Si tous ont droit de défendre le non, lors du référendum du 29 mai prochain sur la Constitution européenne, il n’est en revanche pas admissible de propager des mensonges sur son contenu.
Tout d’abord, il est insultant de parler de « Constitution Giscard » et de traiter de « pingouins » les hommes de gauche qui ont participé à son élaboration. La déformation nationaliste choque particulièrement lorsqu’elle ne vient pas de la droite dure mais d’une gauche qui se prétend abusivement pro-européenne. Il faudrait de toute façon un journal entier pour dénoncer toutes les contrevérités accumulées mais nous allons revenir sur quatre exemples principaux. Ces mensonges sont assénés et non démentis par des animateurs de Talk shows qui n’y connaissent rien et voient surtout que le non issu des tripes fait plus d’audimat que le oui issu de la raison.
Parmi d’autres énormités, on a pu entendre que :
 La Constitution européenne permettrait le mariage pas le divorce. Mensonge éhonté. La charte (Partie II du texte constitutionnel) reprend et étend la liberté consacrée par la Convention européenne des droits de l’homme en 1950. En ne réduisant pas le droit au mariage à « l’homme et la femme », la charte permet même aux différents pays d’accorder le droit au mariage aux couples homosexuels.
 La Constitution supprimerait le droit à l’avortement en consacrant le droit à la vie (art. II-62). Affabulation grossière. La charte reprend ici littéralement le texte de la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’a jamais entraîné restriction du droit à l’avortement. Cette question est de compétence nationale.
 L’Europe supprimerait la réduction du temps de travail et porterait la durée maximale du travail à 68 heures hebdomadaires. La vérité est que la réglementation sur la durée maximale du travail est, elle aussi, l’affaire des États, pas de l’Europe. L’Union se contente de fixer des normes minimales afin de protéger la santé des travailleurs. Une directive européenne existe en la matière et la gauche européenne se bat pour en renforcer les exigences, mais il n’y a pas de rapport avec la Constitution soumise à ratification. Pourtant on veut nous refaire le coup de Bolkestein.
 La Constitution détruirait la laïcité. C’est ici l’article 70 qui est visé. « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé... » Et l’expression « en public » d’être systématiquement stigmatisée par quelques intégristes de la laïcité.
Ces quatre mensonges « hénaurmes" sont martelés sur les plateaux de télévision pour berner des citoyens de bonne foi qui ne peuvent pas se souvenir de tous les articles de la Constitution. Il est temps que les partisans du non qui se disent socialistes et démocrates cessent ces falsifications et que les médias fassent preuve de responsabilité quant à l’honnêteté de l’information.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« La Constitution en vérité », par Olivier Duhamel et Jack Lang, Libération, 29 mars 2005.