux et que la plupart des indices de développement sont
à leur meilleur niveau ?

Nous sommes bien loin d’un tel idéal.

Il semble, même, qu’en plus des nombreuses crises de toutes sortes
(alimentaires, énergétiques, financières etc.) qui imposent déjà un lourd
tribut à nos populations, certains d’entre nous doivent maintenant s’habituer
aux chocs récurrents qui proviennent des désastres naturels.

Nous devons, à chaque coup, reconstruire les mêmes infrastructures
qui ont été détruites ; nous devons rétablir les mêmes capacités productives
qui ont été balayées par les cyclones et les inondations.

Et, faute de ressources suffisantes, le processus de reconstruction
n’est pas déclenché à temps et il faut se préparer au retour des catastrophes
avant même que les communautés aient pu se relever des désastres
précédents.

C’est apparemment cela, le nouveau cycle de vie auquel les pays
vulnérables, comme le nôtre, doivent être préparés. Avec des moyens
insuffisants.

Cette situation n’est pas le fait du hasard. Elle est la conséquence
directe du modèle de développement et de gouvernance que les nations
reconnues comme puissantes ont imposé au reste du monde, pendant
plusieurs siècles.

Un modèle de développement et de gouvernance surtout préoccupé du
bonheur de l’argent et trop peu de celui des gens.

Un modèle de développement qui au sein même des pays riches
impose une vie précaire à une grande partie de leurs propres populations,
privées de soins de santé, de logements décents et même d’une éducation
de qualité.

En raison de quoi l’humanité entière devrait-elle accepter que la moitié
des habitants de notre planète vivent avec ces privations, dans la faim et le
dénuement, sans la perspective d’une amélioration de leur situation ?

En raison de quoi l’humanité entière devrait-elle accepter que notre
planète soit mise en danger de manière irresponsable, que des espèces
soient condamnées à la disparition, que nos populations, par l’effet des
changements climatiques, soient rendues plus vulnérables face aux
désastres naturels simplement à cause de choix économiques égocentriques
d’une petite minorité de pollueurs ?

Quel contenu donner à notre appartenance à cette communauté
humaine dont l’Organisation des nations unies se veut porteuse ?

Pour citer Georges Orwell : "Au delà d’un certain niveau d’inégalité, il
n’y a plus de monde commun".

Les criantes inégalités qui caractérisent les situations de nos pays sont
une gêne pour la constitution de la grande famille que devrait être
l’Organisation des Nations Unies.

Monsieur le Président,

Le moment est venu d’opposer à la globalisation du profit à tout prix,
érigé en nouveau credo, une globalisation de la solidarité, seule garante de
l’éradication de la misère prônée par l’honorable assemblée à laquelle je
m’adresse aujourd’hui.

C’est l’occasion pour moi de redire ici, devant cette assemblée, que le
vrai vecteur de la paix, de la stabilité et de la sécurité, c’est le
développement.

L’aide reçue par nos pays en développement sera inefficace et sera la
source de grandes frustrations pour le donateur et le bénéficiaire, si elle
n’est pas inscrite dans une perspective de création et de développement des
capacités productives de nos pays.

C’est le seul moyen de mettre fin au cycle de la pauvreté et de la
dépendance.

Les Haïtiens, comme beaucoup d’autres peuples des pays du Sud, sont
un peuple laborieux, ingénieux et entrepreneur ; doté d’une grande
résilience forgée dans la gestion du déboire quotidien, et capable d’exploiter
à l’extrême limite et d’optimiser la moindre ressource mise à sa disposition.

Nos peuples ont soif de mobiliser ce potentiel et cette capacité pour
prendre la voie du développement soutenable.

Développer nos pays est donc une tache possible.

Cependant, tous les efforts en cours risquent de rester sans effet si
nous ne parvenons pas à faire émerger un nouveau paradigme de la
coopération internationale.

Un nouveau paradigme qui nous demande d’aller au-delà de la logique
de l’aide humanitaire et qui reconnaît la capacité des pauvres de faire des
affaires et de produire des richesses, grâce aux moyens et opportunités qui
leur sont offerts pour renforcer leurs capacités productives.

Faute d’une telle vision nouvelle, en rupture avec la culture de l’aide
humanitaire perpétuelle, la paix et la stabilité ne seront que des conquêtes
précaires et fugaces.

Monsieur le Président,

Permettez-moi d’ajouter un mot sur Haïti, puisque mon pays fait
l’objet d’une attention particulière du Conseil de sécurité.

Au cours des trois dernières années, en dépit de l’impact négatif des
nombreuses crises internationales sur notre économie, d’importants progrès
ont été accomplis, notamment dans la sécurité, dans le respect des droits
humains, dans le climat d’investissement, dans l’élimination de la corruption,
et dans l’instauration d’une société conviviale où le dialogue occupe une
place centrale, soutenu et relayé par une presse totalement libre et
indépendante.

Ces progrès doivent être soutenus, approfondis et étendus.
Voilà pourquoi le soutien des Nations Unies est nécessaire pour nous.

Le Secrétaire général des Nations Unies, dans son rapport au Conseil
de sécurité, a recommandé de prolonger d’une nouvelle année le mandat de
la MINUSTHA.

Cette proposition est bien venue et rencontre notre pleine adhésion.

Nous sommes persuadés qu’un dosage optimal de ses composantes
militaires, policières et administratives mettra la MINUSTHA en meilleure
condition pour assister notre pays plus efficacement dans la consolidation du
climat de paix et de stabilité sans la rendre indifférente aux luttes que nous
mettons pour la reconstruction, la réduction de la vulnérabilité et
l’élimination de la pauvreté.

Je remercie également le Secrétaire général d’avoir fait choix de Bill
Clinton, un ami d’Haïti, comme son envoyé spécial dans notre pays.

Monsieur le Président,

Beaucoup des sommets organisés sous les auspices de l’Organisation
des Nations Unies donnent lieu à des résolutions et des engagements qui
tombent dans l’oubli ou l’indifférence quand vient l’heure de la mise en
oeuvre.

C’est notre responsabilité commune de travailler à faire que ce débat
général ne soit pas un pur rituel où nous venons, du haut de cette auguste
tribune, exposer à coup de rhétorique nos idées sur les grands dossiers
internationaux, exprimer nos bonnes intentions, faire des promesses
alléchantes et repartir sans une volonté manifeste de prendre des mesures
appropriées et honorer nos engagements.

Accepterons-nous, par exemple, que le président du Honduras José
Manuel Zelaya, légitimement élu par son peuple, soit déposé par des
militaires et que les nombreuses résolutions en provenance de diverses
organisations régionales condamnant ce coup d’état restent lettre morte ?

De même, chaque année, depuis plus de 15 ans, cette assemblée
générale adopte une résolution condamnant l’embargo américain contre le
peuple cubain. Le maintien de cet embargo est de plus contraire à toutes les
valeurs que nous sommes tous en train de promouvoir pour faire du
commerce international un outil au service du développement humain.

Alors, quand la rhétorique fera-t-elle place à l’action ?

Merci de votre attention.