Élue bien que minoritaire, au bénéfice de quelques triangulaires avec le Front national, la nouvelle majorité parlementaire ne pouvait espérer porter un gouvernement de rupture. Au demeurant, la confusion qui règne au sein de chaque formation politique de gouvernement, et l’absence de perspective de recomposition, contraignent l’exécutif à choisir entre une équipe plurielle et incohérente ou une équipe homogène et sectaire.

Lionel Jospin a décidé de former un gouvernement rassemblant des leaders des cinq partis de la coalition parlementaire, mais en concentrant l’essentiel des pouvoirs économiques dans les mains d’un groupe très restreint d’amis triès sur le volet. Cette opération s’est accompagnée de l’élimination des contestataires au sein de chaque formation de la coalition (fabiusiens et drayistes au PS, réformateurs au PC, horystes au PRS, etc...).

En s’appropriant une victoire collective, Lionel Jospin choisit de mener une politique qui ne correspond pas à la volonté exprimée par ses électeurs. Si ceux-ci ont manifesté des aspirations contradictoires, leur vote sanctionnait clairement, un an et demi après, les grèves de décembre 1995 et le refus de la politique économique conduite depuis vingt ans. Il est donc paradoxal de composer un gouvernement avec ceux qui, en liaison avec le CNPF et la CFDT, entendent poursuivre dans l’impasse. Les citoyens n’ont pas besoin qu’on leur explique mieux des décisions que l’on a prit pour eux et qu’ils réfutent.

Les Français attendaient aussi de Lionel Jospin, comme de Jacques Chirac en mai 1995, qu’il rompe avec les errements florentins du mitterrandisme. Dès le soir des législatives, l’accueil du nouveau Premier ministre à la Maison de l’Amérique latine par Mazarine manifestait qu’il n’en serait rien. La "moralisation "des mœurs politiques annoncée n’est qu’un leurre où le puritanisme se substitue à la République pour masquer les abus et privilèges d’une monarchie élective en décomposition.

Ces regrets désabusés sont peut-être simplement le signe d’une grande naïveté. La Démocratie et la République ne peuvent surgir d’une consultation électorale bâclée. Elles se construisent à partir de l’action citoyenne et les luttes sociales.

Thierry Meyssan