Aujourd’hui, si l’Union européenne est de loin la première puissance commerciale au monde, elle peine à se constituer comme un acteur politique crédible sur la scène internationale. La difficulté de l’Europe politique à s’affirmer est, en grande partie, due à la quasi-impossibilité, malgré les efforts du Haut Représentant, de dégager une politique étrangère et de sécurité commune à l’unanimité des 25 États membres. Forte d’une culture de négociation acquise à travers 50 ans de construction européenne, l’Union nourrit pourtant la prétention d’être un acteur déterminant de promotion de la démocratie et des Droits de l’homme dans le monde.
Les dirigeants européens ont beau jeu d’opposer à la vision américaine des relations internationales, fondée une surévaluation du facteur militaire dans la résolution des différends, la vision européenne, fondée sur la recherche du consensus et le règlement pacifique des conflits. Cette politique lui donnerait, dit-on, une certaine aura dans le monde. Toutefois derrière l’invocation du « soft power », se cache une inertie politique patente face aux grands défis du XXIème siècle, au premier rang desquels on trouve le terrorisme qui veut transformer notre modèle de société.
Le processus d’élargissement témoigne de la capacité de l’Union européenne à démocratiser des nations. Outre aux Balkans, qui demeurent un sérieux foyer d’instabilité, le nouveau défi que l’Europe doit affronter avec urgence est représenté par ses voisins de l’autre rive de la Méditerranée et du Moyen-Orient. J’y constate un processus de renaissance civile et l’actualité récente conforte ce diagnostic. Tout en étant consciente des contradictions inévitables et des contrecoups même violents tout à fait probables, il me paraît évident que le mur de la « peur » paralysante vient d’être brisé. L’Europe ne peut rester sourde à ce mouvement et elle doit l’aider en soutenant la société civile et surtout en négociant avec les pays partenaires des standards clairs et fermes de mise en œuvre de réforme politique réelle. Ce dernier point doit passer par les accords d’association bilatéraux euro-méditerranéens.
Plutôt que de cultiver un hypothétique conflit de civilisations, nous devrions soutenir avec fermeté les aspirations à la liberté et à la démocratie que nourrissent les millions de citoyens du monde arabe, tant lorsqu’elles parviennent à se manifester avec éclat que lorsqu’elles sont étouffées par la violence d’État. J’ai salué l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie comme une décision historique.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Le défi de l’affirmation politique », par Emma Bonino, Le Figaro, 15 mars 2005.