L’une des plus troublantes conséquences de l’implication états-unienne en Irak est la justification par l’ensemble du spectre politique états-unien de l’introduction de l’islam dans la nouvelle constitution irakienne.
Il n’y a rien de surprenant dans les justifications de la droite en faveur de cette inscription. Elle est d’autant moins étonnante quand cette justification vient de la droite religieuse, un courant qui a déjà l’habitude de s’attaquer à la séparation de l’Église et de l’État aux États-Unis. Pourquoi s’émouvrait-il d’une constitution ne permettant pas aux femmes de divorcer sans le consentement de leur mari, et qui stipulerait que le témoignage d’une femme ne vaut que la moitié de celui d’un homme ? Tant que le texte n’empêche pas les chrétiens d’exercer leur culte, les fondamentalistes états-uniens ne trouveront rien à redire. Toutefois, les faucons néo-conservateurs et la droite religieuse ne sont pas les seuls à voir l’islam comme le fondement d’un gouvernement ami. Certains à gauche, au nom du multiculturalisme, réclament la liberté de conscience pour eux mais pas pour les autres. Ils sont rejoints dans cette approche par certains experts universitaires sur les questions de l’islam.
Pourtant, si l’Histoire enseigne quelque chose, c’est bien que les gouvernements fondés sur la loi religieuse ont toujours été les ennemis naturels des droits des individus et des minorités. Certains multiculturalistes proposent un "compromis " : construire un cadre de lois laïques dans lequel on laissera aux religieux les sujets comme le mariage ou le divorce. C’est exactement ce qui a été fait en Israël en 1948 et on a vu les résultats : les rabbins orthodoxes contrôlent le droit au mariage et au divorce de tous. Les femmes ne peuvent pas changer de compagnon sans l’accord de celui ci et les enfants qu’elles auront dans une autre union seront toujours considérés comme illégitimes. Pense-t-on que l’islam fera mieux ? Est-ce ce système que l’on veut pour l’Irak ? On a instauré un système religieux également en Afghanistan et il existe un grand risque d’une dérive fondamentaliste.
En fait, derrière cette volonté d’avoir une constitution islamique se cache un refus de l’administration Bush d’accepter le principe même de laïcité, aux États-Unis comme à l’étranger.

Source
Los Angeles Times (États-Unis)

« Sharia : Iraq’s Dark Cloud », par Susan Jacoby, Los Angeles Times, 21 mars 2005.