La Cour pénale internationale, La Haye.

Monsieur le Procureur,

La Jamahiriya Arabe Libyenne, dont j’assure la défense des intérêts, a pris connaissance par voie de presse de la décision rendue par la Chambre préliminaire au vu des conclusions que vous avez crû devoir unilatéralement tirer de vos investigations. A titre préliminaire, elle entend dire qu’elle conteste avec force une enquête menée en fraude de ses droits, de ceux de ses dirigeants et de son Peuple.

Dans de telles circonstances, elle ne peut accepter d’être liée par une procédure attentatoire à son indépendance et à sa souveraineté et qui, au surplus, n’est pas le reflet impartial des faits. A cet égard, il est clair qu’en vous affranchissant des règles de l’ordre juridique international, malgré les moyens considérables mis à votre disposition, vous avez décidé de vous conformer sciemment à l’environnement médiatique des faits dont vous étiez saisi.

A ce sujet, la Jamahiriya Arabe Libyenne affirme que vous avez repris à votre compte, et sans aucun esprit critique, la campagne médiatique de grande ampleur visant à la discréditer et à discréditer les Libyens. L’alignement pur et simple de votre enquête sur cette entreprise de « diabolisation » d’un Etat libre, indépendant et souverain est contraire à l’esprit et à la lettre de l’acte fondateur de la Cour dont vous dirigez l’autorité de poursuite. (...)

Il a pour résultat pratique de cacher ou de travestir certains faits et d’induire ainsi volontairement en erreur la communauté internationale sur les responsabilités réellement encourues.

Pour prendre l’exacte mesure de la portée effective et de l’amplitude des manquements de vos travaux à l’ordre international public, il est nécessaire de dégager les principes enfreints.

Ces principes sont ceux dégagés notamment par le Pacte international des droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme auxquels s’est référé le Conseil de sécurité quand il a fallu élaborer le statut des tribunaux pénaux internationaux.

L’article 21 paragraphe 3 du statut de votre Cour fait, quant à lui, explicitement référence « aux droits de l’homme internationalement reconnus ».

Le droit à une procédure équitable est l’une des pierres angulaires de ces droits.

Votre posture, et à la suite celle de la Chambre préliminaire, me conduit à vous rappeler trois des garanties spécifiques du droit à une procédure équitable :

 droit à un juge impartial, ce qui suppose l’absence de parti pris ;

 droit à être informé, dans le plus court délai, de la nature de l’accusation ;

 droit d’interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

Cette précision apportée deux séries de considérations seront formulées.

Première série de considérations. Votre saisine s’inscrit dans l’ordre public international, c’est-à-dire d’un ordre public commun aux Etats membres des Nations Unies. La référence à l’ordre public international souligne l’intensité, par nature, des engagements et des obligations de votre Bureau à raison de l’exigence d’équité.

Deuxième série de considérations. Cette portée exigeante aurait dû se traduire doublement par une obligation de caractère positif, d’une part, de résultat, d’autre part.

 Une obligation de caractère positif. La résolution du Conseil de sécurité vous saisissant fixait l’objectif de l’enquête : elle devait être impartiale, équitable, contradictoire.

 Une obligation de résultat. Vous aviez peut-être le choix des moyens propres à fournir le résultat demandé, la poursuite des auteurs des crimes prévus et réprimés par le statut de Rome, mais si ce résultat n’a pas été atteint dans les formes requises, votre Bureau se trouve par la même en faute.

En d’autres termes, votre Bureau et vous-même, qui n’étiez investis que de compétences fonctionnelles strictement circonscrites à la réalisation de l’objet de votre saisine, avaient certes le choix des moyens mais sous la condition de satisfaire aux exigences du principe d’équité. C’est donc à la lumière de ces obligations que ce qui peut être déduit de votre manière de faire sera analysé.

Les problèmes que posent prima facie votre enquête sont au nombre de deux.

Le premier, et vous n’y avez attaché aucune importance, c’est le problème de la nécessité et de l’existence de la protection des droits fondamentaux de l’ordre international public c’est-à-dire des normes acceptées et reconnues par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que normes à laquelle aucune dérogation n’est permise.

Sur ce point, je ne vois pas la possibilité d’une double éthique sélective, l’une applicable aux Etats puissants, l’autre aux Etats les plus faibles et qui divergeraient dans leur essence même et dans les valeurs qu’elles consacrent.

Le second problème qui, découle du précédent, est celui de l’opacité, du flou et de l’incertitude qui entourent les circonstances de votre enquête. A cet égard, je vous rappelle que vous aviez l’impératif devoir d’éclaircir par un examen impartial et consciencieux les faits objet de votre saisine en procédant avec loyauté et dans le souci du respect du droit car, et vous le savez mieux que quiconque, « justice must not only be done it must also be seen to be done » . Or, à la lumière de ce que révèle vos prises de position publiques il est de l’ordre de l’évidence que votre Bureau, et à la suite la Chambre préliminaire, a entériné purement et simplement les déclarations de prétendues ou supposées victimes sans exercer le moindre contrôle sur leurs motifs et leur exactitude.

Au cas présent, le climat compassionnel dont on a entouré à dessein des témoins anonymes réputés toujours dignes, faibles, francs, infaillibles à balayé prudence, doute, objectivité, recoupements et vérifications. Ce mode opératoire présente de nombreux points communs avec d’autres exemples avérés de manipulations désastreuses de la vérité dans les domaines judiciaire ou politique puisque l’on y retrouve la même écoute complaisante des victimes, ou qui se prétendent telles, la même pression de l’opinion publique, les mêmes dérives médiatiques.

En face d’un tel déferlement, le seul moyen de vérifier si les informations sont vraies est de confronter les discours à des éléments objectifs d’appréciation, ce que vous avez privé la Jamahiriya Arabe Libyenne du droit de faire.

Dans ce contexte, un discours unique s’est imposé, crédibilisé, au cas présent, par la décision de la Chambre préliminaire.

Certes, la règle d’une enquête est de ne jamais exclure la possibilité que ce qui est dénoncé a effectivement eu lieu, elle a cependant pour corollaire de pouvoir étayer les accusations.

Votre bureau n’a pas, semble-t-il fait cet effort car sa méthode a, à l’évidence, consisté à prendre pour vrai, à la lettre et de manière répétitive, en respectant un scénario immuable, les récits anonymes qui lui ont été présentés.

La faiblesse de la méthode saute aux yeux : rien de fiable ne peut émaner d’un support reposant sur des données truquées qui, au surplus, font partie d’un plan d’ensemble.

Concernant la Jamahiriya Arabe Libyenne ce plan a été conçu sur la base de stéréotypes diabolisants, systématiquement repris par les médias et la communauté internationale.

A partir de cette dynamique de diabolisation la spirale corrélative de l’injustice vertueuse et du double standard s’est installé d’elle-même.

Or, si l’on reprend la chronologie et les faits, avec le recul qui s’impose, il est de l’ordre de l’évidence que les choses ne se sont pas vraiment produites comme l’affirment ceux, qui n’ont cessé d’attiser le feu en se faisant l’écho de fausses informations.

C’est pourquoi, la Jamahiriya Arabe Libyenne entend dès à présent prendre date en vous rappelant que le respect du contradictoire est un principe général du procès international dont le non-respect est une violation grave d’une règle fondamentale entraînant la nullité des actes accomplis.

(en ce sens Comité ad hoc CIRDI, 3 juillet 2002, Campania de Aguas del Aconquija SA et Vivendi Universal c/ Argentine, vol 125, pp 58-97, spéc p 86, 85 : le droit pour les parties d’être mises en condition de présenter leur argumentation est une règle fondamentale de procédure).

Au cas présent, votre « procédure », car c’est ainsi que vous qualifiez sur le plan formel vos actes, laisse en suspens une série de questions.

Première question : avez-vous dressé un plan d’action ? Ce plan a-t-il été validé par le Conseil de sécurité des Nations Unies et/ou par le secrétaire général ? Dans l’affirmative, à quelle date et sous quelle forme ? Dans la négative, pourquoi ?

Deuxième question : ce plan a-t-il fait l’objet d’une évaluation de faisabilité. Dans l’affirmative par qui ? Dans la négative, pourquoi ?

Troisième question : ce plan prévoyait-il un schéma d’enquête, de collecte de renseignements et d’éléments de preuves ? La sécurité et la continuité de la preuve étaient elles assurées ? Si oui, comment ? Si non, pourquoi ?

Quatrième question : comment vos agents et vous-même avez-vous eu accès aux plaignant(es) ? Sur quels critères de crédibilité avez-vous fondé votre choix des témoignages ?

Cinquième question : avez-vous bénéficié d’une assistance du prétendu Conseil National de Résistance (CNT) ? Dans l’affirmative laquelle ? Avez-vous été aidé, assisté ou accompagné par des membres de cette organisation et, d’une manière plus générale, par un organisme sous son contrôle ou en dépendant directement ou indirectement ?

Sixième question : les concours qui vous ont été prêtés avaient-ils pour seul but la manifestation de la vérité ou poursuivaient-ils également un objectif politique ? Dans l’affirmative lequel ?

Septième question : avez-vous enquêté sur les crimes commis dans les zones sous contrôle du CNT ? Dans l’affirmative entendez-vous poursuivre ses dirigeants et les auteurs de ces crimes ? Dans la négative, pourquoi ?

Ces questions font naître un doute légitime sur l’impartialité qui a présidé à votre enquête.

Il s’ensuit que la Jamahiriya Arabe Libyenne, ses dirigeants et son Peuple ont fait l’objet d’un traitement autant partial que discriminant.

En fait, l’expression dans les actes de votre Bureau d’un manquement au principe d’impartialité ne vous a pas permis d’aborder l’enquête de manière juste et équitable alors qu’à l’inverse votre légitimité aurait dû résulter de votre impartialité.

Enoncée dans les textes internationaux et notamment la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, la qualité d’impartialité est indispensable et inséparable de l’œuvre de Justice et de paix de l’article I-1 de la Charte des Nations Unies.

Comment s’étonner dès lors que, dans de telles circonstances de fait et de droit, la pratique de la justice internationale heurte la philosophie des textes qui l’inspire, a fortiori si ses acteurs agissent selon les souhaits ou avec l’accord des Etats puissants, dont les dirigeants continuent de bénéficier, quant à eux, d’une quasi impunité.

Dans le cadre de vos fonctions, vous n’ignorez pas que ces Etats visent à « verrouiller » la justice internationale en déconstruisant le droit tel qu’il s’était développé avec les principes généraux de la Charte des Nations Unies, les Conventions de Genève de 1949 et l’avancée majeure que représente leur Protocole additionnel I de 1977.

Leur but est d’instaurer ainsi dans le droit lui-même une justice à géométrie variable pour laquelle les guerres d’agression - celle déclarée à la Jamahiriya Arabe Libyenne en est une - menées par les pays occidentaux deviendraient, au choix, de la « légitime défense préventive » ou des interventions « humanitaires » pour lesquelles bombardements ou les fournitures d’armes à une partie, ne seraient plus des crimes.

Au cas présent il est de l’ordre de l’évidence que l’OTAN, sous l’impulsion, le commandement et l’égide des Etats-Unis, de la France et du Royaume Uni, commet intentionnellement des actes en violation de l’article 85 du Protocole additionnel de 1977.

Je vous rappelle que cet article est ainsi rédigé :

« ... 3. outre les infractions graves définies à l’article 11, les actes suivants, lorsqu’ils sont commis intentionnellement, en violation des dispositions du présent Protocole, et qu’ils entraînent la mort ou causent des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, sont considérés comme des infractions graves au présent Protocole :

a) Soumettre la population civile ou des personnes civiles à une attaque.

b) Lancer une attaque sans discrimination atteignant la population civile ou des liens de caractère civil, en sachant que cette attaque causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou dommages aux liens de caractère civil, qui sont excessifs au sens de l’article 57, paragraphe 2 a....

c) Lancer une attaque contre des ouvrages ou des installations contenant des forces dangereuses, en sachant que cette attaque causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux personnes civiles ou des dommages aux liens de caractère civil, qui seront excessifs au sens de l’article 57.2.a.iii ;

d) Soumettre à une attaque des localités non défendues et des zones démilitarisées.

Sous réserve de l’application des Conventions et du présent Protocole les infractions graves à ces instruments sont considérées comme des crimes de guerre."

De son côté l’article 8.2.b du statut de Rome définit le crime de guerre dans ces termes.

« 1. La Cour a compétence à l’égard des crimes de guerre, en particulier lorsque ces crimes s’inscrivent dans un plan ou une politique ou lorsqu’ils font partie d’une série de crimes analogues sur une grande échelle.

2. Aux fins du Statut, on entend par crimes de guerre :

a) Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir les actes ci-après lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève : i)L’Homicide intentionnel ;

(...)

b) Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international, à savoir les actes ci- après :

i) Le fait de lancer des attaques délibérées contre la population civile en général ou contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités ;

ii) Le fait de lancer des attaques délibérées contre des biens civils qui ne sont pas des objectifs militaires ;

(...)

iii) Le fait de lancer une attaque délibérée en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines et des blessures parmi la population civile, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu.

(...)

xx) Le fait d’employer les armes, projectiles, matériels et méthodes de combat de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles ou à agir sans discrimination en violation du droit international des conflits armés, à condition que ces moyens fassent l’objet d’une interdiction générale et qu’ils soient inscrits dans une annexe au présent Statut, par voie d’amendement adopté selon les dispositions des articles 121 et 123 ».

D’autre part, vous ne pouvez ignorer que la définition actuelle de l’agression en droit est l’œuvre de l’Assemblée Générale des Nations Unies.

D’autre part, vous ne pouvez ignorer que la définition actuelle de l’agression en droit international est l’œuvre de l’Assemblée Générale des Nations Unies.

En effet, elle a adopté le 14 décembre 1974, à sa XXIXème session, la résolution 3314 qui a élaboré, en formulant une définition de l’agression, l’outil conceptuel permettant de l’identifier en tant que violation du principe - cristallisé par l’article 2 paragraphe 4 de la Charte - de prohibition de l’emploi de la force.

Aux termes de l’article 1 de cette résolution l’agression s’entend de « L’emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies ».

L’article 3 de la définition de l’agression annexée à la résolution 3314 énumère une série d’actes de force qui, constituent des actes d’agression qu’il y ait eu ou non une déclaration de guerre.

Les actes en question sont :

c) Le bombardement, par les forces armées d’un Etat, du territoire d’un autre Etat, ou l’emploi de toutes armes par un Etat contre le territoire d’un autre Etat ;

d) L’attaque par les forces armées d’un Etat contre les forces armées terrestres, navales ou aériennes, ou marine et l’aviation civiles d’un autre Etat ; [...]

g) L’envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre Etat d’une gravité telle qu’ils équivalent aux actes énumérés ci- dessus, ou le fait de s’engager d’une manière substantielle dans une telle action ».

Sur ces bases un constat s’impose :

L’intervention armée de l’OTAN contre la Jamahiriya Arabe Libyenne est une agression au sens de la Charte des Nations Unies et de la résolution 3314.

Cette guerre soumet la population civile d’un Etat libre, indépendant et souverain à des attaques systématiques et généralisées, qui atteignent la population civile et des biens de caractère civil alors que leurs auteurs ne peuvent ignorer que sont causés ainsi des pertes en vies humaines et des dommages aux biens.

Or, le chapitre titré zone d’exclusion aérienne de la résolution 1973 (2011), adoptée par le Conseil de sécurité le 17 mars 2011, est ainsi rédigé :

« 6. Décidé d’interdire tous vols dans l’espace aérien de la Jamahiriya Arabe Libyenne afin d’aider à protéger les civils ».

Le texte est clair et ne prête pas à interprétation.

En ce qui la concerne le Jamahiriya Arabe Libyenne entend dire et affirmer avec force qu’à aucun moment elle ne s’est livrée à des actes de violence contre son peuple.

Le temps venu elle démontrera que sur ce point elle est l’objet d’une vaste instrumentalisation polico-médiatique qui a pout but de tromper, de faire croire un message mensonger afin, d’une part, d’induire volontairement en erreur la communauté internationale sur les responsabilités réellement encourues et de dissimuler, d’autre part, les objectifs réels poursuivis par les auteurs de l’agression.

Il reste que sur la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité les Etats, les coalitions d’Etats ou les groupements d’Etats ne remplissent aucune fonction exécutive mais doivent se conformer – les résolutions établissant un rapport vertical entre le Conseil de sécurité et leur cible – purement et simplement à celles qui leur sont adressées. Dans ce contexte l’OTAN, et les Etats membres de l’OTAN, devait agir au titre d’une compétence liée, de sorte qu’il ne disposait d’aucune marge d’appréciation autonome et ne pouvait modifier les motifs, la portée et les effets de la résolution 1973 (2011) car, de même qu’elle n’est pas juge des motifs qui inspirent les résolutions du Conseil de sécurité, l’OTAN, et ses Etats membres, n’est pas juge du bien fondé des mesures et procédures y afférentes, instaurées par celui-ci.

Dans les faits, les motifs cachés du projet de résolution 1973 (2011) présentés par la France et le Royaume Uni, qui sont à l’origine des frappes en Libye, sont clairement révélés par les prises de position et les menaces qui caractérisent les interventions répétées des Représentants de la France, du Royaume Uni, et des Etats-Unis ce qu’annonçait déjà l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Susan RICE, en déclarant, avant l’adoption de la résolution précitée, que le Conseil de sécurité devrait envisager « d’aller au-delà d’une simple zone d’exclusion aérienne ».

En réalité, les déclarations récentes du Secrétaire Général de l’OTAN – Anders Fogh RASMUSSEN – révèlent explicitement la vraie nature de l’intervention armée d’une Organisation qui a sciemment choisi de se placer en marge de l’ordre international sans avoir ni la compétence voulue ni l’autorité nécessaire pour procéder ainsi qu’elle le fait.

Dans des interviews accordées à la presse occidentale, le Secrétaire Général de l’OTAN annonce tout à la fois que l’Organisation qu’il dirige a décidé, sans avoir mandat du Conseil de sécurité, de poursuivre « la mission autant qu’il le faudra » en prolongeant de trois mois pour ce faire sa « mission militaire » (sic) car, selon lui, « la question n’est pas de savoir si Kadhafi (resic) va tomber mais quand ».

Dans le même temps, la presse occidentale a révélé notamment que le Ministère britannique de la Défense a envoyé une « dizaine de conseillers » sur le sol libyen et que, toujours d’après des sources militaires britanniques : « Les anciens ( !) membres des forces spéciales SAS conseillent les rebelles libyens autour de Misrata et informent le quartier général de l’OTAN à Naples sur les positions et les mouvements des forces loyales à Kadhafi. Les cibles potentielles sont ensuite confirmées par des avions de reconnaissance de l’OTAN ou des drones de l’US Air Force. Ces hommes sont sur place avec le soutien de la France, de la Grande Bretagne et de leurs alliés de l’OTAN, qui n’ont pas envie de les reconnaître officiellement ( !!) mais les ont équipés ( !!!) avec du matériel de communication ».

De son côté, la république Française ne fait preuve d’aucun scrupule en livrant des armes de fort calibre – obusiers, canons – et du matériel militaire offensif – blindés – aux rebelles.

Cette intervention de la France est d’autant plus irresponsable que l’on soit maintenant avec certitude qu’une partie de l’arsenal des rebelles alimente tant les éléments terroristes que l’armée algérienne affronte que l’organisation Aqmi dont les activités militaires, qui s’étendent du Niger à la Mauritanie, sont susceptibles à terme de déstabiliser l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne.

Elle est également criminelle car il n’y a pas lieu de discuter ici du fait que si ces livraisons d’armes n’ajoutent rien à la sécurité des libyens, en revanche elles auront pour effet direct de renforcer la capacité opérationnelle des mouvements terroristes ce qui entraînera inéluctablement des pertes en vies humaines en Algérie, au Mali et au Niger ce dont la France est désormais comptable.

En grossissant le trait, on pourrait se demander si l’alibi de la protection de la population civile libyenne sur le plan de laquelle la France entend se placer pour justifier l’injustifiable ne s’avère pas inversement proportionnelle à la gravité des atteintes qu’elle porte, en procédant comme elle le fait, à la paix et à la sécurité de la région.

Selon la formule évangélique, elle « filtrerait le moustique et laisserait passer le chameau ».

La violation de la Charte des Nations Unies se déduit de ces données objectives. Deux éléments principaux la caractérisent :

 Le premier est qu’en utilisant à d’autres fins la résolution 1973 (2011) et les mesures y instaurées par le Conseil de sécurité, l’OTAN exerce ses interventions dans un but autre que celui qui lui a été conféré par cette résolution ;

 Le second élément a une autre portée qui est loin de représenter une réflexion abstraite.

En procédant ainsi qu’elle le fait, l’Organisation de défense de l’Atlantique Nord (OTAN) et ses Etats membres, transgressent volontairement la Charte des Nations Unies en substituant d’autorité une compétence qu’ils n’ont pas, à celle que la Charte confère à l’organe principal du maintien de la paix, le Conseil de sécurité.

Il en résulte que l’OTAN, sous la direction de fait et de droit des Etats-Unis, du Royaume Uni et de la France, outrepasse de façon arbitraire le périmètre d’application de la résolution 1973 (2011) alors qu’elle n’a ni le droit, ni le pouvoir, ni la légitimité de se substituer au Conseil de sécurité des Nations Unies, sauf à considérer que le recours à la force ou l’intervention militaire des grands et des puissants, quelles que soient les circonstances ou les prétextes invoqués, a aboli désormais de facto les principes de non recours à la force et d’égalité souveraine des Etats consacrés dans le droit international et par la Charte des Nations Unies.

Un tel comportement est aussi dangereux qu’illégitime car il est susceptible de déboucher, à terme, sur un renversement des valeurs du système des Nations Unies en érigeant en règle, d’une part, la politique du fait accompli, d’autre part, l’impunité des Etats puissants, l’une et l’autre étant contraire à l’essence même des buts et des objectifs que les Peuples des Nations Unies se sont assignés en adoptant la Charte de San Fransisco.

La relation directe qui existe entre la violation de la résolution 1973 et l’intervention de l’OTAN donne à celle-ci sa vraie nature : une guerre d’agression.

On ne discutera pas le fait que l’agression est un crime de guerre. C’est selon les termes du Tribunal de Nuremberg « Le crime international suprême ne diffère des autres crimes que du fait qu’il les contient tous ».

L’Assemblée Générale des Nations Unies n’a rien dit d’autre en proclamant solennellement dans la résolution 2625 du 24 octobre 1970 « qu’une guerre d’agression constitue un crime contre la paix, qui engage la responsabilité en vertu du droit international ».

Je vous renvoie ici au 7ème préambule du statut de votre Cour qui réaffirme les buts et les principes de la Charte des Nations Unies, en particulier l’obligation pour tous les Etats de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.

Au cas présent, il résulte une relation évidente, étroite, voire indissoluble entre l’acte collectif d’agression commis par l’OTAN et ses Etats membres et les conséquences de cette agression : pertes en vies humaines, tentatives d’assassinat contre les dirigeants de la Jamahiriya Arabe Libyenne, assassinats de leurs proches, destruction des biens civils.

En l’espèce, les déclarations des responsables de l’OTAN, de son Secrétaire Général au Chef des opérations, et celles des dirigeants de ses Etats membres, du Président OBAMA au Président SARKOZY, il résulte que les Etats membres de cette organisation ont pour seul objectif non pas de protéger la population civile Libyenne mais de renverser par la force les Autorités d’un Etat libre, indépendant et souverain.

La programmation de l’intervention armée, la poursuite des opérations militaires, l’aide militaire et l’assistance opérationnelle apportées sans relâche aux rebelles est la preuve, d’une part, que l’action de l’OTAN et de ses Etats membres s’inscrit dans le cadre « d’un plan ou d’une politique » concertés, d’autre part, que les crimes contre les personnes et les biens commis à cette occasion sont la conséquence directe de la mise en œuvre de ce plan ou de cette politique.

La compétence rationae materiae de votre Cour résulte de ce constat et, de l’application mécanique aux faits, des éléments constitutifs des « crimes de guerre » définis par l’article 8 de son statut.

Je vous rappelle à cet égard que la résolution 1970 adoptée par le Conseil de sécurité le 26 février 2011 vous a saisi « de la situation qui règne en Jamahiriya Arabe Libyenne depuis le 15 février 2011 ». Je vous rappelle également que la résolution 1973 (2011) adoptée par le Conseil de sécurité le 17 mars 2011 a souligné « que les auteurs d’attaques y compris aériennes et navales dirigées contre la population civile, ou leurs complices doivent répondre de leurs actes ».

Vous avez donc la compétence nécessaire et l’autorité voulue pour engager des poursuites, en vertu du mandat que vous a confié le Conseil de sécurité, contre les « Chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques » des Etats membres de l’OTAN dont « les forces placées sous leur commandement et leur contrôle effectifs, ou sous leur autorité et leur contrôle effectif » commettent au sens de l’article 8, des crimes de guerre en Jamahiriya Arabe Libyenne.

L’intervention militaire illicite des Etats membres de l’OTAN étant d’une ampleur et d’une durée telle que vous ne pouvez attribuer ces crimes, rationae personae, qu’aux dirigeants des Etats membres et notamment à ceux d’entre eux qui ont entraîné leur nation dans son déclenchement et sa poursuite.

Sur ce point, il est inutile de vous rappeler que l’article 271 du statut de votre Cour énonce en des termes d’une grande fermeté dans son paragraphe I que :

« 1. Le présent statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distribution fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de Chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de la réduction de la peine ».

Je suis convaincu pour ma part que vous n’hésiterez pas à le faire car, à l’inverse, il ne serait certes pas téméraire de voir dans un quelconque renoncement de votre part une inacceptable dictature des Etats forts limitant votre indépendance alors que la paix et la sécurité internationales imposent qu’il ne doit exister aucune puissance, qui ne trouve au-dessus d’elle, pour prévenir un éventuel arbitraire, un corps de règles de droit qu’elle doit respecter.

C’est la raison pour laquelle la Jamarihiya Arabe Libyenne attend de vous, et de votre Cour, qu’étant ainsi saisis des plaintes des victimes et des ayants droits des victimes des bombardements de l’OTAN, vous engagiez sans délai les poursuites nécessaires à la condamnation des responsables des crimes de guerre qui se déroulent quotidiennement sur son territoire.

La nature et l’objet de cette correspondance me conduisent naturellement à en communiquer les termes aux Etats membres du Conseil de sécurité aux Présidents de l’Union africaine et, de la Commission de l’Union africaine ainsi qu’au secrétaire général des Nations Unies.

Veuillez agréer, Monsieur le Procureur, l’expression de ma grande considération.