Les mots ont-ils encore un sens ? Il n’y a plus l’ombre d’un doute après le discours du président Obama à Oslo. L’homme qui conduit deux guerres d’agression en Afghanistan et en Irak, à la tête du plus puissant complexe militaire de l’Histoire, s’est offert le luxe de jouer au pacifiste lorsqu’il a reçu le prix Nobel de la paix. Faisant un usage effronté de références religieuses, il a défendu une conception fataliste de la guerre et dissimulé les crimes commis au Moyen-Orient sous son commandement.
Barack Obama, président et commandant en chef des armées des États-Unis d’Amérique a prononcé son discours d’acceptation du prix Nobel de la paix à Oslo le 10 décembre dernier [1]. Immédiatement, un débat s’est enclenché dans les médias sur une possible doctrine Obama.
En faisant référence à Martin Luther King jr. et Mohandas Gändi, (en n’utilisant que son nom de famille), en ne mentionnant pas les ex-présidents états-uniens ayant obtenu le prix antérieurement soit, Théodore Roosevelt, Woodrow Wilson et Jimmy Carter, et en ne mentionnant que Ronald Reagan, Richard Nixon, et John f. Kennedy parmi ses prédécesseurs, le chef du pouvoir incontesté de la super puissance US a parlé avec l’assurance et la conviction personnelle d’un clairvoyant et d’un probable prophète. Pour le philosophe allemand Friedrich von Schlegel, le genre de prophète qui se tourne vers le passé.
Avec une allure visionnaire et un rythme de discours solennel il a déclaré : « La guerre est un moyen parmi d’autres qui est apparu sur terre avec les premiers hommes ». Peut-être que cette assertion non démontrée réfère au livre de la Genèse qui raconte le meurtre d’Abel par son frère Caïn. Il ne s’agissait pourtant pas là d’une guerre, loin s’en faut. Le président Obama ne nous a pas donné d’indication quant à la formation de sa conviction que la guerre contemporaine fait partie intégrale de l’histoire humaine.
Les paléontologues font généralement remonter l’arrivée de l’homme actuel, l’homo sapiens, à deux cent mille ans, même si les premières preuves historiques écrites ne remontent pas à plus de deux mille quatre cent ans. Peut-être que des journalistes aventureux se permettront de demander au président et à ses rédacteurs de discours comment ils peuvent masquer cent quatre-vingt-dix-sept mille six-cents ans d’histoire et prétendre prouver que la pratique de la guerre est aussi vieille que l’humanité et inséparable de la condition humaine. Peut-être que l’illusion de l’omniscience serait la réponse.
Le discours d’Oslo est rempli de signes d’appropriation d’attributs divins pour soi-même, d’un fatalisme anthropologique et historique et d’une profonde conception pessimiste de la Providence.
Le président affirme que : « … aucune guerre sainte ne peut être juste. Parce que si vous êtes convaincus que vous portez la volonté divine vous n’aurez aucune limite (…) Rejoignons le monde qui doit être, [celui] qui reflète la part de divin qui réside en chacun de nous ». Donc, tout argument contre le divin est faux, une hérésie un sacrilège ; Washington est vrai, ne se trompe pas, se suffit à lui-même et peut justifier toute action aussi violente et mortelle qu’elle soit. Une démonstration non équivoque de la vieille théorie manichéenne transportée dans le monde moderne.
Au début de son discours, le premier président états-unien en exercice à se voir attribuer le prix Nobel de la paix en quatre-vingt-dix ans, souligne : « …peut-être que le problème le plus profond qui entoure le fait qu’on m’attribue ce prix vient de ce que je sois le Commandant en chef des armées d’une nation qui mène deux guerres en ce moment ». Il n’a fait aucun effort pour justifier une de ces deux guerres, celle d’Irak mais, il endosse et défend la poursuite de la seconde, celle en Afghanistan et de plus en plus au Pakistan tout en parlant de façon peu flatteuse des Croisades européennes du Moyen-âge.
L’attribution de ce prix prestigieux et le million quatre-cent-mille dollars qui l’accompagne, à un commandant en chef d’armées déjà impliqué dans deux guerres simultanées hors de ses frontières, dans des pays dont ni les populations ni les gouvernements n’ont jamais représenté quelque menace que ce soit pour sa propre population, ne semble troubler ni le comité Nobel ni ses membres prestigieux.
Dans des termes encore jamais entendus dans des discours d’acceptation du prix, M. Obama a ajouté : « …nous sommes en guerre et je suis responsable du déploiement de centaines de jeunes Etats-uniens sur des champs de batailles éloignés. Certains vont tuer, d’autres seront tués ».
Sans crainte de ridiculiser la nation, sans manifester de sens de la mesure ou même une miette de dérision, il ironise sur le fait que, « la technologie moderne permet à une petite poignée d’hommes dotés d’une dose démesurée de rage, d’assassiner quantité d’innocents ». Il ne dit pourtant rien des ordres qu’il a émis pour que des engins sans pilotes, les drones, liés par des satellites, bombardent en Afghanistan et au Pakistan semant ainsi la mort parmi les populations.
Les thèmes centraux du discours du président sont la réaffirmation des politiques américaines introduites il y a une dizaine d’années avec le déclenchement de la guerre en Yougoslavie, sans autorisation de l’ONU et sans le moindre effort pour l’obtenir. Donc, les États Unis et ses alliés militaires dans le monde occidental peuvent décider seuls ou collectivement, quand, avec quel niveau d’intensité, où, et pour quel motif ils veulent utiliser la force, n’importe où dans le monde. Et cette prérogative est exclusive aux États-Unis à ses alliés de l’OTAN et à des ‘clients’ militaires sélects hors de la zone euro-atlantique comme la Colombie, l’Éthiopie, la Géorgie, Israël et l’Arabie Saoudite.
Ce qui est unique dans l’argumentation du discours du président Obama, c’est le manque de franc-parler avec lequel il réaffirme cette doctrine de politique internationale qui fait fi de la loi. On retrouve dans les extraits se rapportant à ce thème, derrière les qualificatifs ingénieux et le langage décoratif de camouflage les phrases suivantes : « Nous devons commencer par prendre en compte la dure vérité : nous ne viendrons pas à bout des conflits violents de notre vivant. Il y a des moments où les nations, agissant isolément ou de concert, trouveront que l’usage de la force est non seulement nécessaire mais moralement justifié ». Et il nous offre un résumé d’arguments qu’un recherchiste de la Maison-Blanche aurait pu trouver dans Wikipedia : « À titre de chef d’État qui a fait le serment de protéger et défendre ma nation, je ne peux être guidé par leurs seuls exemples [ceux de Ghandi et de Martin L. King], je suis face au monde tel qu’il est et je ne peux pas demeurer passif devant les dangers qui menacent le peuple états-unien. Ne vous méprenez pas ; le mal existe dans le monde (…). Je me réserve le droit, comme tout chef d’État d’agir unilatéralement si nécessaire pour défendre ma nation ». Le mal est un substantif, pas un adjectif. Il est employé deux fois dans ce discours ; il est emblématique d’un ton quasi théologique qui alterne avec des phrases plutôt froides et d’autres durement pragmatiques. Voici quelques exemples de cette catégorie : « Les moyens de la guerre ont un rôle à jouer dans la protection de la paix ». « La non violence ne serait pas venue à bout des armées d’Hitler. Aucune négociation n’arriverait à convaincre les leaders d’Al Qaïda de rendre les armes. Ce n’est pas être cynique que de dire que l’usage de la force est parfois nécessaire…. ». « Si je soulève ce point, si je commence par ce point, c’est qu’aujourd’hui il y a beaucoup d’ambivalence quant à l’usage de la force armée dans beaucoup de pays. Quelle que soit la cause à défendre. Et, à l’occasion, ce sentiment s’accompagne d’une certaine suspicion face à l’Amérique la seule superpuissance militaire du monde ».
Il est absurde de comparer une poignée de membres d’Al Qaïda à Hitler et sa Wehrmacht. Peu importe ce qu’il est, Al Qaïda ne possède pas tant d’armes à rendre. Mais l’Amérique, elle, celle d’Obama possède le plus grand stock d’armes conventionnelles et nucléaires du monde.
Sa façon de jouer intempestivement la carte de l’Allemagne nazie n’est qu’une manœuvre de rectitude rhétorique sans justification historique. Nous n’aurions pas eu à confronter les troupes nazies si, en temps voulu, les gestes diplomatiques nécessaires avaient été posés quand Hitler a envoyé son armée dans la vallée du Rhin en 1936 ; si la Grande-Bretagne et la France n’avaient pas, avec l’Allemagne d’ Hitler et l’Italie de Mussolini soutenu le blocus naval contre la République espagnole pendant que l’aviation allemande y bombardait Guernica et d’autres villes et que les troupes allemandes et italiennes se répandaient dans le pays pour soutenir l’insurrection du général Franco. Et, finalement, si le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Italie ne s’étaient pas entendus à Munich en 1938 pour sacrifier les Sudètes tchécoslovaques aux mains d’Hitler et ainsi ouvrir tout droit la route à ses intentions meurtrières vers l’est. Ces mêmes quatre pays se sont réunis soixante-dix ans plus tard, c’est-à-dire l’an dernier, pour répéter la trahison de Munich en organisant la sécession du Kosovo, démontrant ainsi combien peu a été appris depuis.
Quant à l’accusation que plusieurs pays font preuve d’une soit disant « profonde ambivalence face à l’usage de la force armée » et pire « d’une suspicion à l’égard de l’Amérique, la seule superpuissance dans le monde », elle est d’une arrogance, d’une attitude moralisatrice et d’une absolue imperméabilité à la réalité de la politique extérieure du pays ces dernières années tout comme par le passé. Selon cette « unique superpuissance mondiale » impériale, ni la Maison-Blanche, ni le Pentagone ne peuvent se tromper. Même pas partiellement, par inadvertance ou in-intentionnellement.
Si qui que ce soit trouve quelque faute dans ce que fait ce super pouvoir militaire, c’est qu’il est sous l’influence de son pacifisme ou de son « anti-américanisme » viscéral et pathologique. Peut-être que cela fait parti des « menaces contre le peuple états-unien » mentionnées au paravent puisqu’aucune autre, qu’elle vienne de l’Afghanistan ou d’ailleurs dans le monde, n’a été démontrée dans ce discours.
Sa partie la plus notable et la plus gênante est ce que M. Obama caractérise comme la « reconnaissance de l’histoire ; les imperfections humaines et les limites de la raison ». De peur que cette observation ne soit interprétée que comme un exemple personnel ou d’humilité toute nationale, d’autres formulations l’entourant ne laissent aucun doute sur le fait que les faiblesses en questions ne concernent que les non-US. Gloire à l’américano centrisme !
On chercherait en vain une pareille assertion chez n’importe quel autre chef d’État états-unien. Il est alarmant d’entendre le chef actuel de cet État, le premier fondé sur les principes des Lumières du XVIIIe siècle et sur ceux des Âges de la raison précédents, insister sur l’inhérente et indélébile faiblesse humaine qui par rapport à certains aspects de la vérité, serait séparée de la raison et lui serait supérieure. Il laisse ainsi la porte ouverte à l’irrationnel sous toutes ses formes et justifie en fin de compte, la conception du droit qui invoque les impératifs nationaux pour définir le bien et le mal.
Si les humains sont imparfaits par nature et que leur jugement l’est tout autant, il en découle pour l’humanité « Née pour mourir et ne raisonnant que pour se tromper » , (Alexander Pope) qu’ il se peut bien que la guerre soit un droit acquis à la naissance et que par conséquent, l’éradication des conflits violents ne se fasse pas de si tôt dans l’histoire. La guerre qui a commencé avec l’arrivée de l’homme sur terre ne s’arrêtera donc qu’avec son extinction. Arrivés ensemble, ils s’éteindront ensemble, selon M. Obama.
Comment le leader de l’Occident, comment la nation et l’individu en sont-ils arrivés à cette impasse déterministe qui est aussi mentionnée dans le discours lorsqu’il parle des événements déterminants de la fin de la guerre froide qui ont marqué le nouveau siècle.
Il passe facilement de : « Je crois que la force peut être justifiée par des considérations humanitaires comme elle l’a été dans les Balkans et dans d’autres endroits qui ont été marqués par la guerre. L’inaction de notre part troublerait notre conscience et pourrait obliger à des interventions plus coûteuses plus tard. C’est pourquoi toute nation responsable doit s’engager militairement avec des mandats clairs et jouer ainsi un rôle pour maintenir la paix ».
À : « La conviction que la paix est nécessaire est rarement suffisante pour y arriver. La paix a besoin du sens des responsabilités. La paix suppose des sacrifices. Voilà pourquoi l’OTAN continue à être indispensable ».
En faisant ces déclarations et en exprimant des sentiments concordants, M. Obama a fait référence au pays dont il était l’hôte, en parlant de la guerre en Afghanistan : « …quarante deux pays se sont joints à nous, y compris la Norvège, dans un effort pour nous défendre aussi bien que toutes les autres nations, contre de futures attaques ».
Encore une fois les menaces perçues sont amplifiées pour atteindre une dimension universelle. Toutes les nations de la planète sont menacées et quelques unes d’entre elles, soit les quarante trois membres de l’OTAN et leurs partenaires, tiennent les barbares au loin. Pas facile de faire la différence entre la nouvelle ‘doctrine Obama’ de celle soutenue par G.W.Bush et Tony Blair antérieurement, sauf pour ce qui est de l’étendue assumée.
Pour le président, il existe une mission hors du temps, de l’espace et des contraintes normales : « Les États-Unis d’Amérique ont aidé à façonner la sécurité globale durant plus de soixante ans avec le sang versé par ses citoyens et la force de ses armes. (…) L’engagement de l’Amérique envers la sécurité planétaire ne vacillera jamais. Mais dans un monde où les menaces sont plus diffuses et les missions plus complexes, l’Amérique ne peut pas agir seule. L’Amérique seule ne peut garantir la paix. C’est vrai en Afghanistan. C’est vrai dans des pays où l’État n’existe plus comme en Somalie (…) Et malheureusement, cela va se poursuivre dans les régions instables dans les années à venir (…) Les leaders et les membres des forces armées des pays de l’OTAN comme d’autres amis et alliés, nous démontrent qu’ils partagent cette vérité par leur engagement courageux en Afghanistan ».
Et le président des États-Unis cite par leur nom les nations qui représentent une menace pour son pays, ses valeurs, ses alliés et l’ensemble du monde ; en plus de l’Afghanistan et de la Somalie, ce sont l’Iran, le Myanmar, la Corée du Nord, le Soudan et le Zimbabwe. Ces cinq derniers pays faisaient partie de la liste post-11 septembre 2001 de Georges W.Bush comme des États soutenant le terrorisme et, plus tard, de celle de Condoleezza Rice signalant ‘les avant postes de la tyrannie’ ou les deux.
L’espoir que les politiques typiques de l’époque des prédécesseurs du président Obama soient maintenant hors de l’histoire, qu’elles ne se soient appliquées que dans l’immédiat après-11 septembre 2001, est bien mort. L’escalade rapide de la guerre en Afghanistan et au Pakistan en est la triste preuve. La guerre n’est pas la mise entre parenthèse des principes bibliques mais le fondement de la politique nationale.
Dans son roman, La bête humaine, Émile Zola dépeint la foule française revendiquant une désastreuse guerre contre la Prusse en scandant : « À Berlin ! À Berlin ! » devant une locomotive avançant à toute allure sans conducteur. Le discours du président Obama à Oslo montre que les Etats-Unis sont toujours prêts à se lancer en guerre même s’ils ont changé de conducteur. Les vieux champions de la guerre, Robert Gates, James Jones, Richard Holbrooke, David Petraeus et Stanley McChrystal ont chargé la machine pour un long voyage.
Traduction : Alexandra Cyr (Presse-toi à gauche).
[1] « Discours de Barack Obama lors de la réception du Prix Nobel de la Paix », Réseau Voltaire, 10 décembre 2009.
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