Voilà près de dix ans, certains d’entre nous lançaient l’Appel de Genève en faveur d’une justice européenne ne permettant plus l’impunité. Cet appel se fondait sur le fait que les enquêtes internationales nécessitent des années d’investigations pour des résultats aléatoires en raison des limites posées par les frontières. Certains États permettent de retarder la transmission des informations durant des mois, voire davantage, en accordant aux personnes impliquées des possibilités de contestation au sein même de l’État requis durant la phase d’enquête. Ces pratiques protègent les réseaux de blanchiment d’argent, de corruption, de terrorisme, de proxénètes et de pédophiles. Cet appel ne consistait pas à prendre parti mais à alerter le citoyen.
Notre démarche, aujourd’hui, s’inspire des mêmes principes et nous conduit à poser les questions suivantes : quel bilan peut-on tirer des suites de l’Appel de Genève et quelles perspectives sont offertes par la Constitution européenne ? Beaucoup reste à faire depuis notre appel, mais de réelles avancées doivent être relevées, en particulier au sein de l’Union européenne. L’instauration des magistrats de liaison, la création d’Eurojust, l’adoption de nouvelles techniques d’investigation et la mise en place du mandat d’arrêt européen constituent autant d’atouts face aux menaces criminelles les plus graves (terrorisme, criminalité organisée, corruption...), par nature transnationales. L’Union européenne a également permis la construction d’une culture commune des magistrats. Le projet d’une Europe constituant un “ espace de liberté, de sécurité et de justice ”, adopté par le traité d’Amsterdam, figure désormais à l’ordre du jour des 25. La Constitution incorpore la Charte des droits fondamentaux et lui donne force juridique. Elle permet, dans le domaine de la justice, que les décisions soient à l’avenir prises à la majorité qualifiée des États membres, évitant la paralysie des institutions européennes induite par l’application du principe de l’unanimité, maintenu en la matière par le traité de Nice.
La Constitution constitue une avancée significative en matière de coopération judiciaire internationale, en matière de lutte contre la criminalité organisée. Des efforts seront cependant nécessaires durant les années à venir pour assurer son application effective.

Source
Le Monde (France)

« Le oui de magistrats anticorruption », par un groupe de magistrats anti-corruption européen, Le Monde, 23 mai 2005.