De gauche à droite, le président de l’Union européenne Jean-Claude Juncker, George W. Bush et le président de la Commission européenne Jose Manuel Barroso

Chaque année, à la fin juin, se tient un sommet États-Unis/Union européenne, en alternance sur le territoire états-unien ou européen. Cette rencontre est de plus en plus souvent l’occasion pour la Maison-Blanche de trancher des débats internes à l’UE et de donner ses instructions aux dirigeants en place. Ainsi, au sommet du 26 juin 2004, George W. Bush tenta en vain de contraindre l’Union européenne de s’engager via l’OTAN en Irak. Il n’y parvint pas et le sommet de l’OTAN qui suivit à Istanbul fut un échec. Par contre, soutenant les Britanniques contre les Français, il écarta le candidat de Paris à la présidence de la Commission de Bruxelles et imposa en remplacement Jose Manuel Barroso. Le Premier ministre portugais, bien qu’il ait recueilli des records d’impopularité dans son propre pays, avait en effet l’avantage d’avoir organisé le sommet des Açores au cours duquel les Anglo-Saxons achevèrent de planifier la colonisation de l’Irak.

Le sommet du 20 juin 2005 a été préparé par le tour européen du sous-secrétaire d’État pour les affaires politiques, Nicholas Burns, à la fin mai ; puis par la réception de trois des cinq membres de la délégation européenne au département d’État, le 2 juin. Il s’est tenu dans le contexte particulier du rejet par les électeurs français et néerlandais du projet de Traité constitutionnel européen.

R. Nicholas Burns a indiqué à l’avance les principaux points figurant sur l’agenda politique US :
 Terminer la démocratisation de l’Europe en unifiant la Bosnie-Herzégovine, en donnant un statut définitif au Kosovo (indépendance ou rattachement à l’Albanie), et en jugeant les criminels de guerre avec l’aide de la Serbie-Montenegro (terme par lequel la diplomatie états-unienne désigne l’actuelle Yougoslavie).
 Développer le Partenariat pour la paix entre l’OTAN et la Fédération de Russie, tout en soutenant l’opposition intérieure en Russie (l’objectif paraît donc d’affaiblir la Russie de l’intérieur plutôt que de chercher à en prendre le contrôle).
 Soutenir l’opposition en Biélorussie jusqu’à un changement de régime.
 Ouvrir les portes de l’OTAN et de l’UE à l’Ukraine et à la Géorgie.

Depuis une dizaine d’années, le sujet principal du sommet États-Unis/Union européenne est la fusion de la zone de libre-échange nord-américaine (ALENA) et de la zone de libre-échange européenne (UE) au sein d’une unique zone transatlantique. Compte tenu de la résistance des États à la globalisation, le Nouvel agenda transatlantique (New Transatlantic Agenda - NTA) avance au rythme des propositions des entreprises multinationales membres du TransAtlantic Buisness Dialogue (TABD). Les grands patrons rédigent donc un rapport annuel qu’ils remettent en mains propres aux dirigeants politiques en marge du sommet. Les suggestions du TABD sont généralement acceptées sans plus de discussions, c’est-à-dire ans que l’on se pose la question de savoir si elles conviennent aussi aux autres acteurs économiques.

Le rapport 2005 du TABD insiste sur quatre axes : protection de la propriété intellectuelle ; sécurisation du commerce ; convergence des normes comptables ; et enfin intégration des marchés des capitaux. Surtout, il demande la création d’une institution permanente chargée de faire converger les réglementations des deux zones de libre-échange, qui travaillerait bien sûr à partir de ses expertises. Ce document a été remis aux officiels la veille du sommet et les décisions adoptées par les politiques ont été présentées à la sortie du sommet lors d’une conférence de presse du TABD à laquelle participait le commissaire aux entreprises et à l’industrie, Günter Verheugen.

Avec Javier Solana, responsable de la politique étrangère de l’Union européenne

Le 2 juin, le secrétaire d’État Condoleezza Rice a reçu ses interlocuteurs européens : Javier Solana, secrétaire généréral du Conseil européen après avoir été celui de l’OTAN ; Jean Asselborn, ministre luxembourgeois des Affaires étrangères (le Luxembourg exerçant la présidence tournante) ; et Benita Ferrero-Waldner, commissaire européen aux Relations extérieures. Les quatre dirigeants ont procédé à un tour d’horizon des questions internationales. Cependant, Mlle Rice s’est surtout employée à convaincre les délégués européens de s’impliquer complètement dans la conférence de soutien au processus de transition en Irak, prévue pour le 22 juin à Bruxelles [1]. À propos du rejet par les électeurs français du Traité constitutionnel européen, elle a résumé l’analyse de l’administration Bush : les Français ont sanctionné la politique anti-américaine et antidémocratique du président Chirac, pas le Traité lui-même. Il convient donc de poursuivre l’élargissement et la libéralisation des échanges. Au demeurant, si 20 États sur 25 ratifient le Traité, il sera possible de demander aux récalcitrants de reconsidérer leur position. Il faut donc allonger d’un an le processus pour que les électeurs français, débarrassés de Jacques Chirac, adoptent le Traité lors d’un nouveau référendum.
Aucun des invités n’a eu l’outrecuidance de faire remarquer que cette analyse était contredite par le « non » néerlandais de la veille [2].

Il ne restait donc rien à discuter lorsque le président George W. Bush a reçu, le 20 juin, la délégation européenne augmentée du Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, en qualité de président tournant du Conseil européen, et de Jose Manuel Barroso, président de la Commission. Le sommet, expédié en quelques heures, s’est limité à signer une dizaines de déclarations communes pré-rédigées par les fonctionnaires des deux parties. On a promis de promouvoir la paix, la démocratie, l’État de droit, les Droits de l’homme et la prospérité. Puis, on s’est engagé à lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et le terrorisme. On a même, avec un zèle missionnaire, décidé d’œuvrer à la création d’un Fonds pour la démocratie à l’ONU. Puis on s’est juré de lutter contre les gaz à effet de serre, de chercher des sources d’énergie renouvelables et de promouvoir la civilisation de l’hydrogène. Personne ne croyait à ce rituel et ces documents seront sans conséquences.

Toutefois, cette mise en scène formelle n’excluait pas de véritables décisions. Les dirigeants se sont engagés à tout faire pour la réussite de la conférence sur l’Irak. Surtout, ils ont adopté toutes les propositions du TABD et mis en place le Forum de coopération sur la réglementation doté d’une agenda précis. Sont considérés comme prioritaires : l’harmonisation des réglementations en matière d’autorisation de mises de médicaments et de cosmétiques sur le marché, de normes de sécurité automobile, de compatibilité des normes dans les technologies de l’information et de la communication, d’étiquetage alimentaire et de droit des consommateurs. Personne n’a jugé bon d’informer ceux des électeurs français et néerlandais qui ont voté « non » à l’élargissement et à la libéralisation de l’Union européenne que l’on avait décidé de l’élargir de l’autre côté de l’Atlantique et de commencer à l’aligner sur les standards anglo-saxons. Ce Forum sera directement administré par le Bureau du Budget et du Management à la Maison-Blanche et par la Commission de Bruxelles.

[1Cette conférence est une idée présentée par le président Bush lors de sa tournée européenne de février 2005. Convoquée conjointement par Washington et par l’Union européenne, elle vise à obtenir la reconnaissance du gouvernement de transition, issu des élections truquées de janvier, par le plus grand nombre d’États possible.

[2Les Pays-Bas ont rejeté le Traité constitutionnel européen, le 1er juin 2005.