Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, a opéré un virage à 180 degrés lors de sa dernière campagne électorale. Il a depuis engagé son pays dans la guerre contre la Libye et rêve d’en découdre avec la Syrie.

Quelle est la nature du conflit qui investit la Syrie depuis quelques mois ? Je voudrais avec cet article inviter tous ceux qui ont à cœur la cause de la paix et de la démocratie dans les rapports internationaux à se poser quelques questions élémentaires, auxquelles, de mon côté, j’essaierai de répondre en laissant la parole à des organes de presse et journalistes qu’on ne peut suspecter de complicité avec les dirigeants de Damas.

1. Il convient en premier lieu de se demander quelle était la condition du pays moyen-oriental avant l’arrivée au pouvoir, en 1970, des Assad (père puis fils) et du régime actuel. Eh bien avant cette date, « la République syrienne était un État faible et instable, une arène pour les rivalités régionales et internationales » ; les événements des derniers mois signifient le retour à la « situation précédant 1970 ». En ces termes s’exprime Itamar Rabinovitch, ancien ambassadeur d’Israël à Washington, dans The International Herald Tribune [1]. Nous pouvons tirer une première conclusion : la révolte appuyée en premier lieu par les USA et l’Union européenne risque de ramener la Syrie dans une condition semi-coloniale.

2. Les condamnations et les sanctions de l’Occident et son aspiration au changement de régime en Syrie sont-elles inspirées par l’indignation pour la « brutale répression » de manifestations pacifiques dont le pouvoir se serait rendu responsable ? En réalité, en 2005 déjà, « George W. Bush désirait renverser Bachar al Assad ». C’est ce que rapporte encore l’ex-ambassadeur israélien à Washington, lequel ajoute que la politique de regime change en Syrie est maintenant celle que poursuit aussi le gouvernement de Tel Aviv : il convient d’en finir avec un groupe dirigeant qui appuie depuis Damas « le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza » et qui a des liens étroits avec Téhéran. Oui, « profondément préoccupé par la menace iranienne, Israël pense qu’enlever la brique syrienne du mur iranien pourrait déboucher sur une nouvelle phase de la politique régionale. Il est clair que soit le Hezbollah soit le Hamas avancent à présent avec davantage de prudence ». Donc, la cible de la révolte et des manœuvres qui lui sont connexes n’est pas seulement la Syrie, mais aussi la Palestine, le Liban et l’Iran : il s’agit d’asséner un coup décisif à la cause du peuple palestinien et de consolider la domination néo-coloniale d’Israël et de l’Occident dans une aire d’importance géopolitique et géo-économique décisive.

3. Comment poursuivre cet objectif ? Guido Olimpio nous l’explique dans le Corriere della Sera du 29 octobre : à Antakya (Antioche), dans une région turque frontalière de la Syrie, est déjà à l’œuvre « l’Armée syrienne libre, une organisation qui mène la lutte armée contre le régime d’Assad ». C’est une armée qui a l’usufruit des armes et de l’assistance militaire de la Turquie. De plus —ajoute Olimpio (dans le Corriere della Sera du 13 novembre)— Ankara « a exercé des menaces contre la création d’une zone tampon de trente kilomètres en terre syrienne ». Donc, le gouvernement de Damas non seulement doit faire face à une révolte armée, mais une révolte armée appuyée par un pays qui dispose d’un dispositif militaire de première importance, qui est membre de l’OTAN et qui menace d’envahir la Syrie. Quelles qu’aient été les erreurs et les fautes de ses dirigeants, ce petit pays est à présent l’objet d’une agression militaire. Depuis des années en forte croissance économique, la Turquie depuis quelques temps montrait des signes d’impatience à l’égard de la domination exercée au Moyen-Orient par Israël et les USA. Obama répond à cette impatience en poussant les dirigeants d’Ankara à un sous-impérialisme néo-ottoman, contrôlé évidemment par Washington.

4. Comme il résulte des analyses et témoignages que j’ai rapportés, la Syrie est contrainte à lutter dans des conditions assez difficiles pour garder son indépendance, elle doit d’ores et déjà affronter une formidable puissance économique, politique et militaire. De plus, l’OTAN menace, directement ou indirectement, les dirigeants de Damas de leur infliger le lynchage et l’assassinat qui ont scellé la mort de Kadhafi. L’infamie de l’agression devrait être claire pour tous ceux qui sont disposés à accomplir un ne serait-ce que modeste effort intellectuel. Si ce n’est que, se prévalant de sa terrible puissance de feu multimédiatique et des nouvelles technologies de manipulations rendues possibles par Internet, l’Occident présente la crise syrienne en cours comme l’exercice d’une violence brutale et gratuite contre les manifestants pacifiques et non-violents. Il ne fait aucun doute que Goebbels, le maléfique et brillant ministre du Troisième Reich, a fait école ; il convient même de reconnaître que ses disciples à Washington et Bruxelles ont même à présent dépassé leur maître jamais oublié.

Traduction
M.-A.

[1« The devil we knew », par Itamar Rabinovitch, The International Herald Tribune, 19-20 novembre 2011