Depuis 2002, la situation politique s’est dégradée au Kirghizistan avec la répression d’une manifestation pour le pain, dans le sud du pays, qui a causé de nombreux morts et a conduit Kurmanbek Bakiev à la démission. Ce dernier a alors rejoint l’opposition. L’année suivante, Askar Akaïev a forcé la légalité constitutionnelle en plaçant son fils à la tête du Parlement, tremplin pour lui succéder. Il avait déjà rusé avec la constitution pour rester au pouvoir plus longtemps et quand les élections législatives ont été falsifiées, les gens ont compris qu’ils n’avaient plus rien à attendre de ce régime. La dernière erreur de l’ancien chef de l’État a été de diminuer les aides financières au Sud, d’où est partie la révolte.
La révolution est dirigée par Kurmanbek Bakiev , un homme du Sud ayant reçu des fonds des États-Unis, et Felix Koulov, ancien général et maire de Bichkek, issu du Nord et beaucoup plus " à gauche " que Bakiev. Il n’est pas à la botte des États-Unis. Compte tenu de la situation économique, il suffisait d’une étincelle pour que le mouvement parte. Les États-uniens ont soutenu le mouvement mais ils ne le contrôlent pas complètement.
A la différence des pays voisins, le régime kirghize était autoritaire, mais pas dictatorial, et laissait place à une vraie liberté de pensée. Les Kirghizes ont une culture politique forte et une structure de population clanique où les clans ont besoin les uns des autres. Si on ajoute à cela le fait que les nouveaux dirigeants sont des gens mûrs, des gestionnaires, je ne pense pas qu’on s’oriente vers une guerre civile. De même, il ne faut pas s’inquiéter d’une montée de l’intégrisme musulman, car l’islam kirghize est sans doute le plus libéral du monde. Toutefois, les islamistes ont leurs partisans dans le Sud chez les les Tadjiks et les Ouzbeks, qui forment d’importantes minorités dans certaines vallées. Mais au Kirghizistan l’islam n’est pas la base de l’identité nationale, il n’en est qu’une des composantes.
Je ne pense pas que l’attitude du Kirghizistan changera vis-à-vis de Moscou, il y a trop de liens entre ces deux pays, mais la diplomatie kirghize va se tourner vers l’Occident pour faire venir les capitaux étrangers et tenter de relancer l’économie.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Les nouveaux tenants du pouvoir sont des gens mûrs », par David Gaüzere, Libération, 26 mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.