La Russie de Poutine

La rencontre entre le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, et le Président des Etats-Unis, George W. Bush, donne un prétexte pour réfléchir sérieusement aux relations russo-américaines, ainsi qu’à leur rôle dans le monde en général. Ces deux Présidents vont se rencontrer à Bratislava, ce qui offre aussi une belle occasion pour parler de l’attitude de la Slovaquie elle-même à l’égard de la Russie et des Etats-Unis.

Toute rencontre des Présidents américain et russe provoque invariablement un vif intérêt dans le monde. En effet, les Présidents russe et américain sont les seuls chefs d’Etat, capables, dirait-on, de diriger le monde. Ils administrent des territoires extrêmement riches en ressources naturelles. Bien plus, ils se trouvent en tête des communautés possédant une puissante base intellectuelle. Aucun autre peuple ni Etat ne peuvent égaliser ces deux communautés et ce, même si un tel peuple ou un tel Etat enregistre à présent des résultats en partie meilleurs.

Qui plus est, la Russie a, elle, encore une spécificité. Plusieurs fois au cours de son histoire, elle s’est retrouvée au bord d’une désagrégation d’Etat quand elle était bel et bien obligée d’engager pour se défendre toutes ses ressources nationales. C’est sans doute ce qui explique en grande partie le fait que dans la production civile la Russie n’atteint que très rarement des performances véritablement mondiales. En revanche, elle sait fabriquer d’excellentes armes qu’il s’agisse des canons de Pierre le Grand ou des missiles intercontinentaux de nos jours.

Contradiction essentielle des supergrands

Les Etats-Unis ont développé l’idée de la liberté et des droits de l’homme jusqu’à la perfection telle que cette idée s’est transformée en force matérielle, tout en aidant les Américains à triompher du communisme. Qui plus est, les Américains ont aussi développé à la perfection leur autre talent, celui du sens des affaires. Comme résultat, en un temps très court, les Etats-Unis sont devenus le plus gros producteur du monde.

La fin de 20-ème siècle a en fait joué un drôle de jeu avec les deux superpuissances. L’URSS que l’on appelait le plus souvent tout court la Russie a perdu la "guerre froide", ce qui en a éloigné bien des pays. Qui plus est, elle a même perdu l’idée universelle de sa mission mondiale.

Les Etats-Unis ont remporté, par contre, une victoire dans la "guerre froide" pour en sortir finalement l’unique superpuissance mondiale. Quoi qu’il en soit, ils ont perdu la position du plus gros producteur. C’est que la domination des Etats-Unis dans le monde sous le mot d’ordre de la mondialisation en cours a eu pour effet qu’il est tout simplement devenu meilleur marché de produire en-dehors des USA car la main-d’œuvre y coûtait moins cher. Comme résultat, les Américains ont pris l’habitude d’importer des produits de l’étranger pour en consommer chez eux, aux Etats-Unis. Pourtant, ils n’ont plus de quoi payer leur consommation aujourd’hui. Aussi, empruntent-ils au monde entier. Tous les jours, les Etats-Unis doivent emprunter à l’étranger près de deux milliards de dollars pour estomper en quelque sorte leur déficit commercial. Dans ces circonstances, ce serait un immense avantage pour l’économie américaine si elle recevait, du moins, par l’intermédiaire de ses compagnies privées l’accès des richesses naturelles russes qui sont incontestablement les plus importantes du monde. Quant à la Russie, il lui faut du temps pour se stabiliser après la désagrégation de l’URSS et la chute du communisme. Ainsi, l’affaiblissement économique et militaire des Etats-Unis aurait donné à la Russie un tel temps. Tel est sans doute l’essentiel conflit des intérêts de ces deux puissances.

La Russie et l’Occident

Vladimir Poutine a arrêté en Russie le processus de désagrégation du pays, chose que l’ancien Président russe - Boris Eltsine - était tout simplement incapable de faire. A ce jour, le capitalisme prospère dans l’économie russe avec beaucoup plus d’envergure qu’en Slovaquie, par exemple, ou même aux Etats-Unis. Depuis plusieurs années déjà, l’impôt unique de 13% sur les revenus est en vigueur en Russie. L’affaiblissement du rouble russe s’est arrêté, et il commence même à augmenter progressivement. La Russie rembourse régulièrement ses dettes extérieures. Dans sa politique internationale, la Russie entretient des rapports d’amitié avec l’Union européenne (UE), ainsi que de très bonnes relations avec les Etats leaders de celle-ci - l’Allemagne et la France. La diplomatie russe a apporté une immense contribution à l’établissement des rapports de paix entre l’Inde et la Chine, ainsi qu’au maintien de bons rapports entre la Russie elle-même et la Chine. Somme toute, la Russie contribue notablement à l’instauration de relations de paix entre quelque deux milliards et demi d’habitants de la planète.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, mais dans le même temps, les relations des Etats-Unis avec tous leurs alliés se dégradent progressivement, alors que les USA eux-mêmes s’enlisent dans une guerre après l’autre.

La Russie et les droits de l’homme

Dans la politique intérieure de la Russie, on ne citera pas d’exemples de violations des droits civils du point de vue de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le procès de Mikhaïl Khodorkovski et de la compagnie "YOUKOS" s’appuie sur les lois en vigueur en Russie, alors que toutes les tentatives des tribunaux américains de s’ingérer dans la justice russe sont tout simplement dérisoires. Pour ce qui est de Mikhaïl Khodorkovski lui-même, il est facilement comparable à nos propres gros propriétaires, nés des privatisations de l’ère Meciar. En effet, Mikhaïl Khodorkovski s’était ressenti propriétaire d’une immense quantité de pétrole russe dont il n’avait d’ailleurs pas obtenu l’accès à l’issue d’un concours ouvert, loin s’en faut.

Le problème de la Tchétchénie se rapporte déjà à une autre catégorie de très sévères critiques visant la politique russe. Il est évident que, depuis Bratislava, il nous est difficile d’évaluer à leur juste valeur tous les détails de ce conflit. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas oublier, non plus, qu’il n’y a pas longtemps la Slovaque Miriam Jevikova et, auparavant, des travailleurs du bâtiment de Slovaquie avaient été enlevés dans le Sud de la Russie par des Tchétchènes pour être finalement délivrés par des organes russes compétents. Il convient aussi sans doute de rappeler que, quand il y a trois ans, les troupes américaines avaient pratiquement encerclé Oussama ben Laden en Afghanistan, il y avait, selon les médias, pas mal de commandos tchétchènes dans son plus proche entourage. Toujours est-il que les Tchétchènes n’ont pas encore prouvé leur capacité de ne pas constituer une menace pour ceux qui vivent autour d’eux.

Or, on ne sait pas encore au juste si Vladimir Poutine et George W. Bush vont aborder à Bratislava les problèmes évoqués. Toutefois, la réussite de cette future rencontre sera sans doute fonction de cette précision avec laquelle les Présidents russe et américain, ainsi que leurs conseillers sauront évaluer leurs propres forces et possibilités, les intérêts historiques de leurs pays respectifs et en tireraient les conclusions nécessaires.

Attitude des petits envers les grands

La rencontre des Présidents russe et américain aura donc lieu à Bratislava. C’est une très bonne nouvelle pour la Slovaquie. Une règle classique de la politique à pratiquer par un petit Etat consiste, entre autres, à ne pas dépendre d’une seule grande puissance. De bons rapports avec nombre de grandes puissances est certes dans l’intérêt de l’existence même des petits Etats. Cela élargit tout simplement la marge de manœuvre pour les petits pays, alors que nul ne sait quand cette marge de manœuvre leur pourrait être nécessaire pour de bon.

La politique extérieure de la Slovaquie au sein de l’Union européenne est plutôt pro-américaine. Les déclarations bien connues des Américains au sujet de la Nouvelle et de la Vieille Europe n’étaient au fond qu’une tentative de Washington de diviser l’Union européenne. Et dans sa politique extérieure, la Slovaquie n’aurait pas dû appuyer de telles tendances.

Néanmoins, à l’étape actuelle, nous sommes heureux que le Sommet russo-américain se tienne à Bratislava.

Me Jan Carnogursky est ancien Premier ministre de Slovaquie