L’assassinat de Rafic Hariri est un désastre tant pour la Syrie que pour le Liban. Ceux qui l’ont commis ont élaboré un scénario pour frapper au cœur la relation libano-syrienne. La Syrie n’ayant pas d’armes de destruction massive, il fallait trouver quelque chose d’autre pour continuer la « théorie des dominos ». Je ne dis pas que ce sont les Américains qui sont les commanditaires de l’assassinat, je n’ai pas la moindre idée de qui ça peut être, mais je constate que la Syrie est autant visée que le Liban. La relation syro-libanaise doit perdurer, elle doit s’arranger. Certes, certaines choses doivent être corrigées, mais l’intimité entre les peuples libanais et syrien, à mes yeux, est un fait.
Si l’affaire Hariri a soulevé une telle colère anti-syrienne, c’est bien la preuve que tel était l’objectif. Les accords de Taëf sont en cours d’application, mais les objectifs des assassins sont de conduire la Syrie et le Liban sur une voie totalement différente, en synchronie avec ce qui se passe en Palestine et en Irak, avec le chaos introduit dans la région, avec la différenciation entre chiites, sunnites, musulmans, chrétiens et autres Assyriens. C’est un énorme projet, qui nous vise tous.
Nous devons corriger la relation syriano-libanaise car nous avons commis des erreurs, c’est inévitable. La Syrie est déterminée à réparer ses fautes. Cette rectification suppose toutefois une intention et une volonté partagées et la foi en l’importance de cette relation. Rappelons que nous avons fortement diminué la présence militaire syrienne au Liban, mais il faut que nous nous souvenions que la sécurité syrienne est intimement liée à celle du Liban. La question de la présence militaire syrienne est soulevée par ceux qui veulent créer un problème entre ces deux pays. Cette question peut être réglée. Mais on ne parle de Taëf qu’à propos du retrait des forces syriennes, alors que ces accords prévoit la fin de la structure confessionnelle du pouvoir au Liban et insistent sur l’arabité de ce pays. Je ne pense pas que ceux qui complotent aujourd’hui contre le Liban et la Syrie approuvent l’arabité de ces deux pays, pas plus qu’en Palestine et en Irak.
Israël pratique le chantage politique quand il nous accuse d’être responsables de l’attentat de vendredi à Tel-Aviv. La Syrie n’est pas en mesure d’exécuter quoi que ce soit à l’intérieur des territoires occupés et en Israël, elle condamne de tels actes et elle appelle à la paix. Ariel Sharon a menacé de frapper la Syrie. Il s’agit de la tactique israélienne habituelle : couvrir son refus d’appliquer les engagements, si petits soient-ils, pris envers les Palestiniens, par des actes ou des déclarations qui servent ses objectifs politiques et son expansionnisme. Au moment même de l’attentat, Israël annonçait la construction de 6 000 unités d’habitation en Cisjordanie. Je condamne les actes qui visent des civils, mais il ne faut pas oublier pour autant les morts de Palestiniens.

Source
Le Monde (France)

« Les auteurs de l’attentat contre Rafic Hariri veulent briser la relation libano-syrienne », par Bouthaina Shaaban, Le Monde, 1er mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.